CDM : Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter votre entreprise après 15 ans ?
Jacques :
 Je suis rentré en France en avril 2015 et en janvier 2016, j’ai donné ma démission après 15 ans de services.  Le poste proposé à mon retour était adapté « dans l’absolu », mais à distance je n’avais pas évalué le contexte de la filiale dans laquelle j’allais intervenir.
CDM : Quel contexte avez-vous découvert ?
Jacques 
: La filiale que j’ai rejointe  vivait en réalité une transformation majeure qui a dans les mois à venir fortement impacté mon travail et la façon d’évaluer mes résultats, et cela sans possibilités de leviers de ma part. Ce n’est pas quelque chose que j’avais perçu en entretien ou que l’on m’avait ouvertement « vendu »… Mon intérêt pour rejoindre la filiale aurait été différent.
CDM : C’était la seule raison ?
Jacques 
: On m’a demandé de prendre très rapidement mon poste (il n’y avait pas vraiment des tonnes d’opportunités…). J’ai donc fait du « part time » entre l’Asie et la France les premiers mois. Ce qui avec du recul n’était pas bon, ni pour bien terminer ma mission en Asie, ni pour m’intégrer auprès de mes nouvelles équipes. En revanche, j’ai pu « sentir le vent venir » et me rendre compte que cette transformation ne me laisserait aucune marge de manœuvre et que ma performance en serait potentiellement impactée.
CDM : Et votre famille ?
Jacques : J’ai décidé avec mon épouse que dans un premier temps elle ne s’installerait pas avec les enfants dans la région où j’étais muté, au cas où les choses n’iraient pas…. Une grosse erreur sur le coup ! Car l’équilibre et le support familial au retour est plus qu’indispensable.  La combinaison du décalage entre ma perception du poste et la réalité, d’une intégration « hachée », le manque de « leviers » possibles dans mon travail, l’absence de perspective, et l’éloignement de ma famille  m’a poussé à prendre cette décision radicale.
CDM : Qu’est ce qui a été le plus difficile à vivre ou à accepter…dans tout cela ?
Jacques :
Le manque de leviers et la conviction que les choses n’allaient pas changer de sitôt ! Je m’en voulais de ne pas l’avoir perçu lors des entretiens à distance,  les quelques collègues que j’ai questionnés avant de prendre le poste ne travaillaient pas sur le site. Les mois passaient, pour la 1ère fois de ma vie, je n’étais « pas à la hauteur » et cela « malgré moi ». J’en étais gêné vis-à-vis de mon réseau, je me battais contre un mur, dans une filiale finalement cloisonnée et je me sentais en « échec », seul. Une situation difficile à vivre.
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CDM : Que ressentez-vous aujourd’hui ? Vous êtes déçu ? Frustré ? En colère ? Heureux de rebondir ailleurs ?
Jacques : Une certaine déception bien sûr,  je n’avais pas prévu de quitter mon entreprise,  et je m’y projetais encore. Pour autant, je suis fier et heureux de ne pas avoir continué à subir « ce contexte » et d’avoir osé prendre mon destin en main.
CDM : Comment avez-vous réussi à trouver rapidement ?
Jacques :
J’ai été agréablement surpris, mon expérience à l’étranger se valorisait bien sur le marché, mes collègues l’ont constaté aussi en quittant « cette même filiale » à leur retour d’expatriation…  Je suis aussi content d’avoir écouté « mes doutes » et de ne pas avoir installé ma famille dans cette nouvelle région. Car cela m’a offert un argument de choc pour justifier mon souhait de départ de l’entreprise «Envie de revenir dans le grand-ouest pour être avec ma famille… ». Bien que j’aie constaté que le motif « pas de poste adéquat à mon retour d’expatriation » était un motif parfaitement compris et accepté par les chasseurs de têtes et entreprises.
CDM : Avec du recul sur ce qui vient de se passer, qu’auriez-vous dû/voulu faire mieux ou différemment ?
Jacques :
La période de transition « part-time » n’était pas une bonne chose. J’étais « dans le gros boom » tout de suite et je n’ai pas pris le temps de me réintégrer.
Et en matière d’intégration, j’ai fait des erreurs dans mes échanges avec les autres, j’ai pu « agacer » ma hiérarchie ou mes collègues en prenant trop souvent en exemple l’Asie, ce que j’y avais fait… Il y a eu forcément des ressentis, du rejet, de l’inintérêt, voire de la jalousie autour de moi, ce qui explique peut-être le fait que je me sois senti seul parfois. Dès mon arrivée, j’aurai dû partager mon analyse, le décalage perçu avec ma hiérarchie et mon réseau au-delà de la filiale.  Et clairement, avant d’accepter le poste, j’aurais dû contacter des personnes de la filiale. Dans mon cas, c’était difficile, ma mutation et celle de la personne que j’allais remplacer étaient confidentiels.
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CDM : En voulez-vous à votre entreprise ?
Jacques :
Je ne sais pas. J’ai surtout été frappé par la lourdeur et la rigidité du cadre social français, et le côté cloisonné des équipes. C’est vrai, je m’attendais quand même à ce que mon entreprise s’occupe davantage de ma réintégration, facilite les relations… que les choses soient efficaces et bougent plus vite. Rien n’a été fait de ce côté-là.
CDM : Quels conseils donneriez-vous aux expatriés qui rentrent cet été ?
Jacques :
Il est essentiel de bien comprendre les contours de votre poste, son contexte, ses enjeux et de penser à recueillir des informations sur la filiale que vous rejoignez également. On prend « un poste » mais avant tout on intègre «  une filiale » avec une stratégie, des résultats, des ambitions, des changements. Il faut, si possible, rencontrer des personnes de la filiale concernée.
CDM : Finalement, c’est comme si on changeait d’entreprise ?
Jacques : On doit en effet préparer sa réintégration comme on le fait lorsqu’on rejoint une nouvelle entreprise, rencontrer des personnes, renouer avec son réseau,  chercher des infos,  parler de son expatriation avec une certaine distance et le ton juste pour éviter jalousie, rejet … Comme une distanciation à faire avec son expatriation. Dans mon cas, j’aurai dû regarder si dans ma filiale, s’il y avait des anciens de l’école Arts et Métiers…
CDM : Un accompagnement vous aurait été utile pour gérer la transition du retour d’expatriation ?
Jacques : Cela m’aurait permis de prendre tout de suite la mesure de la situation, de mieux analyser le poste et son contexte, prendre du recul par rapport à mon expatriation, sur ce que je vivais,  et mettre en place des actions utiles dès le début. Ma réintégration aurait été différente.
CDM : En conclusion, l’expatriation est une épreuve difficile ?
Jacques : C’est difficile de partir, mais le retour peut être encore plus difficile pour toutes ces raisons, et aussi parce que l’expatriation vous change. Il faut prendre du recul par rapport à cela. Dans mon cas, en expatriation j’ai développé le côté «autonomie», «responsabilisation», «opérationnel», et ce n’est pas anodin si finalement je quitte mon entreprise pour une plus petite structure… En fait le « saut professionnel » espéré par tant d’expatriés à leur retour se fait plutôt « le poste d’après ». Il faut davantage tabler sur une évolution en 2 temps et considérer le poste au retour comme une réintégration ou une transition.
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