Comment ne pas tomber amoureux… d’une action

Comment ne pas tomber amoureux… d’une action

Investir en bourse ne se résume pas à suivre des chiffres ou des tendances. C’est un exercice subtil de discipline intellectuelle et émotionnelle, où la psychologie peut autant influencer la performance que l’analyse fondamentale. Parmi les biais comportementaux les plus fréquents et pourtant les plus insidieux figure celui que l’on nomme communément “tomber amoureux d’une action”.

Ce phénomène se produit lorsque l’attachement émotionnel à une valeur, qu’il s’agisse d’une entreprise admirée, d’un secteur que l’on connaît bien ou d’une performance passée prometteuse, prend le pas sur la rationalité. Le gérant commence à interpréter les nouvelles à travers le prisme de sa préférence, à sous-estimer les risques, à ignorer les signaux d’alerte. La conséquence est souvent la même : vendre trop tard, ou ne jamais vendre, au détriment de la performance globale du portefeuille.

La passion pour l’entreprise remplace l’objectivité

Historiquement, les marchés regorgent d’exemples où ce biais a coûté cher. Pensez à la bulle technologique des années 2000 : de nombreux gérants et investisseurs institutionnels ont maintenu des positions sur des titres qu’ils admiraient intellectuellement mais dont les fondamentaux ne justifiaient absolument plus le prix. La passion pour l’entreprise a remplacé l’objectivité, et lorsque la correction est survenue, les pertes ont été significatives. Ce type de biais n’est pas rare : des études en finance comportementale montrent que même les professionnels expérimentés y sont sensibles, que ce soit par excès de confiance, biais de confirmation ou simple attachement émotionnel.

Alors, comment garder la tête froide ? La première étape consiste à reconnaître le risque. Admettre que l’attachement émotionnel peut interférer avec le jugement est fondamental. Mais la reconnaissance seule ne suffit pas. Il faut structurer la gestion autour de processus rigoureux et transparents. Chaque décision d’achat ou de vente doit reposer sur des critères objectifs, réévalués régulièrement. Les gérants ne doivent pas se laisser guider par leurs préférences personnelles mais par l’analyse des fondamentaux, les perspectives sectorielles et la comparaison constante avec des alternatives.

L’organisation de la réflexion est cruciale

Documenter chaque décision, confronter ses hypothèses à des contre-arguments, tester différents scénarios et respecter des seuils de sortie prédéterminés sont autant de garde-fous contre l’attachement excessif. Cette discipline transforme l’émotion en un outil au service de la performance, plutôt qu’en frein ou source d’erreur.
La gestion d’un portefeuille doit faire preuve d’objectivité. Pour cela, il est essentiel de se doter d’outils fiables, permettant de prendre du recul et d’évaluer une valeur sous différents angles, en s’appuyant toujours sur les mêmes indicateurs afin de conserver des repères.

Tomber amoureux d’une action est humain

Ignorer ce phénomène serait naïf. S’en laisser piéger est coûteux. La clé réside dans une rationalité systématique, une vigilance constante et une architecture de décision robuste. Les gérants qui réussissent ne cherchent pas à éliminer leurs émotions, ce serait illusoire, mais à les structurer et à les mettre au service d’un processus discipliné, garantissant la cohérence et la performance d’un portefeuille sur le long terme.

Au final, investir, c’est aimer l’action… mais pas au point de se laisser aveugler. C’est transformer l’enthousiasme et la curiosité en un moteur de discipline, et faire de la rationalité et de l’objectivité, les véritables guides de l’investissement. Et c’est dans cette alchimie que réside la différence entre un portefeuille performant et un portefeuille vulnérable aux caprices de l’émotion.

Michel Menigoz, Directeur Général Adjoint de Sanso Longchamp Asset Management: Directeur Général Adjoint de Sanso Longchamp Asset Management, en charge de la gestion actions et des fonds équilibrés. Actuaire diplômé de l’ISUP et titulaire d’une maîtrise de mathématiques de l’Université Pierre et Marie Curie, il a dirigé les gestions actions internationales chez SG Asset Management avant de rejoindre Sanso. Fort de son expertise en allocation, gestion quantitative et intégration des critères ESG/ISR, il pilote aujourd’hui les stratégies d’investissement responsables sur les actions internationales et les fonds diversifiés du groupe.