Pour apprécier “Tricher n’est pas recruté”, mieux vaut avoir lu Aventure de chasse sous les tropiques

Le lendemain matin commencent les entretiens avec Siobud.
Jean-Jacques Galant porte beau, la quarantaine, tiré à quatre épingles. Un cursus adapté à ce que nous cherchons. HEC, 20 ans de métier, des références hors pair, un temps dans l’océan indien et une longue période dans divers établissements de l’arc caraïbes,  mais c’est un métropolitain ! Le pressentiment de trouver l’oiseau rare recherché. Souvent le premier entretien nous offre cette aubaine, qui n’empêche pas de faire tous les autres. Siobud  se trémousse sur son fauteuil.
– Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?
– Le jour où j’ai été nommé directeur du Hilton du Caire….
– Et le plus mauvais ?
– Le plan social que j’ai mené en métropole dans un Holiday Inn…
Galant répond à toutes nos exigences, sauf la couleur de sa peau. Pourtant ma certitude du départ s’estompe. Quelque chose me gène chez lui. Et je fais entrer le candidat suivant.  Georges Erivan, le seul antillais de la sélection, 40 ans, le style moins élégant, le geste emprunté. Un cursus intense, il a démarré à la base, s’est hissé au niveau de directeur. Des postes occupés chez Hilton, Sheraton, un anglais parfait. Je bloque sur un point de son CV.
–   2003/2004, cela peut faire deux jours ou deux ans…
Erivan gêné.
–  Il s’est passé un certain temps avant que je retrouve un poste….
–   Combien de mois ?
Il se  tord sur le fauteuil, prend la mine de l’hôtelier qui ne peut satisfaire un client. J’insiste.
– Vous avez un trou de presque une année dans votre CV,  vous ne voulez pas vous expliquer…
–  …  j’étais au Ritz de Londres…
–  Pourquoi ne pas le mettre sur votre CV ?
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–  Pas comme Directeur, mais …  chef barman…
–  Et alors…?
–  Cela fait tâche dans un CV…
–  Au contraire, il n’y a pas de petit boulot… il n’y a que de grands fainéants.
–  Pour certains patrons de chaines internationales,  chef barman cela vous élimine…
–  Si un patron trouve inopportun que vous ayez été chef barman, mieux vaut ne pas aller chez lui, il y aura bien d’autres sujets sur lesquels vous ne serez pas en phase. Parlez moi donc de cette expérience au Ritz.
–  Je gagnais bien, les pourboires doublaient mon salaire, sans être imposé…. pour moi, c’était important de travailler, je n’ai jamais accepté de dépendre des autres…. en plus c’est comme cela que j’ai trouvé un poste de directeur, vous savez, dans les palaces on sait tout, les grands patrons de chaînes internationales y descendent, de fil en aiguille, j’ai appris qu’un poste se libérait à Houston.
Il se retire en nous saluant avec insistance et je me retrouve en tête à tête avec Siobud.
– Le voilà votre directeur ! un antillais ! vous devez être content
– Je ne veux pas un barman… un serveur, pourquoi pas un domestique…
– Mais c’est un directeur d’hôtel…
– Il n’a pas de diplôme, juste un barman pas à la hauteur…. qui cache des choses dans son CV,  un menteur par omission, je ne peux pas lui faire confiance…
– Vous devriez saluer son courage…. souvent il vaut mieux un mauvais emploi qu’un bon chômage.
– J’en veux pas, seul un descendant d’esclave  accepte un tel poste au service des riches… il n’est pas à la hauteur… je préfère le métro…
– Je ne vous comprends plus, vous avez l’homme de la situation, un antillais, il est sur place, pas de déménagement, pas de risque de ne pas s’habituer, il parle créole….lui saura adapter son  management au personnel antillais…
– Je voudrais revoir votre blanc…
Nous avons le choix entre ces deux candidats.  Siobud très énervé se fait apporter un punch, j’allume mon PC pour vérifier un point. Galant entre de nouveau dans le bureau et s’installe devant nous d’un air confiant. Et Siobud de le questionner sur tout et rien, sur la colonisation, les DOM, les postes occupés au Antilles par des métropolitains… Je me connecte sur Diplosearch, un site qui compile les diplômés de toutes les écoles de commerce et d’ingénieurs de France. Je requête dans le moteur de recherche Galant. Rien. Je recommence. Rien. Coup de tonnerre. Il n’est pas inscrit dans l’annuaire HEC. Il a triché.
– Pourquoi avez-vous menti !!!
– ???
Je tends le PC à Siobud qui écarquille les yeux.
– Vous mettez sur votre CV un diplôme que vous n’avez pas….
– Vous vous êtes dit, ces antillais n’y connaissent rien…
Je calme le syndicaliste pour laisser Galant s’expliquer.
– N’importe qui peut contrôler, vous êtes un garçon intelligent, comment pouvez-vous faire une telle erreur, vous le savez, c’est facilement vérifiable…
– … justement, parce que c’est vérifiable facilement, tout le monde pense que si je le marque c’est que je l’ai, personne n’en doute depuis 15 ans. Vous êtes le premier…
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Il prend ses papiers, marmonne une politesse et s’en va.
Siobud d’un air reconnaissant se lève.
– Bien joué, le chasseur, je prends l’antillais du Ritz !
Le calme est revenu. Le Directeur rasséréné. Siobud parti sur d’autres terrains de lutte. Le soleil couchant dessine les palmes des cocotiers, la nuit chaude tombe d’un seul coup sur l’île.
“Le noms des personnes, des entreprises et des lieux ont été changés.”
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Paul-Emile Taillandier
Après l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et la Faculté de Droit d’Assas, Paul-Emile Taillandier commence sa carrière comme chargé de mission au Cabinet du Préfet de la Guadeloupe, puis devient secrétaire général d’une Union Régionale du MEDEF. De 1986 à 2008, il dirige le cabinet de recrutement Taillandier Conseil. En 2008, il crée Talents-Clés Conseil, cabinet spécialisé dans le recrutement de profil rare et fonde en 2012 "Cadre et Dirigeant magazine". Auteur d’un roman La Nuit Créole et d’un e book Curriculum à éviter. Page Google+