Penser qu’en facilitant les licenciements et notamment ceux abusifs, cela incitera l’employeur à recruter ne manque tout de même pas de surprendre sur le plan du simple bon sens. Tout part d’un postulat selon lequel l’employeur ne pourrait pas licencier sans s’exposer à de lourdes sanctions devant les juridictions prud’homales ce qui le découragerait  d’embaucher de nouveaux salariés. La réalité est assez éloignée de cette idée reçue et, comme toujours, beaucoup plus complexe et moins caricaturale que les poncifs que l’on nous martèle.

« L’employeur perd toujours aux prud’hommes » 

C’est une première contre vérité : l’employeur qui perd a souvent un mauvais dossier, mal préparé, mal anticipé, bâclé, et sans aucun conseil préalable d’avocat spécialisé. Dans le cas contraire, il n’a aucune raison de perdre et ne perd d’ailleurs pas. Naturellement il peut y avoir des exceptions mais l’exception n’est pas la règle de sorte que cette première idée reçue doit être totalement pondérée et révisée.  Pour autant la loi, et en particulier la législation sociale, a été conçue, et c’est sa vocation, pour protéger le salarié et non l’employeur comme le droit de la consommation protège les consommateurs contre les professionnels, le droit immobilier les locataires contre les propriétaires etc… Dans ces conditions connues dés le départ, il appartient à chacun de s’informer, et agir en conséquence pour se prémunir des risques que l’on encourt avant de licencier. Le risque tient d’ailleurs au motif. Si le motif est fondé, le licenciement le sera aussi. C’est avant tout, et presque uniquement, un problème de preuve.
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« Un licenciement fondé et justifié n’encourt aucune sanction » 

C’est pourquoi la mise en place d’un barème qui limiterait les dommages et intérêts que peut espérer toucher un salarié dont le licenciement est jugé abusif ne peut qu’encourager à déresponsabiliser les employeurs et pas les meilleurs… et n’apporte aucune garantie en matière de création d’emplois.
Autre réalité qui se heurte aux poncifs : les jugements des prud’hommes sont rarement assortis de l’exécution provisoire ce qui signifie qu’en cas de recours de la décision critiquée, l’employeur n’a pas à verser les sommes auxquelles il peut être condamné à titre des dommages et intérêts.  Ce sont donc, au final, les juges d’Appel, c’est à dire des juges professionnels qui vont fixer la sanction ou non. En conséquence s’en prendre systématiquement aux juges prud’homaux comme étant les responsables de toutes les dérives et abus, relèvent encore d’une idée toute faite en rien corroborée par la réalité du terrain. Le droit du travail est, en outre, très jurisprudentiel et dépend fondamentalement des décisions de la Cour de Cassation qui crée un véritable aléa et incertitude judiciaire et juridique. Les exemples ne manquent pas de revirements brutaux, de normes nouvelles qui s’appliquent à des situations qui jusque là ne les connaissaient même pas, car, à la différence de la loi qui ne dispose que pour l’avenir, la jurisprudence s’applique en toutes hypothèses immédiatement et même à des faits antérieurs. Peut être faudrait-il s’y intéresser de plus prés quand on évoque l’insécurité juridique en la matière… 
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« L’imprévisibilité du risque interdit toute perspective d’embauche » 

On se plait à considérer des différences considérables entre les juridictions prud’homales pour un même type d’affaire, qui serait porteur, pour l’employeur, d’inquiétude et d’insécurité.  C’est encore inexact. D’abord peut-on véritablement comparer deux affaires jugées par deux juridictions différentes ? L’analyse montre souvent de vraies différences dans les faits, les personnes,  et leurs demandes. Par ailleurs il y a des règles et les Cour d’appel et la Cour de Cassation sont précisément là pour uniformiser les réponses données sur le plan juridique et même sur le plan des faits et de l’indemnisation.
S’agit-il surtout des vraies raisons qui empêchent l’embauche de nouveaux salariés ? Ne s’agirait-il pas plutôt des taxes et cotisations obligatoires en tout genre qui asphyxient l’économie. Un employeur qui peut à peine se payer pour seulement pouvoir faire face à ses charges n’est-il pas légitime à s’interroger avant de recruter une autre personne sur l’opportunité d’une telle charge supplémentaire ? N’est ce pas là la vraie et unique raison de sa crainte d’embaucher, avant de s’interroger sur les conséquences d’un licenciement d’un futur collaborateur ?  Là encore, le risque est parfaitement connu et maîtrisable : il existe des périodes d’essai et même si l’on licencie après, le risque pour un licenciement justifié n’est autre qu’équivalent au paiement du préavis. Passé un an, il faudra en plus payer l’indemnité légale ou conventionnelle qui tient compte de l’ancienneté et qui est parfaitement identifiable et prévisible. Le risque de dommages et intérêts l’est tout autant quand on prend la précaution d’aller consulter un conseil spécialisé.
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« Mieux tenir compte des difficultés économiques »

Compte-tenu de la rédaction des articles de loi par notre législateur, il est permis d’être partagé sur la question. Certes les licenciements économiques relèvent d’une usine à gaz reposant sur des notions floues que la jurisprudence peine à déterminer. De ce point de vue, une évolution, au regard notamment des petits employeurs, peut être souhaitable mais à condition que les projets de loi soient clairement et correctement rédigés ce dont il est, hélas, permis de douter. Dans ce cas, loin de simplifier, une nouvelle disposition légale n’ajoute que la confusion et l’incertitude.
Comme souvent, le projet de loi EL KHOMRI ne méritait sans doute pas les réactions qu’il a suscitées dans un sens comme dans l’autre, car, au fond, il ne répondait en rien à la question de l’emploi qui mine notre société ; il n’aura été que le prétexte à une communication politique stérile qui de surcroît  se terminera en un véritable flop. Si changement il doit y avoir en droit du travail, il faut y regarder de près, sans tapage et de façon technique car des blocages il y en a sans doute mais ils ne sont pas là où on se plait à le dire.
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