Transparence des rémunérations : êtes-vous prêts ?

Transparence des rémunérations credit Depositphotos

Transparence des rémunérations : êtes-vous prêts ?

La transparence salariale, au cœur de l’égalité 

Le principe « à travail égal, salaire égal », inscrit dès 1957 dans le traité de Rome (Art.157 TFUE), est une base fondamentale de la construction européenne. En France, la mise en œuvre de ce principe repose sur divers outils juridiques tels que l’interdiction des discriminations liées au sexe, la publication de l’index égalité, les accords et plan d’actions égalité hommes-femmes, etc.
Pour autant, les égalités persistent. En France, selon l’INSEE, les femmes gagnent, en 2023, en moyenne 22 % de moins que les hommes.
Selon le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, les dispositifs existants, ont montré leurs limites et l’effectivité du principe d’égalité salariale est entravée par le manque de transparence des systèmes de rémunération.

La Directive UE 2023-970 du 13 mai 2023, vise à renforcer cette effectivité en mettant à la charge de l’employeur de nouvelles obligations dans le cadre de la définition de leur politique de rémunération. Les entreprises doivent se saisir rapidement du sujet car la directive sera transposée en juin 2026.

La transparence dès l’embauche

Les offres d’emploi devront notamment préciser le montant de la rémunération initiale ou, à défaut, une fourchette salariale. Fini les offres d’emploi qui précisent que la rémunération sera fixée « en fonction du profil du candidat ». Cette transparence dès l’embauche vise à limiter les inégalités salariales dès le départ.
De même, lors de l’entretien d’embauche, l’employeur ne pourra plus demander l’historique salarial du candidat, ni ses prétentions, afin d’éviter que des écarts préexistants ne se perpétuent ou ne s’amplifient.

Durant la relation de travail :  un droit à l’information inédit

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, l’employeur devra mettre à disposition des salariés, les critères de fixation des salaires, des niveaux de rémunération et de leur évolution. Sur simple demande écrite, l’employeur devra fournir des informations individuelles comparatives, ventilées par sexe et par catégorie de travailleurs effectuant le « même travail ou un travail de même valeur ».
Ce droit devra être rappelé chaque année aux salariés, et toute différence salariale doit être justifiée de manière circonstanciée. Les employeurs devront donc s’attacher à apporter aux salariés des réponses complètes, afin d’éviter que ceux-ci ne sollicitent des précisions complémentaires ou ne saisissent le conseil de prud’hommes à ce titre.

Nouvel index égalité, nouveaux défis

La directive européenne impose aux entreprises de suivre les écarts salariaux entre femmes et hommes via un index des rémunérations, à raison d’une publication annuelle pour les sociétés de plus de 250 salariés et triennale pour celles comptant entre 50 et 250 salariés. Cet index repose sur sept indicateurs clés qui remplaceront les cinq critères actuels de l’index égalité hommes-femmes.

Les six premiers, qui ne posent pas de difficultés majeures, devront être publiés comme c’est le cas aujourd’hui. Le septième critère, qui ne sera diffusé qu’auprès des salariés et représentants du personnel, est plus problématique : il s’agit du classement des travailleurs par catégorie d’emplois jugés à valeur égale. Cela suppose de disposer en amont d’outils d’évaluation et de grille de classification permettant de définir objectivement les « catégories d’emplois » et comparer la valeur de travail des salariés.

Si l’écart salarial dépasse 5% et qu’il n’est pas justifié par des critères objectifs, l’employeur devra prendre des mesures correctives.
Concrètement, la directive suppose d’établir des grilles de rémunération claire, comprenant l’ensemble de la rémunération en regroupant les emplois de valeur équivalente. Or, beaucoup d’entreprises, pour ne pas dire la quasi-totalité, ne disposent pas de telles grilles à ce jour.

Justice et sanctions : la preuve renversée, la réparation renforcée

La directive européenne renforce considérablement les droits des salariés.
En cas de contentieux, la charge de la preuve est inversée par rapport au droit actuel en France : c’est à l’employeur de démontrer qu’il n’y a pas eu discrimination.
Si un écart de rémunération n’est pas justifié par des critères objectifs, la réparation intégrale est due, ce qui devra comprendre :
– le paiement intégral des arriérés de salaire
– les opportunités manquées
– le préjudice moral
– tout préjudice cause par d’autres facteurs pertinents
– des intérêts de retard.

Enfin, la directive prévoit la création ou l’implication d’organismes pour l’égalité de traitement et des partenaires sociaux, qui peuvent conseiller, accompagner et représenter les salariés, et contribuer à la négociation collective et à la correction des écarts.

Un objectif louable et nécessaire, mais une charge lourde pour les employeurs  

S’il on ne peut que saluer l’objectif de la directive, force est de constater qu’il existe de nombreuses zones de flou. A titre d’exemple, la directive définit la « rémunération » en y intégrant notamment « tout autre avantage, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature (composantes variables ou complémentaires ». Cela concerne-t-il également les avantages dont peuvent bénéficier une partie des salariés tels que les actions gratuites ou BSPCE ?

En outre, la nouvelle obligation d’information auprès des salariés sur leur niveau de rémunération par rapport à leurs collègues soulève des sujets importants concernant la gestion des données à caractère personnel et à la conformité au RGPD.
Enfin, cela suppose une anticipation indispensable, un audit sérieux des systèmes de rémunération en vigueur dans les entreprises, une réflexion poussée sur les catégories de travailleurs et une sensibilisation de l’ensemble de la communauté de travail à ces nouveaux impératifs.

Anna Milleret-Godet, avocate associée au sein du département « Droit social - Protection sociale » de Delsol Avocats: Avocate associée au sein du département « Droit social - Protection sociale » chez DELSOL Avocats, elle conseille des entreprises françaises et internationales dans le cadre de dossiers stratégiques de réorganisation portant notamment sur des opérations de fusions acquisitions, fermeture de sites, transferts d’activité et autres cessions d’actifs. Elle a également acquis une expertise en accompagnement juridique des entreprises relatif à l’évolution de leur effectif à travers la mise en place de licenciements économiques, PSE ou plans de départs volontaires ; et l’évolution des conditions de travail des salariés (enquête interne, RSE, RGPD, IA, mobilité internationale, relations collectives). Elle assiste ses clients lors de contentieux collectifs et individuels complexes et accompagne également les dirigeants lors de la négociation de leur départ.