C’est un message fort. Hier, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a tranché en faveur des entreprises privées. Elles ont bien le droit, sous conditions, d’interdire à leurs salariés le port visible de signes religieux (tel le voile), mais aussi les signes politiques et philosophiques, afin de conserver leur neutralité. Une décision de principe qui devrait désormais servir de référence au monde du travail dans l’ensemble de l’Union, même si la justice de chaque pays garde une marge d’appréciation, en particulier pour examiner la légitimité de l’objectif de neutralité qu’invoquerait une entreprise privée pour imposer cette interdiction.

Une interdiction inscrite dans le règlement intérieur

Car le principe de neutralité est ici au cœur des deux affaires – l’une belge et l’autre française – jugées mardi. Dans le premier cas, la Cour européenne a donné raison à la justice belge qui a débouté Samira A., après qu’elle a contesté son licenciement. Salariée comme réceptionniste depuis 2003 par G4S Secure Solutions, une société qui fournit des services d’accueil et de réception, elle avait informé en avril 2006 son employeur qu’elle porterait désormais le voile au travail. Celui-ci avait refusé au motif que c’était contraire à la règle non écrite de neutralité de l’entreprise puis il avait modifié, avec l’accord du comité d’entreprise, son règlement intérieur précisant : « Il est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle ». Refusant de se plier au règlement Samira A. avait été licenciée.

Quand le port du voile « entrave le développement
de l’entreprise »

Dans le 2ème cas, l’affaire est plus litigieuse car la règle de neutralité invoquée par l’entreprise fait débat. Asma B., embauchée en 2008 comme ingénieure d’études chez Micropole Univers, a été licenciée en 2009 sans préavis. L’assureur chez qui elle intervenait, s’était plaint que le voile de la jeune femme « avait gêné un certain nombre de ses collaborateurs », ce qui avait provoqué son licenciement, Micropole estimant que le port du voile entravait le développement de l’entreprise puisqu’il empêchait la poursuite de l’intervention chez le client. Les prud’hommes puis la Cour d’appel ont indemnisé la jeune femme pour l’absence de préavis, mais ont estimé que le licenciement était fondé sur « une cause réelle et sérieuse ». La CJUE considère, elle, que « la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante». Elle donne donc tort aux prud’hommes et à la Cour d’appel qui ont validé le licenciement. Il reviendra donc à la juridiction nationale de trancher pour savoir s’il s’agit d’une mesure proportionnée dans l’intérêt commercial de

La manifestation des convictions  désormais restreinte

Reste que dans les deux cas le « principe de neutralité » introduit dans la – très controversée – Loi Travail du 8 août 2016 est invoqué. Depuis sa promulgation, une entreprise française peut édicter un règlement venant restreindre « la manifestation des convictions » de ses salariés. Mais seulement « si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux » ou si elles sont nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise (le port d’un signe religieux ne doit pas être contraire aux normes d’hygiène et/ou de sécurité). On est encore loin du secteur public qui interdit aux travailleurs de porter des signes ou vêtements religieux au nom du respect de laïcité et de la  neutralité. Ces textes devraient continuer à être sujets à interprétation et même si le guide du fait religieux en entreprise, publié par le Ministère du Travail le 26 janvier 2017* précise un peu les choses en prenant pour exemple des cas concrets, il restera toujours des situations porteuses d’éventuels conflits. L’an dernier, selon l’étude de l’Institut Randstad et de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Offre), 9% des cas conflictuels en entreprise étaient liés au fait religieux (contre 6% en 2015).
* Le Guide du fait religieux en entreprise : http://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/relations-au-travail/pouvoir-de-direction/guide-du-fait-religieux-dans-les-entreprises-privees/ 

La réaction de Pierre Gattaz, président du Medef, sur franceinfo 

« Cette décision de justice me paraît aller dans le bon sens. Ces histoires de port de voile, ou d’objets politiques, philosophiques ou religieux, ça doit être traité entre le chef d’entreprise et ses salariés, dans le cadre d’un règlement intérieur. Si cela perturbe le fonctionnement des équipes, des salariés, le chef d’entreprise doit en tenir compte. Si c’est accepté par tout le monde, par les clients, par les fournisseurs, auquel cas on peut l’accepter. C’est avant tout à l’entreprise de décider ».