Les mouvements de protestation se multiplient à Pôle Emploi : grève des psychologues du travail le 17 juin pour dénoncer des « conditions de travail indignes », grève le 19 juin de l’ensemble des agents lancée par sept syndicats pour critiquer le manque de clarté du projet de nouvelle classification des emplois, et grève déclenchée le 12 juin par des agents de Pôle Emploi de l’agence Paris Laumière dans le 19ème arrondissement pour demander des effectifs supplémentaires… Pour comprendre les sources de ce mécontentement, nous avons interrogé plusieurs agents de Pôle Emploi sur leur vécu au quotidien et ce qu’il en ressort est édifiant. Description d’une ambiance kafkaïenne !

Effectifs insuffisants

« Nous sommes en sous-effectif et nous ne pouvons pas assurer notre mission de conseiller pour l’emploi, c’est à dire accompagner le demandeur d’emploi dans sa recherche, déplore un des agents de Paris Laumière. Face à l’afflux des chômeurs, nous sommes réduits à effectuer des tâches administratives (accueil, inscriptions, etc.) ». Le cas de cette agence est significatif : sur le papier, 40 personnes y étaient affectées, mais quand elle rouvre en février 2014 après des travaux, seuls 27 postes sont pourvus. Après plusieurs demandes infructueuses, les agents décident de déclencher une grève le 12 juin pour demander 8 postes en CDI supplémentaires. Ils obtiendront partiellement satisfaction au bout de cinq jours de grève avec 5 postes supplémentaires. Il leur aura fallu pour cela occuper la direction générale de Pôle Emploi avec l’aide de collectifs de chômeurs solidaires du mouvement.

Globalement, 4 000 CDI ont été créés ces deux dernières années, mais le directeur général de Pôle Emploi, Jean Bassères, a reconnu la semaine dernière dans une interview aux Echos que «dans le contexte budgétaire actuel», il ne pourrait pas compter sur de nouveaux moyens humains pour faire face à l’explosion du chômage (3,4 millions de demandeurs d’emploi sans activité fin mai en métropole, et plus de 5 millions en incluant ceux exerçant une petite activité). Et ce n’est pas la plateforme 100% web qui vient d’être mise en place qui va résoudre les problèmes, car déjà de nombreux agents sont mécontents de son fonctionnement.

Agents cadres en souffrance

Cinq ans après la douloureuse fusion entre l’ANPE (institution chargée de l’emploi) et les Assedic (institution chargée de l’indemnisation) qui a donné naissance à Pôle Emploi, les syndicats décrivent un malaise propre aux cadres qui ont été les moteurs de cette réorganisation. Ils dénoncent notamment un déclassement dû à des doublons dans les organigrammes, des mutations vers des placards ou encore la pression des résultats (le nombre de demandeurs d’emploi suivis par un agent a explosé, passant d’une moyenne de 60 à 250) . Résultat : des cadres qui font des burn-out, des dépressions avec à la clé des arrêts maladie longue durée, et des suicides qui se multiplient. En septembre dernier, l’ancien directeur territorial du Rhône s’est jeté sous le TGV qui devait l’amener à Paris où il avait été muté : c’était le 3ème suicide d’un cadre en 7 mois, après notamment celui du directeur des Relations sociales de la Région Ile-de-France.

La Direction aux abonnés absents

Mais que fait la direction, peut-on se demander. Celle-ci est la plupart du temps aux abonnés absents. Direction générale, direction territoriale, direction régionale, tous se renvoient la balle en cas de problèmes, soulignent les syndicats SNU Pôle Emploi et Solidaires Sud Emploi. Lors du mouvement de grève de l’agence de Paris Laumière, la direction de Paris a mis en doute les compétences des agents le 1er jour, puis la direction régionale a menacé le 3ème jour d’engager des poursuites judiciaires contre les grévistes et c’est après avoir fait le forcing auprès de la direction générale dans ses locaux que les agents ont obtenu satisfaction. « C’est un système stalinien, dénonce un agent de Pôle Emploi, où tout est figé, avec une hiérarchie descendante très opaque ». « Toutes les décisions de réorganisation sont imposées par le haut, c’est-à-dire par des agents qui ne sont pas au contact du public et qui ne connaissent pas le métier de conseiller, ajoute cet agent. Et les alertes que nous pouvons faire concernant des dysfonctionnements – y compris techniques que nous constatons au quotidien – ne remontent jamais au-delà de nos directeurs d’agence, ce qui fait qu’elles restent lettre morte ».

Bureaucratie et absurdités

« Les décisions sont imposées lors des réunions sous forme de PowerPoint sur lesquels les directeurs d’agence eux-mêmes n’ont pas leur mot à dire, parfois cette réorganisation ne fait même pas l’objet d’une information, ce qui fait que nous la découvrons « sur le tas », dénonce un agent. En outre, chacun est contrôlé dans son travail avec une « observation pédagogique » qui a lieu chaque année pendant un jour. Et si l’on est pas content, on peut écrire sur un panneau avec un post-it un « irritant », mais pas question d’obtenir pour autant de nouveaux budgets. Impossible également pour un agent de Pôle Emploi d’avoir un contact direct avec un responsable RH : « on doit envoyer un email sur un fil direct, explique un agent, c’est dramatique, tout est impersonnel ».

De même, le courrier, qui est centralisé par une plateforme met 8 à 10 jours à parvenir à destination au lieu des 2 jours habituels des délais postaux. « Du coup si j’ai un courrier urgent à envoyer, je le poste par mes propres moyens », ajoute l’agent. Autre absurdité : à l’accueil, il a été demandé récemment à un agent, dans le cadre d’un chantier dit « de simplification de l’accueil » de « faire des bâtons » pour comptabiliser les chômeurs reçus, alors qu’il existe un système informatique permettant de le faire… Bref, pour de nombreux agents de Pôle Emploi, le sentiment qui domine est d’être « dirigés par des gens qui nous méprisent souverainement » et d’être « cantonnés à un service minimum de l’emploi toute l’année » où il devient plus important et surtout plus valorisant d’indemniser que d’accompagner ou d’aider les employeurs à recruter.