En préambule, je souligne que je ne suis ni médecin, ni responsable politique. Aussi, les références à la pandémie de COVID-19 ne sont là que pour servir d’illustration et de base de réflexion.
La crise, situation exceptionnelle pour l’entreprise, est aussi la raison d’être d’une armée d’intervention. Comment planifier et décider en de telles circonstances ? Intéressons-nous à la méthode utilisée par les armées occidentales.
Au quotidien, le ministère de la défense est une administration comme les autres, où responsables civils et militaires tentent de manager un ensemble de moyens humains, financiers et matériels afin de mettre à la disposition du Chef de l’État un « produit » de grande valeur bien qu’invendable : le personnel équipé, entrainé et commandé nécessaire à la conduite des opérations militaires que le Président aura décidées. Pourtant préalablement à tout engagement en opérations, et quelle que soit sa nature, un processus de planification opérationnelle est enclenché, suivant une méthode développée depuis plus d’un siècle, affinée au fil du temps et des expériences heureuses ou malheureuses et désormais commune aux principales armées occidentales [1].
Cette méthode est aussi usitée dans d’autres domaines liés à la sécurité et la gestion de crise (sécurité civile, pompiers,…). Elle n’est pourtant pas forcément généralisée. Si l‘entreprise n’a bien sûr pas vocation à « faire la guerre », la méthodologie et les principes qui prévalent à ces travaux de planification sont largement transposables et adaptables à la gestion de crise. Si la veille, l’anticipation et les aides à la décision permettent de « savoir pour comprendre puis pour choisir », ce type de planification permet de « savoir pour agir ».

La crise : mais de quoi s’agit-il ?

On trouvera autant de définition du terme crise que d’experts. On peut retenir l’acception d’Herman Khan, futurologue américain, donnait en 1972 : Situation qui menace les buts essentiels des unités de prises de décision, réduit le laps de temps disponible pour cette prise de décision et dont l’occurrence surprend les responsables.

Une méthode commune de planification

Planifier, c’est définir l’enchaînement dans le temps et dans l’espace des effets nécessaires à l’atteinte des objectifs fixés. La même méthode, si nécessaire simplifiée et allégée, permet de conduire la réflexion à différents niveaux : du niveau stratégique (la direction politico-militaire) au niveau tactique (le niveau local de mise en œuvre des capacités) en passant par le niveau opératif (le théâtre d’engagement, dans une zone ou un milieu donné).
Par analogie, dans la crise actuelle, le niveau stratégique serait celui de l’État (le gouvernement et le ministère de la santé), le niveau opératif celui des agences régionales de santé et le niveau tactique celui de chacun des établissements (hôpital, clinique, EPHAD, laboratoire,..).
De même, au sien de l’entreprise, on pourra définir le niveau du conseil d’administration ou du directoire (stratégique), du directeur général (opératif) et du centre de profit ou de l’usine (tactique). Mais on peut tout aussi bien, comme les militaires le font régulièrement pour les petites opérations, fusionner ces niveaux et ne dérouler qu’une planification unique, dans les mains du chef d’entreprise.

Une partition simple

Cette méthode permet de suivre, à travers quatre phases distinctes, une ligne de réflexion logique et cohérente. Aussi, la partition suivante est adoptée :
  • Phase d’initiation : que veut-on ? quelle est la situation ?
  • Phase d’orientation : que faut-il faire ? dans quel cadre ?
  • Phase de conception : comment le faire ?
  • Phase d’élaboration d’un plan : quelles modalités d’exécution ?

Une décision solitaire, fruit d’un travail collectif

Un groupe de planification est constitué [2], à chaque niveau considéré, regroupant des professionnels de chacun des domaines traités. Grâce à un travail coopératif et collaboratif, le groupe déroule ce travail de planification et présente au décideur le fruit de leurs réflexions.
Le décideur (celui qui endossera la responsabilité de l’action et qui la conduira) intervient directement à deux moments clés de cette planification :
– A la fin de la phase d’orientation, pour la validation de l’analyse ;
– A la fin de la phase de conception, pour le choix du mode d’action retenu.

Vous la préférez chaude ou froide ?

La planification peut prendre deux formes : « chaude » ou froide ».
La planification froide permet d’anticiper les crises potentielles, qu’elles soient les plus probables ou les plus vitales (on oublie trop souvent celles-ci, sous prétexte d’une occurrence extrêmement faible). Il s’agit, sans pression, de consacrer du temps à l’élaboration de plans susceptibles d’être activés – ou plus justement, de servir de base à l’autre planification – si les circonstances l’exigent.
La planification chaude, planification de mise en œuvre, est déclenchée lorsque la crise (ou ses prémices [3]) survient. Elle s’appuie soit sur les travaux réalisés au préalable (mise à jour de plans conçus dans le cadre de la planification froide et donc gains de temps dans la mise en œuvre et les effets attendus) ou doit être conduite dans l’urgence.
La planification d’urgence nécessite des équipes rodées à cette pratique. Cependant, la conduite régulière de travaux de planification d’anticipation permet de se familiariser avec cette méthode.
Louis Pasteur écrivait « la chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés ». Une planification correctement conduite permet d’éviter « la surprise stratégique », cette crise qui peut mettre en difficulté, voire tuer une entreprise.
[1] La méthode en cours au sein de l ‘OTAN (guidelines for operational planning) date de 2011, son adaptation française de 2012 (méthode de planification opérationnelle).
[2] Eventuellement animé par un spécialiste de la planification, garant du respect de la méthode. Toujours utile quand les participants n’ont pas été formés pour.
[3] Comme une succession de signaux faibles ou ce qui commence à se passer ailleurs….