Mécénat 2025‑2026: dirigeants, ne laissez pas la fiscalité dicter votre générosité

Mécénat 2025‑2026: dirigeants, ne laissez pas la fiscalité dicter votre générosité

On me demande souvent si les évolutions fiscales “dopent” ou “freinent” la générosité. Après des années à piloter des campagnes, convaincre des comités, rendre des comptes et parfois essuyer des doutes, j’ai appris qu’aucune déduction ne remplace la confiance. Je suis Sandra Bouscal: au fil des projets — y compris à Paris‑Dauphine où j’ai exercé par le passé — j’ai vu que le mécénat utile commence par la clarté des engagements et la preuve d’impact.

Par Sandra Bouscal, experte du fundraising et de la philanthropie, ancienne directrice générale de la Fondation Paris‑Dauphine et directrice de Comète.

Je me souviens d’une réunion avec un dirigeant qui feuilletait des tableaux fiscaux comme on observe une météo capricieuse. “Faut‑il donner maintenant, ou attendre le prochain budget ?” Derrière cette question, j’entendais moins une obsession pour les taux qu’une inquiétude bien réelle: comment être sûr que chaque euro engage une transformation et ne se dissipe pas en intentions? J’ai vu la même scène se répéter dans des secteurs très différents, de l’enseignement supérieur aux causes sociales, de l’innovation scientifique à la culture. La fiscalité dessine un cadre, parfois incitatif, parfois moins favorable. Elle est utile. Mais elle ne dit ni le cap, ni le sens. Le cap se construit avec une cause comprise, des objectifs précis et un contrat de confiance réciproque.

À Dauphine, j’ai souvent affronté un malentendu tenace: l’idée qu’équité et excellence s’opposeraient. C’est faux. Des bourses sociales bien pilotées, une vie étudiante accompagnée et des projets de recherche connectés aux enjeux réels forment un même élan. Ouvrir plus grand la porte ne dilue pas l’ambition; cela la renouvelle. La philanthropie dans l’enseignement supérieur en France n’est ni caritative par défaut ni élitiste par essence. Elle devient un investissement sociétal lorsque des objectifs de résultat sont assumés et mesurés, lorsque l’on montre, année après année, ce que le mécénat change concrètement dans la trajectoire des étudiants, des équipes, des projets.

Je n’ignore pas que la chronique du moment est fiscale. Les lois financières évoluent, les plafonds se discutent, les dispositifs se précisent. Les directions financières scrutent, calculent, cadrent la temporalité des dons. Cet examen est légitime. Pourtant, les décisions de mécénat les plus durables ne naissent pas d’une ligne ajoutée ou retranchée à un article. Elles naissent d’un dialogue exigeant entre le mécène et le porteur de projet, d’une capacité à co‑construire des programmes plutôt qu’à flécher une dépense unique, d’un engagement sur la durée, avec des preuves à produire et le courage d’être évalué. Ce qui fidélise n’est pas le barème; c’est la qualité de la relation et la vérité des résultats.

La confiance est le véritable actif du mécénat. Elle ne se décrète pas; elle se travaille. J’ai vu des mécènes rassurés par une gouvernance lisible, où les rôles sont clairs et les décisions tracées. J’ai vu des comités convaincre en simplifiant leur promesse de valeur: quelques indicateurs intelligibles, suivis dans le temps, plutôt qu’une profusion de métriques sans boussole. J’ai vu l’effet quasi physique d’un premier reporting sans emphase, juste et précis, sur la perception d’un conseil d’administration. Et j’ai vu des choix s’enchaîner naturellement parce que la confiance s’était installée: un renouvellement de soutien, puis un élargissement, puis l’acceptation d’un peu d’incertitude pour innover.

Il m’arrive d’ouvrir des carnets d’archives et de relire les noms des étudiants soutenus. Je pense à ces moments, parfois discrets, où un coup de pouce suffit à changer une trajectoire. J’ai encore en tête un échange avec une jeune diplômée à qui une bourse avait permis de choisir un stage audacieux plutôt qu’un emploi purement alimentaire. Quelques années plus tard, je l’ai retrouvée… parmi les donateurs. Non par gratitude obligée, mais parce que l’expérience vécue lui avait donné le désir d’ouvrir à son tour des portes. C’est souvent ainsi que la philanthropie s’enracine: par capillarité, de trajectoire en trajectoire, de preuve en preuve.

