Contrefaçon de Rolex et parasitisme : Pop Art et propriété intellectuelle

Contrefaçon de Rolex et parasitisme

 

 

 

 

 

 

 

 

Contrefaçon de Rolex et parasitisme : Pop Art et propriété intellectuelle
Par jugement du 2 avril 2025, le Tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 3ème ch., 3ème s., n° 23/04114) a condamné l’artiste Johann Perathoner poursuivi par ROLEX pour atteinte à la renommée de ses marques et parasitisme en raison de l’utilisation non autorisée des marques “ROLEX” dans la promotion de ses œuvres, lesquelles intégraient aussi des reproductions des montres.

Les faits : Johan Perathoner se présente comme un artiste plasticien dont les influences sont issues du courant Pop Art. Ses créations sont proposées par plusieurs galeries dans différents pays du monde, sur son site internet et sur ses réseaux sociaux Facebook, Instagram et YouTube.

En 2018, il a créé une collection d’œuvres en trois dimensions intitulée “3D Watches”, représentant des villes miniatures intégrées dans des cadrans reproduisant les boîtiers des montres les plus emblématiques de la haute horlogerie, telles que ROLEX, AUDEMARS PIGUET ou encore PATEK PHILIPPE :
Outre la reproduction des boîtiers et bracelets emblématiques, les tableaux étaient accompagnés de titres reprenant les marques verbales des montres, incluant également leurs références, telles que « Yacht-Master », « Milgauss » ou « GMT-Master ».

Estimant que cette activité portait atteinte à ses droits, ROLEX a mis en demeure l’artiste de cesser toute utilisation de ses marques, avant de l’assigner devant le Tribunal judiciaire de Paris pour atteinte à la renommée de ses marques et parasitisme.

1 – L’atteinte à la renommée des marques ROLEX

ROLEX se prévalait de la renommée de ses marques afin de contester les actes litigieux sur le fondement de l’atteinte à la renommée, et ce afin non seulement de bénéficier d’un caractère distinctif renforcé, mais également de s’affranchir du principe de spécialité pour s’opposer à l’activité litigieuse de vente de tableaux.

En l’espèce, le Tribunal reconnaît la renommée des marques verbales ROLEX et semi-figurative , retenant que « l’importance du budget publicitaire sur plusieurs années, le référencement de la marque dans la presse française, l’existence de sondages et d’enquêtes de notoriété, ainsi que l’usage prolongé et l’étendue géographique de la marque ».

Il relève ensuite que M. Johann PERATHONER « a fait usage de signes identiques sur ses réseaux sociaux, dans un clip promotionnel et lors d’une exposition artistique organisée en avril et mai 2022 à l’hôtel Royal Monceau ». Il procède alors à un contrôle de proportionnalité entre la liberté d’expression artistique et le droit des marques pour finalement retenir l’atteinte à la renommée des marques ROLEX aux motifs que :

… « si l’utilisation des signes “Rolex” dans les titres des œuvres de M Johann Perathoner relève de son expression artistique, la promotion de ces œuvres grâce à ces signes sur les réseaux sociaux et dans son clip vidéo dépasse néanmoins les usages loyaux en matière industrielle et commerciale. En effet, l’examen de ces pièces révèle de nombreuses exploitations des marques renommées “Rolex” à des fins promotionnelles, les signes étant parfois même associés au terme “Watch” désignant les montres. De même, un clip vidéo diffusé sur YouTube, mettant en avant un service de personnalisation de tableaux, affiche les signes “Rolex” ainsi que son logo à la couronne ».

Dans ce contexte, l’identification de la marque sert un objectif d’auto-promotion, M. [I] tirant parti de la notoriété de ces marques pour valoriser ses œuvres. Face à la présence des signes distinctifs et du logo à la couronne dans une vidéo commerciale ainsi qu’à la reproduction à l’identique des marques sur les réseaux sociaux, le public pertinent composé des amateurs de montres de luxe ne peut qu’associer ces éléments aux marques des sociétés Rolex et peut donner à penser qu’il existe un lien commercial entre lui et ces sociétés.

Dès lors, l’usage de ces marques par M. [I] ne respecte pas les principes de loyauté en matière commerciale et l’atteinte à la renommée des marques “Rolex” n° 976721, n° 1355807 et n° 476371 est caractérisée ».
En revanche, la renommée n’a pas été reconnue pour les marques protégeant les modèles « Yacht-Master », « Milgauss » et « GMT-Master », le Tribunal ayant relevé que les éléments de preuve produits par ROLEX associaient systématiquement ces modèles à la marque ROLEX et à son emblème de la couronne stylisée, sans exploitation autonome de ces dénominations, éléments jugés ainsi insuffisants pour établir la renommée.

