Les faits

L’affaire portée devant la Cour de cassation (Cass. Civ. 1ère, 28 septembre 2016 n°15-21823) concernait  une employée de cuisine au sein d’un établissement d’hébergement s’était plainte, aux termes d’un courrier au Responsable des ressources humaines dont elle avait adressé copie au CHSCT et à l’Inspection du travail, d’avoir été victime de harcèlement moral de la part du Chef de cuisine et du Chef de section. Ces derniers ainsi que la société avaient assigné la salariée aux fins d’obtenir la réparation du préjudice qu’ils estimaient subir du fait de ces propos qu’ils considéraient diffamatoires.

Pour la Cour d’appel, pas d’immunité pénale pour celui qui rapporte les faits

La Cour d’appel a fait droit à leur demande en considérant que « si les articles L.1152-1 et suivants du Code du Travail ont instauré un statut protecteur au bénéfice du salarié qui est victime de harcèlement moral, ces dispositions n’édictent pas une immunité pénale au bénéfice de celui qui rapporte de tels faits au moyen d’un écrit, de sorte que son rédacteur est redevable, devant le juge de la diffamation, de la formulation de ses imputations ou allégations contraires à l’honneur ou à la considération des personnes qu’elles visent ».

Pour la Cour de cassation : la répression ne doit pas dissuader le salarié de dénoncer des faits dont il est victime La voie de la diffamation est écartée…

La Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L.1152-2 du code du travail, selon lequel le salarié ne peut être sanctionné professionnellement pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, L.4131-1 du même code, qui instaure au salarié un droit d’alerte de l’employeur en cas de situation présentant selon lui un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, et 122-4 du code pénal, relatif à l’irresponsabilité pénale attachée aux actes autorisé par des dispositions législatives ou règlementaires.
La Haute juridiction déclare, en premier lieu, qu’il résulte de ces dispositions que « les salariés sont autorisés par la loi à dénoncer, auprès de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont ils estiment être victime ».
La Cour de cassation rappelle ensuite les règles de preuve en matière de diffamation, à savoir que les allégations de diffamations sont présumées avoir une intention de nuire, cette présomption ne pouvant être renversée par l’auteur de la dénonciation que par l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires (encadrées dans les strictes conditions légales de l’article 55 de la Loi sur la liberté de la presse) ou l’exception de bonne foi (légitimité du but poursuivi, absence d’animosité personnelle, prudence dans l’expression et fiabilité de l’enquête), étant ici précisé que « la croyance en l’exactitude des imputations diffamatoires ne suffit pas, en revanche, à reconnaitre à leur auteur le bénéfice de la bonne foi ».
La Première chambre civile en conclut que ces exigences probatoires sont de nature à faire obstacle à l’effectivité du droit du salarié de dénoncer des faits de harcèlement moral, en l’en dissuadant, et que le salarié ne peut donc être poursuivi pour diffamation.
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… au profit de la dénonciation calomnieuse en cas de mauvaise foi du salarié

Cependant, si la Cour de cassation écarte la voie de la diffamation, elle maintient celle de la dénonciation calomnieuse en ajoutant que « toutefois, lorsqu’il est établi, par la partie poursuivante, que le salarié avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués, la mauvaise foi de celui-ci est caractérisée et la qualification de dénonciation calomnieuse peut, par suite, être retenue ».
Il faut, en effet, savoir que la charge de la preuve est inversée en matière de dénonciation calomnieuse – régie par l’article 226-10 du code pénal – dès lors que celle-ci repose sur la partie poursuivante au pénal, qui doit démontrer la mauvaise foi de l’auteur de la dénonciation, qui se définit ici comme le fait d’avoir connaissance de la fausseté des faits au moment de la dénonciation.
Cette définition très stricte de la mauvaise foi, ne pouvant résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il invoque, est aussi celle imposée par la chambre sociale de la Cour de cassation, pour permettre à l’employeur de sanctionner le salarié auteur de telles dénonciations (7 février 2012, n°10-18035).
La Cour de cassation trouve ainsi une solution de conciliation entre la protection des salariés dénonçant des faits de harcèlement moral dont ils estiment être victimes et la répression des dénonciations effectuées de mauvaise foi.
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