Aux dirigeants qui hésitent, je propose une boussole simple. D’abord, une thèse d’impact: qu’espérez‑vous voir changer dans douze à vingt‑quatre mois, et comment le saurez‑vous? Une thèse n’est pas un slogan; c’est un enchaînement logique entre des moyens, des actions et des effets observables. Ensuite, un périmètre d’autonomie: jusqu’où acceptez‑vous que l’équipe porteuse du projet prenne des décisions pour atteindre le résultat? Les programmes qui réussissent sont ceux où l’on fait assez confiance pour laisser l’intelligence du terrain s’exercer. Enfin, une narration honnête: comment raconterez‑vous ensemble l’avancée, les réussites et les détours? La communication n’est pas l’emballage final; elle fait partie de l’éthique du projet.

Dans cette dynamique, les communautés jouent un rôle décisif. À Paris‑Dauphine, le réseau des alumni a souvent été le meilleur catalyseur: pas seulement pour lever des fonds, mais pour créer des opportunités, partager des expertises, accueillir des stagiaires et des jeunes diplômés. Dans l’entreprise aussi, l’engagement des collaborateurs transforme un mécénat descend du tableau des chiffres et entre dans la culture. Quand un dirigeant parle de mécénat avec ses équipes, sans emphase, en expliquant le pourquoi et le comment, il donne à ce geste une densité qui dépasse la ligne comptable. Le mécénat devient alors un acte de gouvernance, pas un appendice de communication.

Je sais que certains redoutent l’alourdissement des preuves, la tentation bureaucratique, l’empilement d’indicateurs. C’est un risque réel. Il ne se combat pas en renonçant à mesurer, mais en choisissant mieux ce que l’on mesure. Les meilleurs dispositifs que j’ai connus tenaient en quelques repères suivis avec constance: l’accès, la réussite, l’insertion, selon les cas. Ces repères, lorsqu’ils sont discutés à froid et publiés sans fard, deviennent d’excellents garde‑fous contre les emballements ou les angles morts. On peut y joindre, lorsque c’est pertinent, un regard extérieur: un audit, un label, une évaluation indépendante. Cela ne remplace pas la relation; cela la crédibilise.

Il serait confortable de croire qu’en 2025‑2026, la fiscalité tranchera les hésitations. Elle en éteindra certaines, en fera naître d’autres. Elle influencera les volumes, la temporalité, la répartition entre causes. Elle ne dira pas ce que vous voulez changer ni quel partenaire vous fera progresser. Ce choix‑là reste — et restera — un choix de direction, de culture et d’ambition. Des dirigeants me confient craindre “l’effet d’aubaine inversé”: n’être perçus comme généreux que parce qu’ils optimisent. Ma réponse est simple: ce soupçon se dissipe lorsqu’on s’astreint à la vérité des résultats, à la continuité des engagements, et à des récits qui ne promettent pas l’impossible.

Je n’exerce plus à Dauphine ni à l’INSEAD ou HEC; je continue pourtant d’y voir un laboratoire utile pour penser le mécénat à l’échelle d’une communauté: une institution où se croisent des intérêts multiples, des temporalités différentes et un impératif d’excellence qui ne doit pas écraser l’exigence d’équité. Les dirigeants qui s’engagent dans ces écosystèmes, qu’ils soient issus de Dauphine ou d’ailleurs, y apprennent une chose précieuse: l’impact n’est pas un slogan, c’est une discipline. Elle demande du temps, de la clarté, une relation adulte entre mécènes et porteurs de projets, et l’humilité d’ajuster en chemin.

Alors, faut‑il donner maintenant ou attendre? La bonne question est ailleurs. Que voulez‑vous accomplir avec votre générosité, et avec qui souhaitez‑vous le prouver? Une fois ce duo défini — la cause et le partenaire — la fiscalité trouvera sa place: utile, au service, jamais aux commandes. La générosité éclairée ne se décrète pas; elle se démontre. Et c’est souvent cette démonstration, plus que n’importe quel avantage, qui fidélise les donateurs et transforme les organisations.

Paule-Emile ADMIN: