La Raison d’être doit accélérer la transformation durable des entreprises françaises, en formalisant le sens de leur action. Force est de constater que les premières expressions semblent loin de relever cette ambition. Sans nier les démarches actives de RSE, l’outil Raison d’être semble totalement dévoyé. Les expressions empilent les poncifs bienveillants, les termes vagues, les ambitions sans aspérité et formulations transparentes. 

Nous voici deux ans après le vote de la Loi Pacte. Le cadre – désormais juridique – offert à la Raison d’être et à la qualité de société à mission, a créé un “appel d’air” incontestable.  Mais il semble bien que ce mouvement ne soit pas si “moteur” qu’on pourrait  le souhaiter.

Pour beaucoup, la Raison d’être reste une “formalisation”

Parmi les 100 premières entreprises à mission, les ⅔ comptent moins de 50 salariés et on imagine leur engagement très antérieur. Les Raisons d’être se sont déployées très rapidement dans les grandes entreprises, et à plus de 75% dans celles du CAC 40. Ici aussi, la Raison d’être existait donc plus ou moins formellement à travers les engagements extra-financiers préalables. Est-ce pour cela que les “formulations” s’avèrent autant insipides ? Elles sont en grande majorité élaborées sur des expressions généralistes récurrentes : “construire l’avenir” “monde meilleur” “pour tous” “ensemble” “générations futures”…
40% contiennent le mot “durable” selon une étude de Comfluence ! Il semble qu’inscrire dans les statuts que l’entreprise s’engage sur la durabilité de leur modèle suffit à faire le job…Quand  Société Générale s’engage à “construire ensemble, avec nos clients, un avenir meilleur et durable en apportant des solutions financières responsables et innovantes”, on peut regretter que l’intention se limite à exercer, certes durablement, mais tout simplement son métier de banquier.

A quoi ça sert si ça ne fait rien bouger ?

Car ces expressions ne sont pas que creuses… Elles sont aussi souvent exemptes de vocation transformative. Dans la majorité des cas, les  entreprises se contentent d’une description “factuelle” de leur activité. Pourtant, la dimension durable doit s’inscrire dans des objectifs ambitieux de long terme, et donc dépasser l’état actuel pour tracer la profonde mutation du modèle économique. Comment jouer un rôle puissant dans la mobilisation interne si personne n’y voit un défi, un challenge, qui sera d’autant plus fort qu’il semblera “un peu fou” ! Dans bien des cas, ce sens, qui doit animer chaque jour les parties prenantes internes, est impossible à mémoriser ou restituer simplement (ah le manifesto qui coche bien toutes les cases !…).

Un twist dans le process ?

Les agences de communication sont souvent mises sur le banc, suspectées de trop « faire de la com » précisément. Les cabinets conseil “historiques” de RSE construisent des axes stratégiques durables mais sont rarement par essence des concepteurs, des créatifs, ni même des adeptes du planning stratégique. Quant à la démarche de consultation élargie des parties prenantes (notamment interne) avec le « final cut » du Comex, elle contient le germe du consensus mou, pour ne pas dire bancal. Si une Raison d’être se doit de fédérer les parties prenantes, une politique de durabilité partagée ne conduit pas nécessairement à une Raison d’être performante !

Un modèle à inventer ?

Peut-être faut-il de nouvelles collaborations, mixer des méthodes, développer des compétences hybrides… mais en tout cas ces deux années de pratique invitent à questionner les approches du sujet. L’élaboration de la Raison d’être est une formidable opportunité pour questionner le rapport à l’entreprise, articuler marque et corporate dans une logique renouvelée. Soyons positifs : de belles Raisons d’être émergent malgré tout, qui ne se contentent pas de décrire l’activité dans une perspective de durabilité, qui se saisissent d’angles pertinents, spécifiques et originaux, qui allient l’ambition à l’évocation puissante et enthousiasmante…
Orange est sans doute en la matière un exemple de responsabilité et d’ambition en s’érigeant en “acteur de confiance qui donne à chacune et chacun les clés d’un monde numérique responsable”. Voilà une mission d’importance tant il est nécessaire aujourd’hui de relever les défis auxquels notre société digitalisée nous confronte. Reste sans doute à adopter les mots qui sonnent avec enthousiasme la mobilisation générale.