Juriste/ pigiste/ dessinatrice

Eugénie a décidé de tout cumuler : son emploi de juriste, ses piges dans un magazine spécialisé dans le droit social et ses dessins pour des livres d’enfant (sans oublier son rôle de maman). A 35 ans, cette BAC + 5 rapidement CDIsée a suivi jusqu’à présent une trajectoire linéaire. Mais elle n’a pas pu dire non à des opportunités professionnelles qui lui permettent aujourd’hui de se réaliser pleinement : « J’ai la chance de ne pas faire du droit 7 jours sur 7. Lorsque j’en ai marre de mes dossiers, je peux passer au dessin, une autre activité tout aussi enrichissante. L’écriture d’articles aussi m’apporte beaucoup… » La jeune femme salariée est payée en droits d’auteur pour ses dessins et en piges pour ses papiers. Trois statuts qu’elle cumule depuis maintenant trois ans.  « C’est parfois difficile de jongler entre toutes mes activités professionnelles, avoue-t-elle. J’ai souvent la tête comme une citrouille ». D’autant qu’elles se situent dans des mondes bien séparés. « Mon éditeur sait vaguement que je fais du droit mais ça ne l’intéresse pas ».
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16% de la population active

Comme Eugénie, de nombreux actifs peuvent désormais se prévaloir du statut de slasheur, du mot slash : barre oblique utilisée comme élément de séparation. En 2010, le poids de cette catégorie était estimé à 2,5 % de la population active. Il serait désormais de 16 %, soit 4,5 millions de personnes. Encore déroutants pour beaucoup d’entreprises, ces profils multi-compétences et pluridisciplinaires s’affichent sur les cartes de visite où l’on n’hésite pas à écrire Assistante administrative/blogueuse/couturière. Il suffit de jeter un coup d’œil aux réseaux sociaux professionnels et vous verrez ce genre de profil pulluler.

Un moyen de mieux rebondir

Mais pourquoi ce phénomène s’est-il répandu en France ces dernières années ? D’abord par nécessité économique. Avec la crise, nombreux sont ceux qui ont voulu augmenter leurs revenus en cumulant au moins deux activités. C’est aussi un moyen de mieux rebondir lorsqu’une première activité est menacée ou en baisse. Du côté des entreprises, l’embauche de salariés à temps partiel ou de freelances est aussi devenue une solution pour ne pas prendre le moindre risque financier. Ainsi, un slasheur qui occupe un autre poste ailleurs et se contentera de remplir une mission répond à une demande croissante des entreprises.
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L’autoentreprise,
vecteur de retour à l’emploi

Le régime autoentrepreneur, applicable depuis le 1er janvier 2009, y a fait aussi pour beaucoup. « Clairement, c’est grâce à la création de ce statut que des personnes ont pu se lancer, explique Catherine Pelège, consultante RH chez Pact Conseils, un cabinet spécialisé dans l’accompagnement professionnel. L’entrepreneuriat est devenu beaucoup plus accessible, à la fois pour les jeunes et des gens plus âgés. C’est un excellent vecteur de retour à l’emploi ».

Un statut instable et précaire

Un tiers des slasheurs sont ainsi autoentrepreneurs, un statut souple mais qui a tout de même ses limites, estime Catherine Pelège. « Pour Pôle Emploi, l’autoentreprise est considérée comme une deuxième activité, rappelle-t-elle. Il y a un décalage entre l’interprétation de l’administration et ce que les gens en font ». Pour la consultante, le statut n’est pas pérenne et doit permettre de rebondir vers le statut de chef d’entreprise ou un retour au salariat. « Quand on arrête son activité d’autoentrepreneur, on n’a rien derrière (pas d’indemnités de retour à l’emploi). Et on n’est pas bien couverts ». Sans parler du regard des banques et des propriétaires qui voient dans ce statut un marqueur d’instabilité et de précarité.
Et certaines entreprises ne sont pas vraiment enthousiastes face aux profils « multitâches » « Les recruteurs aiment bien les parcours classiques. Si le futur salarié a multiplié les casquettes, ils auront des doutes sur sa capacité à rester stable et à rentrer dans le rang », explique Catherine Pelège.
Slasher apparaît donc comme une bonne façon de multiplier les expériences et de s’enrichir au sens propre comme au sens figuré. Reste que ce statut hybride n’est pas encore bien vu par une grande partie du monde professionnel et le milieu bancaire. Gagnera-t-il un jour ses lettres de noblesse ou disparaîtra-t-il avec la réforme du régime autoentrepreneur régulièrement menacée ? Donnez-nous votre avis en bas de cet article et échangeons sur le sujet.