Les nouvelles au sujet de l’effondrement spectaculaire de FTX, place de marché centralisée de cryptomonnaies, et de son fondateur, Samuel Bankman-Fried*, milliardaire de 30 ans, soulèvent des questions intéressantes. Qui est Sam Bankman-Fried ? Quelle est la personnalité de Sam Bankman-Fried ? Pourquoi s’est-il comporté de cette manière ? Examinons la personnalité de divers entrepreneurs afin de trouver des réponses éventuelles.

Qui est Sam Bankman-Fried ?

Pour comprendre la psychologie de Bankman-Fried, il est utile de remarquer son appartenance à un certain groupe d’entrepreneurs américains, parmi lesquels Michael Milken, Jeffrey Skilling et Bernard Madoff (surnommé Bernie Madoff).
Milken, financier américain dont la fortune nette s’élevait à environ 6 milliards USD, a été inculpé pour racket et fraude relative à des valeurs mobilières, avant de passer quelque temps en prison.
Skilling était consultant chez McKinsey et PDG d’Enron, société de courtage d’énergie en faillite. Il a été inculpé pour complot, délit d’initié et fraude relative à des valeurs mobilières, avant de passer quelque temps en prison. La fortune de Madoff, financier et ancien président du Nasdaq, a atteint une valeur nette de 64,8 milliards USD. Madoff, qui a plaidé coupable face à 11 accusations pénales au niveau fédéral, est mort en prison.

Ces hommes étaient tous charmants, à l’aise en société, avec une personnalité hors normes, travailleurs et (quelque temps) très riches. De plus, ils étaient très intelligents. Par exemple, avant d’être accepté à Harvard Business School, Skilling avait écrit dans sa lettre de motivation « I am f… smart » (je suis fout…ment intelligent). Ils étaient tous prêts à ignorer les règles et réglementations établies, tout en prenant de gros risques financiers, ce qui leur a donné une audace rare. Intelligents, charmants et audacieux, cela peut ressembler à la description de psychopathes, si ce n’est que (contrairement à Al Capone, par exemple, un psychopathe typique), ces hommes avaient fait de hautes études et avaient des objectifs de carrière et des identités professionnelles bien établis.
En outre, ces hommes peuvent être décrits comme des entrepreneurs qui ont trop repoussé les limites, alors que, dans leur profession, repousser les limites est un comportement attendu.

La personnalité des entrepreneurs

Hogan Assessments possède des données sur la personnalité d’un échantillon composé de plus de 500 entrepreneurs. Selon nos données, les entrepreneurs (y compris Bankman-Fried) possèdent des caractéristiques spécifiques, à la fois attendues et inattendues.
Selon notre mesure des personnalités habituelles, les entrepreneurs ressemblent à des délinquants intelligents : futés, impulsifs, audacieux, originaux et indifférents face à l’autorité. Selon notre mesure des caractéristiques de personnalité sombres, les entrepreneurs paraissent créatifs, ce qui entraîne une remise en cause des normes. De plus, ils semblent être en l’aise en société (mais pas transparents) et assez fourbes (délinquants). Avant tout, d’après notre mesure des valeurs, les entrepreneurs semblent axés sur les détails, intelligents, analytiques, avides de risques, prêts à défier les normes, amateurs de plaisirs et dirigés vers la victoire. Il est surprenant mais important de noter qu’ils ne sont pas particulièrement motivés par l’argent. Bien plus attirés par la célébrité, les plaisirs et la réussite, ils considèrent que la fortune est secondaire.
Dans cette population de preneurs de risques, pourfendeurs de normes aventureux, Bankman-Fried est unique seulement par le fait qu’il se place dans la partie haute des caractéristiques qui définissent les entrepreneurs.

Quels sont les moteurs du comportement typique des entrepreneurs ?

Les entrepreneurs sont aussi nécessaires que perturbateurs. Selon les évaluations des experts Hogan, ils sont essentiels au progrès économique.

La destruction créatrice

Les économies capitalistes (libre marché), qui grandissent plus vite que les économies planifiées (marché réglementé), permettent aux citoyens de sortir de la pauvreté. La caractéristique principale des économies capitalistes, selon le grand économiste autrichien Joseph Schumpeter, s’appelle la destruction créatrice. La progression économique nécessite de remettre en question les normes, de défier la sagesse conventionnelle et de perturber les pratiques habituelles. Qui plus est, la destruction créatrice nécessite un certain type de dirigeant.

