Jean-Claude Bellanger, secrétaire général de l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du Tour de France (AOCDTF), une des trois structures compagnonniques* en France, explique en quoi le compagnonnage est une filière d’excellence pour des métiers à forte valeur ajoutée qui ne connaissent pas la crise. Sur les 10 000 jeunes formés chaque année par l’AOCDTF (dont 10% de femmes), tous obtiennent un travail et en moyenne un sur deux créé son entreprise entre 25 et 30 ans. Pourtant les métiers manuels continuent d’être mal considérés en France, un paradoxe auquel s’attaque l’association.

Les 28 métiers auxquels vous formez n’arrivent pas à recruter suffisamment de jeunes. Comment l’expliquez vous ?

Les Compagnons du Devoir forment actuellement 10 000 jeunes en alternance à 28 métiers dans cinq principaux secteurs d’activité : bâtiment, industrie, matériaux souples, métiers du vivant et du goût. Des métiers tels que couvreur, plâtrier-staffeur, maçon, chaudronnier, carrossier ou métallier attirent très peu de jeunes alors que les besoins des entreprises dans ces secteurs ne sont pas couverts. Ce n’est pas une question de salaire, mais un problème sociétal : les métiers manuels et techniques ne sont pas reconnus en France. Ils sont encore considérés comme une voie de garage « choisie » après l’échec dans les filières générales. Tout ceci est paradoxal puisque nous savons que ces métiers débouchent très souvent sur des emplois dans l’encadrement ou alors ils ouvrent la possibilité au jeune de créer son entreprise.

Heureusement, les choses commencent à évoluer. Depuis avril 2014, notre association est inscrite à la Conférence des grandes écoles. Nous sommes de ce fait reconnus au même niveau que les grandes écoles et cela devrait amener un changement de regard sur ces métiers. De plus, depuis quelques années, 40% des 4000 jeunes que nous recevons à chaque rentrée arrivent chez nous après un niveau Bac. Pour arriver à changer l’image des métiers en France et mettre les filières techniques sur un pied d’égalité avec les filières générales, les élèves devraient rencontrer les entreprises dès l’école primaire. Regardons des pays comme l’Australie, les métiers manuels sont pleinement reconnus : il est par exemple mieux perçu d’être plombier que médecin !

Est-ce que beaucoup de compagnons deviennent entrepreneurs ?

Selon une enquête menée par l’Université Paris Dauphine, 1 compagnon sur 2 formé par notre association créé son entreprise entre 25 et 30 ans. C’est une chance et cela mérite d’être mis en avant, puisque la moyenne nationale se situe autour de 30-35 ans pour la création d’entreprise. Je précise que l’AOCDTF accompagne les jeunes qui souhaitent créer leur entreprise via le service « Entreprendre » lancé il y a quelques années à cet effet.

Quel est l’avenir du compagnonnage ?

Des besoins énormes existent et pour ceux qui choisissent cette voie, les perspectives sont intéressantes. Nous sommes très à l’écoute des besoins des entreprises et notre cursus comprend une année de formation obligatoire à l’international. J’ajoute que les valeurs du compagnonnage sont universelles : respect de l’autre en se disant les choses (même celles qui fâchent) en toute intelligence et solidarité entre compagnons.

Nous avons néanmoins des inquiétudes au sujet de l’apprentissage. Les contrats sont en chute libre ces deux dernières années (-8% en 2013 et – 20% début 2014) et les prévisions ne sont pas encore très optimistes pour la fin de l’année. De plus, la loi sur la formation professionnelle du 5 mars 2014 prévoit, entre autres, la diminution du nombre d’organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (Octa). Notre structure est touchée au plus vif par cette loi : en perdant notre Octa, ce sont 5 millions d’euros que nous allons devoir trouver à l’avenir pour assurer la formation de nos apprentis.

La Conférence sociale de juin dernier nous a rassurés en partie. Nous partageons et encourageons l’objectif de 500 000 jeunes en apprentissage pour 2017 annoncé par le gouvernement. Mais en attendant, pour embaucher des apprentis, les entreprises ont besoin d’être encouragées un minimum. Nous avions demandé 0% de charges pour tous les contrats alternés et cette mesure n’a pas été accordée. Nous comptons vraiment sur le gouvernement pour reprendre les discussions sur ce sujet afin d’encourager les entreprises à embaucher des jeunes (en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation) dès la rentrée. Sans une mesure dans ce sens, 10 000 jeunes se verront refuser une formation en alternance par manque d’employeur en septembre.

*Les 2 autres structures sont : l’Union compagnonnique des devoirs et la Fédération compagnonnique du bâtiment.

(Propos recueillis par Sophie Lhameen)




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Sophie Lhameen
Sophie Lhameen, journaliste multimédia (web et print), a travaillé pendant 15 ans comme journaliste spécialisée sur l'Afrique avant de devenir en 2008, rédactrice en chef adjointe du magazine Le MOCI (Moniteur du commerce international) jusqu'en janvier 2013. Ses centres d'intérêt : l'entreprise, le management, les ressources humaines, l'emploi, l'économie, l'intelligence économique et de l'international. Google+