2 – L’absence de contrefaçon des marques protégeant les modèles « Yacht-Master », « Milgauss » et « GMT-Master »

Aucune demande subsidiaire en contrefaçon des marques « Yacht-Master », « Milgauss » et « GMT-Master » ne semble avoir été formulée, certainement en raison du principe de spécialité, qui limite la protection aux produits et services similaires à ceux couverts par ces marques, à savoir les montres, a priori différentes des tableaux objets du litige.

Cela étant, cette solution peut paraître insatisfaisante, dès lors que les marques sont reproduites pour désigner des tableaux représentant des montres, créant de fait indéniablement un risque de confusion.
On peut donc s’interroger sur le fait de savoir si un tableau reproduisant une montre ne peut pas être jugé similaire aux montres dans le cadre de l’appréciation du risque de confusion, ce qui aurait alors ici permis de sanctionner ces reproductions illicites des marques non renommées sur le terrain de la contrefaçon de marque.

3 – La condamnation pour des faits distincts de parasitisme

En cas de condamnation pour des actes de contrefaçon de marque, le parasitisme peut également être retenu à titre principal, mais uniquement en présence de faits distincts, afin d’éviter une double condamnation pour des faits identiques. En l’espèce, plusieurs faits distincts auraient pu facilement caractériser des actes de parasitisme :

  • D’une part, l’utilisation par l’artiste des noms des modèles « Yacht-Master », « Milgauss » et « GMT-Master », pour lesquels aucune condamnation n’a été prononcée sur le fondement de la contrefaçon de marque ;
  • D’autre part, la reproduction des boîtiers et bracelets des montres, qui n’a pas été sanctionnée au titre du droit d’auteur (sans doute non invoqué en raison d’une part de la liberté d’expression artistique, et d’autre part du caractère incomplet des reproductions ne reprenant notamment pas les cadrans).

Pourtant, c’est sur un autre fondement que le Tribunal retient le parasitisme, à savoir l’atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial “Rolex”, aux motifs que : « En l’occurrence, les demandes des sociétés Rolex reposent sur l’usage de la dénomination sociale et du nom commercial “Rolex”, relevant de faits distincts des actes de contrefaçon… M. [I] a multiplié les références aux signes “Rolex” dans le cadre de son activité artistique, les évoquant dans ses publications sur les réseaux sociaux pour présenter et promouvoir ses œuvres, créant un risque d’association directe dans l’esprit du consommateur, amené à croire à l’existence d’un lien ou d’un partenariat entre les parties à l’instance. Cette association est réelle, comme en atteste la vente d’œuvres d’art mentionnant les signes “Rolex”, rendue possible grâce à la notoriété acquise par les dénominations des sociétés Rolex, comme l’affirme M. [I] lui-même : “les quelques collectionneurs ayant acheté les montres Rolex, dans lesquelles étaient incluses les villes […] sont déjà des possesseurs des montres” (pièce Rolex n° 7.2). »

Or, il s’agit précisément des mêmes faits que ceux caractérisés sur le fondement de l’atteinte à la renommée des marques ROLEX, seuls les fondements juridiques diffèrent, portant non plus sur les marques mais sur la dénomination sociale et le nom commercial, lesquels restent pourtant identiques.

A cet égard, un arrêt récent de la Cour de cassation considère qu’un « même acte matériel peut caractériser des faits distincts s’il porte atteinte à des droits de nature différente. Le nom commercial et le nom de domaine ont pour objet, le premier, d’identifier une entreprise et, le second, de permettre l’accès à un site internet. Ils se distinguent, par leur nature, des droits détenus sur une marque ». Elle ajoute cependant qu’« Il en résulte que la victime peut obtenir, au titre de la concurrence déloyale, la réparation du préjudice distinct né de l’atteinte à la distinctivité de ses signes d’identification, tels le nom commercial ou le nom de domaine, seulement si le préjudice n’est pas déjà réparé au titre de la contrefaçon ».

En l’espèce, le préjudice distinct ne semble pas caractérisé, conduisant ainsi à une double condamnation pour des faits identiques, ce qui paraît critiquable.

