Fortes chaleurs au travail : le nouveau défi des employeurs

Un décret qui change la donne

Depuis le 1er juillet 2025, les employeurs français font face à une nouvelle obligation majeure : protéger la santé et la sécurité de leurs salariés exposés aux fortes chaleurs. Le décret du 27 mai 2025, publié au Journal officiel, impose à toutes les entreprises, quels que soient leur secteur ou leur taille, d’évaluer et de prévenir les risques liés à la chaleur sur le lieu de travail.

Pourquoi ce texte ? Une réponse à l’urgence climatique

La multiplication des vagues de chaleur et les accidents du travail qui en découlent ont poussé le législateur à agir. Depuis 2018, au moins 48 décès liés à la chaleur ont été recensés au travail en France. Les secteurs les plus touchés sont le BTP, l’agriculture, la logistique, l’industrie et tous les métiers exposés au soleil ou à des ambiances thermiques élevées.

Ce que le décret impose aux employeurs

1 – Évaluation obligatoire du risque chaleur

Le décret définit une obligation générale de veiller à des conditions thermiques adaptées au travail. Ainsi, tout employeur doit désormais évaluer, chaque année, les risques liés à l’exposition de ses salariés aux épisodes de chaleur intense, en intérieur comme en extérieur. Cette évaluation doit être formalisée dans le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP).

Les postes les plus exposés doivent être identifiés.

L’analyse doit prendre en compte la nature des tâches, l’organisation du travail, l’environnement physique et les vulnérabilités individuelles (santé, âge, etc.).

2 – Le risque « fortes chaleurs » doit apparaître explicitement dans le DUERP. Pour les entreprises de moins de 50 salariés, les mesures de prévention sont consignées dans ce document. Pour les structures plus importantes, elles doivent aussi figurer dans le programme annuel de prévention des risques (PAPRIPACT).

3 – Mise en place de mesures concrètes

  • Le décret dresse une liste de mesures à adapter selon la situation :
  • Modification de l’aménagement des postes de travail (ombrage, ventilation, brumisation…)
  • Adaptation des horaires pour éviter les pics de chaleur
  • Organisation de pauses supplémentaires dans des espaces frais
  • Mise à disposition d’eau potable fraîche en quantité suffisante (au moins 3 litres par jour et par salarié en l’absence d’eau courante, notamment dans le BTP)
  • Fourniture d’équipements de protection individuelle adaptés (vêtements légers, chapeaux, lunettes, crème solaire…)
  • Information et formation des salariés sur les risques et la conduite à tenir en cas de forte chaleur
  1. Un dispositif de vigilance météo comme référence

Le décret ne fixe pas de température seuil. Il s’appuie sur le système de vigilance météorologique de Météo-France : les obligations spécifiques s’appliquent dès le passage en vigilance jaune, orange ou rouge (pic de chaleur, canicule, canicule extrême).

Les zones d’ombre du décret

Pas de température seuil : un flou persistant

Contrairement à d’autres pays européens, la France n’a pas retenu de seuil de température précis (par exemple, 33°C ou 35°C). Ce choix laisse une marge d’interprétation aux employeurs, mais peut aussi générer des incertitudes et des disparités dans l’application des mesures.

Une obligation d’évaluer, mais pas d’arrêter le travail

Le décret impose d’agir, mais ne donne pas à l’inspection du travail le pouvoir d’ordonner l’arrêt des activités en cas de danger grave et imminent lié à la chaleur. L’arrêt du travail reste à la discrétion de l’employeur, sauf danger manifeste et avéré pour la santé des salariés.

Des mesures à adapter, mais des moyens parfois limités

Certaines entreprises, notamment les PME et les TPE, peuvent rencontrer des difficultés à mettre en place toutes les mesures requises, faute de moyens techniques ou financiers. Le texte prévoit cependant une concertation avec les représentants du personnel et les services de prévention pour co construire des protocoles adaptés.

Inspection du travail : un rôle renforcé, mais sans pouvoir d’arrêt

L’inspection du travail voit son rôle de contrôle renforcé. Elle peut :

  • Vérifier la présence du risque chaleur dans le DUERP
  • Contrôler la mise en œuvre des mesures de prévention
  • Exiger des adaptations immédiates en cas de manquement

En effet, il dispose du pouvoir de mettre en demeure un employeur sous un délai de 8 jours de se conformer à ses obligations en matière de prévention des risques professionnels, s’il constate l’absence ou l’insuffisance de mesures de prévention des risques liés à la chaleur dans le DUERP.

Quels risques juridiques pour l’employeur ?

Responsabilité pénale et civile

En cas d’exposition avérée d’un salarié à des températures dangereuses, l’employeur s’expose à des poursuites pour manquement à son obligation de sécurité. Les juridictions peuvent retenir la faute inexcusable si l’employeur n’a pas évalué le risque ou n’a pas pris les mesures adaptées.

Un accident du travail ou une maladie professionnelle liée à la chaleur peut entraîner des indemnisations lourdes.
La faute inexcusable aggrave la sanction financière et nuit à l’image de l’entreprise.

Contrôle accru et sanctions administratives

L’inspection du travail peut dresser des procès-verbaux en cas de non-respect des obligations, voire saisir le juge pour ordonner des mesures conservatoires. L’entreprise s’expose également à des sanctions administratives (amendes, suspension d’activité…).

Conseils pratiques pour les employeurs

  • Actualisez sans délai votre DUERP avec le risque « fortes chaleurs ».
  • Identifiez les postes et les salariés les plus exposés.
  • Mettez en place un plan d’action opérationnel, activable dès l’alerte météo.
  • Impliquez les représentants du personnel et communiquez largement auprès des équipes.
  • Gardez une traçabilité de toutes les mesures prises.

Conclusion : une obligation de moyens… Et bientôt de résultats ?

Le décret du 27 mai 2025 marque une étape importante dans la prévention des risques liés à la chaleur au travail. Il impose aux employeurs d’anticiper, d’agir et de documenter leur démarche. Mais il laisse encore des zones grises, notamment l’absence de température seuil et l’absence de pouvoir d’arrêt pour l’inspection du travail. Face à l’intensification des vagues de chaleur, la vigilance reste de mise, tant pour la santé des salariés que pour la sécurité juridique des entreprises.

 

Sandrine Henrion, avocat spécialisé en droit du travail, HERALD (Anciennement Granrut)