La perte de respectabilité

Adam Kirsch, dans son article récent du Wall Street Journal, fait remarquer que les entrepreneurs modernes comme Steve Jobs, Elon Musk ou Sam Bankman-Fried ont non seulement perturbé l’ordre établi, mais abandonné le désir de respectabilité, ce que les investisseurs attendent d’eux.
Être prêt à ignorer les façons de s’habiller et les comportements acceptables est typique des perturbateurs. Comme le note Kirsch : « La Silicon Valley a toujours cherché des licornes et des perturbateurs qui, par définition, ne respectent pas la façon dont les autres agissent. » Kirsch cite une anecdote sur Steve Jobs : « L’une des choses qui ont plu à [Don Valentine, fondateur de la société d’investissement Sequoia] à propos de Jobs, était qu’il faisait des choses étranges . . . exprès, juste pour choquer. »

Kirsch compare l’apparence et le comportement de grands acteurs du monde de la technologie moderne (et Donald Trump) à des géants du monde des affaires d’autrefois, dont l’apparence et la conduite étaient irréprochables, comme Andrew Carnegie. Carnegie avait fondé la Carnegie Steel Corporation, en 1892, avant, lors de sa vente, en 1901, de devenir l’un des hommes les plus riches de l’histoire américaine. Par comparaison, Sam Bankman-Fried est connu pour avoir négocié un contrat de 200 millions USD avec Sequoia Capital alors qu’il portait un short et qu’il ne s’était visiblement pas coiffé. Cette négociation a été réalisée lors d’une réunion sur Zoom, pendant que Bankman-Fried jouait au jeu vidéo League of Legends.
Bankman-Fried, avec ses cheveux en bataille et ses manières étranges, semble venir d’une culture différente de celle de Carnegie, aux manières et à l’apparence irréprochables. Que se passe-t-il sous la surface ?

Perspective socio-analytique sur le comportement des entrepreneurs

La sociologie analytique peut contribuer à expliquer les comportements humains. Elle s’inspire de la théorie psychanalytique de Sigmund Freud, de la psychologie sociale de George Herbert Mead et de la théorie de l’évolution de Darwin. La sociologie analytique affirme que les humains ont toujours vécu en groupes avec trois besoins universels : appartenir au groupe, avoir un statut social et donner un sens à sa vie.
Par ce prisme, tous les comportements sociaux sont des jeux où les concurrents négocient leur statut et leur appartenance au groupe. À chaque interaction, la réputation des participants est légèrement modifiée, de manière positive ou négative. Comme l’observait Freud, tous les comportements publics constituent des textes à interpréter. Pour finir, comme le font remarquer les éthologues, la communication animale repose essentiellement sur la tromperie.

En tenant compte de ces observations, nous pouvons tirer deux conclusions de l’apparence et du comportement de Carnegie et de Bankman-Fried. Tout d’abord, leurs actions sont soigneusement préparées : leur comportement n’est ni spontané ni naturel. Ensuite, les deux s’adressent au même public, à celui des investisseurs, et non pas au grand public. Qui plus est, si leur comportement ne concordait pas avec les attentes de leur public ciblé, leur entreprise commencerait à s’effondrer. Avant tout, malgré les différences superficielles de respectabilité apparente, Carnegie et Bankman-Fried ont des caractéristiques psychologies sous-jacentes communes : intelligence, esprit analytique, esprit compétitif, audace et indifférence face aux répercussions néfastes qu’ils peuvent causer à d’autres personnes.

* Sam Bankman-Fried ou SBF, né en 1992 à Stanford en Californie, a  fondé deux entreprises FTX, plateforme d’échange de cryptomonnaies et  Alameda Research, deux basées aux Bahamas dans les mêmes bâtiments et enregistrées à Antigua-et-Barbuda. La faillite des deux entités  FTX et Alameda Research fin  2022 a créé un scandale et débouché sur son arrestation et son inculpation par le procureur fédéral de Manhattan,  notamment pour fraude comptable et financière.

Cet article a pour auteurs Robert Hogan, PhD, fondateur et président d’Hogan et Ryne A. Sherman, PhD, directeur scientifique principal.