4 – Sur le préjudice

Le Tribunal rappelle classiquement que la réparation du préjudice en matière de contrefaçon de marque s’apprécie en tenant compte « des conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée, du préjudice moral, et des bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels », conformément à l’article L.716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle.

Il rappelle également que « l’emploi de l’adverbe “distinctement” et non “cumulativement” commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative » avant de relever que :
1 – l’artiste a vendu trois tableaux faisant référence à la marque ROLEX, pour un chiffre d’affaires de 5 448 € ;
2 – aucune conséquence économique négative résultant de la contrefaçon n’est démontrée, le chiffre d’affaires des sociétés ROLEX ayant augmenté de 11 % entre 2022 et 2023 ;
3 – L’usage des marques renommées des sociétés défenderesses leur a causé un préjudice moral résultant de la dilution et de la banalisation de leurs marques.
Le Tribunal condamne ensuite l’artiste, sur la base de ces éléments et sans fournir davantage de précisions, à verser 2 500 € à chacune des sociétés ROLEX FRANCE et ROLEX SA, soit un total de 5 000 €.

Pourtant, cette somme correspond aux seuls bénéfices réalisés par le contrefacteur sur la vente des tableaux litigieux. En l’absence de ventilation entre les différents chefs de préjudice, il en résulte que soit le Tribunal n’a pas pris en compte l’intégralité des bénéfices réalisés, soit il n’a pas pris en compte le préjudice moral, ou l’a limité à un montant symbolique.

En outre, le Tribunal n’a pas davantage évalué les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels dont l’artiste a bénéficié en s’adossant à la notoriété des marques ROLEX, notoriété qui lui a permis de se forger une réputation et de vendre d’autres tableaux. Autrement dit, les retombées positives attachées à l’image de marque ROLEX et à ses produits iconiques auprès d’une clientèle aisée, potentiellement acquéreuse de tels tableaux, n’ont pas été prises en considération.

S’agissant du parasitisme, le Tribunal rappelle classiquement qu’« il s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale un trouble commercial constitutif de préjudice, fût-il seulement moral » (Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-24.373), et condamne l’artiste à verser à ce titre 1 500 € à chacune des sociétés ROLEX, soit un total de 3 000 €.

5 – Pour aller plus loin

Cette affaire est intéressante en ce qu’elle marque une limite à la liberté de création artistique et rappelle que l’usage de marques, même sous couvert de pop art, n’est pas autorisé sans conditions. Toutefois, une telle sanction suppose un détournement de la marque à des fins commerciales, ce qui était le cas en l’espèce, l’artiste ayant multiplié les usages répétés des marques, notamment dans la communication et la présentation de ses œuvres. À cela s’ajoute — bien que le Tribunal n’insiste guère sur ce point — le fait que l’artiste avait dédié une collection entière de tableaux à des montres de luxe issues de différentes marques.

La solution aurait sans doute été différente si l’artiste s’était limité à reproduire une montre et les marques dans une œuvre isolée, sans construire toute une communication autour de l’univers des marques concernées.

Pour autant, l’appréciation de la réparation du préjudice par le Tribunal semble trahir un certain malaise à l’idée de condamner un artiste, dans le souci manifeste de ne pas porter atteinte de manière excessive à la liberté d’expression artistique.

On ne peut néanmoins que saluer cette décision, qui contribuera à limiter l’essor des usages abusifs de marques de luxe dans des articles de décoration revendiqués comme œuvres d’art, mais dont l’objectif réel est de détourner la renommée des marques pour bénéficier, sans bourse délier, du prestige et de l’image attachés à ces dernières, en trahissant ainsi l’essence même de la liberté d’expression artistique.
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Agathe Zajdela, avocate Of Counsel au sein du cabinet parisien Duclos Thorne Mollet-Viéville & Associés (DTMV): Expert reconnu, Agathe Zajdela intervient principalement en droit de la propriété intellectuelle. Elle possède une expertise approfondie en matière de brevets, marques, dessins et modèles, ainsi qu’en droit d’auteur et en concurrence déloyale. Titulaire d’un Master 2 en droit de la propriété littéraire, artistique et industrielle de l’Université Paris II Panthéon-Assas, ainsi que d’un Master 1 en droit privé général de l’Université Paris X Nanterre, elle a prêté serment en 2014 au Barreau des Hauts-de-Seine, avant de rejoindre le Barreau de Paris. Parfaitement trilingue en français, anglais et italien, elle accompagne ses clients dans des dossiers contentieux et stratégiques, tant en France qu’à l’international.