Réforme de la facturation électronique : transformez une contrainte réglementaire en levier de performance

Grégoire Person et Thomas le Boucher associés fondateurs de Cyplom avocats.

Réforme de la facturation électronique : comment transformer une contrainte réglementaire en un levier de performance ?

Souvent perçue à tort comme une simple mise à jour informatique, la réforme de la facturation électronique est avant tout une révolution fiscale et organisationnelle : elle oblige les entreprises à repenser entièrement leur organisation et leurs processus de facturation.

L’enjeu réel ne réside donc pas dans le choix d’un outil, mais bien dans la gouvernance de la donnée et la maîtrise du risque fiscal. C’est en traitant ces enjeux de fond que l’entreprise peut métamorphoser cette obligation en une véritable opportunité.

Portée de la réforme : cadre opérationnel

La réforme ne se contente pas de dématérialiser les factures. Elle restructure les flux de données autour de deux axes principaux :

  • L’e-invoicing (facturation électronique) : L’obligation d’émettre et de recevoir les factures domestiques B2B via des plateformes certifiées.
  • L’e-reporting (transmission de données) : L’obligation de transmettre à l’administration fiscale les données des opérations non couvertes par l’e-invoicing (transactions B2C, ventes à l’international).

Pour fonctionner, ce système s’appuie sur un écosystème d’opérateurs agréés – les Plateformes – et sur des formats de données structurés (tels que Factur-X, UBL ou CII). L’objectif de ces standards est clair : garantir une intégration automatisée et fiable des informations, de système à système.

2 – Le succès : faire de la “data” le cœur du réacteur

C’est précisément ici que la contrainte réglementaire se transforme en un levier de performance. Le succès du déploiement ne dépendra pas de l’outil choisi, mais bien de la capacité de l’entreprise à fiabiliser ses données en amont.

De nombreuses organisations sous-estiment cet enjeu et opèrent encore avec des référentiels de “maigre qualité”. Une base de clients sans numéros SIREN valides, des adresses incomplètes ou des fiches fournisseurs obsolètes sont autant d’exemples courants. Or, dans le nouvel écosystème de la facturation électronique, une donnée incorrecte ou manquante n’est plus une simple anomalie administrative : elle bloque le flux ou l’automatisation. La facture est rejetée, le paiement est retardé, et l’automatisation promise s’effondre.

Pour transformer l’essai, l’entreprise doit impérativement maîtriser plusieurs chantiers critiques.

Le premier, et le plus fondamental, est la fiabilisation des données de base. Assurer la propreté des référentiels tiers, clients comme fournisseurs, n’est plus une simple option de confort. C’est désormais la condition sine qua non pour que les factures puissent être émises et reçues correctement dans un environnement automatisé.

Le second chantier concerne la robustesse du paramétrage TVA. L’automatisation des flux exige un paramétrage des régimes de TVA qui soit infaillible. Cet effort est crucial pour sécuriser les déclarations, éviter les rejets de flux par les plateformes, et prémunir l’entreprise contre d’éventuels redressements fiscaux.

Vient ensuite la nécessité de structurer le référentiel du routage. Pour que l’automatisation fonctionne en réception, l’entreprise doit définir une logique claire permettant aux tiers d’adresser les factures en automatique aux bons services, aux bons valideurs ou aux bons centres de coûts.

Ce point est indissociable du dernier chantier : la gestion contractuelle et la collaboration avec les fournisseurs. L’effort de structuration interne sera vain si les partenaires ne jouent pas le jeu. L’entreprise doit activement “entraîner” ses fournisseurs, que ce soit par le biais de clauses contractuelles ou d’une communication ciblée, à indiquer les références indispensables sur leurs factures. Un numéro de bon de commande, un code suffixe ou un identifiant de projet devient la clé qui permet un routage et un rapprochement entièrement automatisés dès la réception.

3 – Au-delà de la conformité : faire de la réforme un vecteur de valeur

L’automatisation comme gage de fiabilisation fiscale

Pour garantir le succès de la réforme, la gestion de la TVA doit être automatisée. Cette automatisation met fin au caractère subjectif de la détermination des régimes de TVA, une tâche souvent complexe laissée à la charge d’équipes opérationnelles qui ne sont pas toujours formées pour arbitrer des cas fiscaux pointus. En systématisant la détermination des régimes applicables, tant à la vente qu’en vérification à l’achat, l’entreprise réduit de façon drastique le volume de corrections manuelles, chronophages et sources de risques. Elle facilite également l’audit par les tiers (CAC et auditeurs dans le cadre de process de ventes ou d’achats) de la gestion fiscale.

Plus fondamentalement, cette approche consolide la Piste d’Audit Fiable (PAF). L’implémentation de nouveaux contrôles internes, embarqués nativement dans les flux de facturation automatisés, renforce la traçabilité de chaque transaction et la robustesse du système d’information, gage de qualité pour un Inspecteur dans le cadre d’un contrôle fiscal.

