“Job apocalypse” : l’IA va-t-elle tous nous remplacer ?
Allons-nous constater prochainement une forte dévalorisation du travail humain, un effondrement des facultés créatives, ou même une disparition programmée du travail tel qu’on l’a connu ?  Des mots comme “job apocalypse” s’invitent dans les débats, avec leur cortège de prédictions anxiogènes. La machine penserait à notre place. Déciderait pour nous. Créerait même, à notre insu. Une rupture anthropologique ? Peut-être. Mais à force de désigner l’IA comme une menace pour nos emplois, on oublie de regarder ce qu’elle produit vraiment, là où elle est déjà à l’œuvre : un déplacement. Une montée en exigence. Et une invitation à penser autrement.

L’IA bien pensée ne remplace pas, elle redistribue

Car sur le terrain, un autre récit prend forme. On le constate déjà dans les entreprises : quand elle est bien pensée, l’intelligence artificielle ne remplace pas. Elle redistribue. Déporte la valeur des tâches vers les intentions. Et déplace le centre de gravité du travail, des automatismes vers les arbitrages, de l’exécution vers l’orchestration.

Prenons les développeurs ; dans bien des cas, ce ne sont déjà plus eux qui écrivent le code ligne à ligne. Et cela ne les rend pas inutiles, au contraire ! Aujourd’hui, on attend d’eux qu’ils pensent en architectures, orchestrent des agents spécialisés, anticipent les limites, cadrent les briques, priorisent la maintenabilité. Ce ne sont plus des exécutants techniques, mais les chefs d’orchestre d’un langage nouveau.

Dans le marketing, le support client, la création de contenu, la logique est identique : faire mieux, plus vite, avec plus de discernement. Le travail change de nature… et ça tombe bien. Car dans le même temps, on assiste au surgissement d’une génération qui place la quête de sens tout en haut de la pile de ses priorités. Une génération qui refuse d’être un simple maillon et aspire à créer, transmettre, décider.

Globalement, ce que nous vivons, c’est surtout la fin d’un certain rapport au travail

Il est très tentant de parler de fin du travail. Bien sûr, ce sera peut-être le cas pour certains métiers dont l’automatisation est inévitable. Les call centers, par exemple, vont être profondément reconfigurés dans la mesure où l’IA apporte une cohérence, une empathie et une connaissance instantanées. Mais globalement, ce que nous vivons, c’est surtout la fin d’un certain rapport au travail. De l’idée que chacun doit rester dans sa case. De la croyance que la compétence se limite à ce que l’on sait faire seul. L’IA ne remplace pas les talents, elle les pousse à s’élever individuellement, tout autant que collectivement. Une entreprise qui ne forme pas ses talents à penser avec l’IA les condamne à la subir. Et se prive de fabuleuses opportunités, tant en termes d’amélioration de sa productivité et de sa compétitivité, que de fidélisation de ses talents.

Alternants, juniors, ou collaborateurs expérimentés : grâce à l’IA, tous progressent plus vite qu’avant. Tandis que celle-ci répond aux questions basiques ou automatise les micro-tâches, les équipes gagnent en précision, en autonomie, en assurance. Là où il fallait deux ans pour prendre la main sur un sujet, il en faut désormais trois mois. Les juniors peuvent se reposer sur l’IA pour les questions opérationnelles, et consacrer du temps qualitatif avec les seniors à ce qui compte vraiment : comprendre les enjeux, s’ouvrir à d’autres logiques, affûter leur esprit critique. Là où il fallait éplucher des dossiers entiers à la recherche d’une seule information, on obtient en un clic l’élément essentiel pour avancer. Bref : avec l’IA, on apprend et on évolue autrement.

Ce changement, certaines structures en ont déjà fait une force vive. Des marques de vêtements ont intégré des décennies d’archives textiles dans une IA pour poser des jalons stylistiques à leurs futures collections. Elles n’ont pas tout réinventé, mais simplement compris qu’en mobilisant l’IA comme levier d’initiative, elles ouvraient un vrai terrain d’émancipation pour leurs collaborateurs, sans jamais perdre de vue leur socle identitaire.

L’intelligence artificielle va libérer le côté “entrepreneur” qui sommeille en nous

Je suis intimement convaincu que l’intelligence artificielle va nous permettre de consacrer davantage de temps à des projets à forte valeur ajoutée et libérer ce côté “entrepreneur” qui sommeille en nous. Un modèle plus fluide, responsabilisant et créatif, où l’IA devient un levier d’autonomie et permet d’apprendre plus vite, de comprendre et de grandir. Ce glissement vers de nouveaux rôles d’intrapreneurs, en somme, redéfinit complètement la valeur et ouvre des territoires d’exploration infinis. Un “empowerment” qui tombe à pic pour les générations qui ne veulent plus avoir la sensation d’être un numéro parmi d’autres.

La technologie ne s’attaque pas à la créativité, mais à la paperasse. Elle libère du temps sur des tâches sans valeur intrinsèque, ni pour l’entreprise, ni pour le client, ni pour le collaborateur. Les métiers ne disparaissent pas : ils se déplacent vers plus d’analyse, de supervision et de relation client.

Finalement, ce que l’IA rend possible, ce n’est pas seulement une transformation du travail. C’est une transformation des trajectoires. Des talents qui se révèlent. Des collaborateurs qui osent. Des équipes qui avancent avec une nouvelle agilité.

Mais encore faut-il que les entreprises les accompagnent. Former, encourager, laisser le droit d’essayer… et parfois d’échouer. Voilà leur nouvelle responsabilité dans cette ère de généralisation de l’IA : faire émerger des esprits conquérants, capables de s’emparer des outils sans jamais renoncer à leur libre arbitre. Il ne tient qu’à nous de faire de cette “job apocalypse” annoncée un terrain de jeu qui révélera les esprits conquérants et fera naître l’intelligence collective.

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Cyril Grabsch, Directeur des opérations de Nagarro France
Cyril Grabsch dirige les opérations de l’entité française de Nagarro et dispose de 25 années d’expérience professionnelle, dont 18 années dans le conseil en transformation digitale. Il a accompagné des projets de mise en œuvre ERP/SAP dans les secteurs manufacturiers, énergétiques et pharmaceutiques comme consultant, chef de projets, directeur de programmes et participé au développement commercial de divers intégrateurs. Depuis 2018, il supervise les opérations francophones et les projets d’innovation au sein de l’I-Lab de Nagarro en France pour étendre le portefeuille d’activités autour de sujets tels que : Industries 4.0, Intelligence artificielle et réalités mixtes.