Vers un pilotage financier enrichi et en temps réel

La réforme génère une nouvelle source de données. Les données de facturation structurées, ainsi que les statuts de paiement qui transiteront obligatoirement par les plateformes (pour les opérations concernées), offrent à la Direction Financière une visibilité à la fois granulaire et immédiate sur l’activité.

L’entreprise peut dès lors créer un reporting dynamique permettant de disposer d’une vision fiable du chiffre d’affaires facturé, non plus à la clôture, mais en quasi-temps réel.
Cette nouvelle transparence permet également d’auditer les flux en continu pour des besoins fiscaux ou de contrôle interne, et d’identifier avec précision certaines factures non payées ou les goulots d’étranglement dans le cycle de paiement, offrant un levier puissant pour l’optimisation du BFR.
L’un des apports annexes majeurs sera l’automatisation de la réconciliation entre les données déclarées dans la CA3 et les données sources du système comptable. Ce processus deviendra le cœur de la gestion des obligations déclaratives et placera l’entreprise en position de force pour justifier tout écart éventuel avec les données pré-remplies par l’administration fiscale.

Assainir les relations fournisseurs et clients

Le projet de facturation électronique est une opportunité unique pour nettoyer et enrichir en profondeur le référentiel tiers. Cette base de données, souvent négligée, devient un actif critique.
Au-delà de l’obligation fiscale d’assurer la validité des SIREN, la fiabilisation des données fournisseurs et clients est un rempart essentiel contre la fraude, notamment la fraude à l’IBAN ou à l’identité.
Un référentiel propre et à jour fluidifie également l’ensemble des opérations commerciales, réduit les litiges liés à une mauvaise imputation et accélère le traitement des paiements.

4 – La rationalisation des processus

La mise en place de la réforme exige, en prérequis, une cartographie exhaustive des flux Procure-to-Pay et Order-to-Cash. Ce travail d’inventaire, souvent perçu comme une contrainte, est en réalité un formidable outil de diagnostic. Il est opportun pour les entreprises de capitaliser sur cette analyse pour documenter rigoureusement les opérations, identifier les incohérences, les tâches redondantes et les erreurs réalisés.

À partir de cette documentation, l’entreprise doit anticiper la nouvelle gouvernance de la donnée et définir les contrôles internes qui en découlent. Il s’agit d’une conduite du changement profonde, généralement pilotée par la Direction Administrative et Financière, mais qui irrigue l’ensemble de l’organisation : la Direction Comptable, la Direction des Systèmes d’Information, mais aussi la fonction Fiscale, les Achats et les Ventes. Pour pérenniser les acquis de ce projet, l’entreprise doit désigner une personne ou une fonction en charge de la qualité de la donnée sur le long terme.

5 – Evaluation des gains

Pour légitimer un tel investissement et en mesurer les bénéfices, il est nécessaire de mettre en place des indicateurs de performance (KPIs) clairs. Le suivi doit porter sur la qualité des référentiels, en mesurant la qualité initiale, son évolution dans le temps, et le délai moyen de mise à jour des informations. Il doit aussi évaluer la robustesse du paramétrage, en suivant le nombre d’erreurs identifiées en matière de TVA avant émission ou la traçabilité des cas dérogatoires. La performance des processus sera mesurée par l’accélération tangible du processus déclaratif et la réduction des délais de réconciliation.

En prenant conscience de l’ensemble des impacts de la réforme, l’entreprise peut transformer une contrainte de conformité. La facturation électronique ne se réduit alors pas à une obligation informatique. Elle constitue un levier structurant pour fiabiliser les données, discipliner les processus et améliorer le pilotage financier. La valeur créée dépendra moins du choix de l’intermédiaire que de la qualité des référentiels, de la rigueur de l’exécution procédurale et d’une gouvernance explicite de la donnée. Un diagnostic rigoureux, suivi d’une mise en place globale maîtrisée, permettra de convertir l’obligation réglementaire en avantage opérationnel durable.

Gregoire Person et Thomas Le Boucher, avocats au barreau de Paris et co-fondateurs du cabinet Cyplom Avocats, spécialisé dans la fiscalité du numérique: Grégoire Person accompagne entreprises et opérateurs en ligne sur les questions de TVA, de conformité et de fiscalité internationale. Avant de fonder Cyplom, il a exercé au sein de Fidal et KPMG Avocats. Thomas Le Boucher spécialisé dans la fiscalité numérique et la TVA pour les acteurs internationaux, accompagne les entreprises dans leurs flux import-export et leurs obligations TVA, notamment à l’occasion du Brexit. Avant de fonder Cyplom Avocats, il a exercé chez Fidal puis KPMG Avocats, et acquis une forte expertise en matière de taxes indirectes et e-commerce.