Bien souvent, un salarié quitte son entreprise non pas parce qu’il ne s’y sent pas bien, mais faute de perspective d’évolution, de mobilité ; coincé dans un poste où il a le sentiment de ne pas exploiter au mieux ses compétences, à l’étroit dans une tâche devenue routinière, il se met à rêver d’ailleurs et met à son jour son CV.

Vous, vous n’en savez rien. La dernière évaluation annuelle a bien révélé quelques signes de lassitude, mais on a dit : « on en rediscute. On fait le point dans six mois… » Or six mois, quand on s’ennuie, ça peut être très long. Et l’on voit partir des talents, pourtant attachés à la marque, que l’on n’a pas su faire évoluer, dont on n’a pas su voir le potentiel. Une situation ordinaire, dira-t-on, « On n’y peut rien… » Si ! Et cela n’a rien d’une fatalité.

Beaucoup d’entreprises peinent à endiguer un turnover important

La faute à la conjoncture, à un rapport de force inversé entre candidats et recruteurs, à une nouvelle génération particulièrement volage, etc. Oui et non. Car toutes ces raisons doivent justement alerter sur la nécessité de soigner l’expérience collaborateur et la fidélisation des talents. Soigner, c’est-à-dire prendre soin ; s’interroger sur les bons outils et les bonnes pratiques à adopter pour retenir les talents en tenant compte de ce besoin croissant d’évolution, de changement. Il arrive alors que l’on se tourne vers les promesses des augures modernes : l’IA, extralucide, aurait son mot à dire sur la gestion des carrières. Sur la base de données dont la quantité, la qualité et la fiabilité ne laissent pas d’interroger, elle serait à même de redistribuer les cartes des parcours professionnels. Les tarots, plutôt : car la prédiction demeure hautement spéculative…

L’IA retient l’attention, mais pas les talents

Ce n’est pas une question d’antipathie. Il faut reconnaître à l’IA son utilité dans de nombreux domaines, y compris dans les RH. Que certaines tâches ingrates, de calculs et de traitement de données par exemple, soient prises en charge par des algorithmes avec tel degré d’IA dans les rouages, c’est très bien. Et l’automatisation est un progrès dès lors qu’elle se substitue à l’homme pour permettre à ce dernier de consacrer son temps et son énergie à des travaux pour lesquels ses compétences demeurent irremplaçables. C’est le cas de la gestion de carrière qui exige une analyse sensible des informations dont on dispose sur le collaborateur : évaluer des compétences, des qualités, des appétences, des affinités, sociales, culturelles, humaines, professionnelles, identifier les irritants, tout cela est absolument hors de portée des algorithmes. Or il faut évaluer pour évoluer et pour faire évoluer. Et parce que la mobilité n’est plus une option réservée à quelques élus (ou quelques disgraciés) mais bien une donnée essentielle à l’épanouissement du collaborateur, il faut associer effectivement ce dernier au développement de sa carrière afin qu’il devienne pleinement acteur de sa mobilité. Pour retenir, il faut aussi laisser grandir voire aider à grandir.

Le mot « rétention » est rarement associé à une idée plaisante

On fait de la rétention d’informations ou de la rétention d’eau. On empêche, sciemment ou non, quelque chose de circuler. On est un barrage. Un samedi matin à la poste. L’A6 aux heures de pointe. Or s’il est un domaine où le mot peut recouvrir un champ positif, c’est bien celui de la rétention des talents. Car alors il ne s’agit pas de retenir malgré soi un collaborateur qui voudrait s’en aller, mais de faire en sorte qu’il n’en ait même pas l’idée ; rien de coercitif : on retient sans contrainte, en aidant notamment le talent à trouver la place qui lui convient le mieux au sein de l’entreprise.

Certes, tout cela ne va pas de soi mais avec les bons outils, on peut transformer les bonnes intentions en actes. Il s’agit donc de se donner les moyens de connaître les aspirations de ses collaborateurs et de leur donner les moyens de les découvrir, de se découvrir surtout des potentialités, des envies, une orientation imprévue qui cependant fait sens, un avenir ouvert et toujours stimulant. Comment ? Sans doute pas en abandonnant à une IA le soin d’organiser l’évolution des carrières : l’IA peut à la rigueur alerter sur des risques de démission, mais guère plus. Certaines tâches doivent rester dans le giron des hommes, et notamment celles qui identifient des personnalités au-delà de simples « profils ». Pour cela, il existe des tests neurocognitifs permettant de sonder en profondeur des individualités complexes et d’interroger à bon escient ces potentialités dont nous parlions et le meilleur terrain pour les concrétiser.

Le pari de la mobilité à l’heure des grandes migrations

Identifier les talents et leur permettre de se projeter dans l’entreprise. Voilà deux pierres d’achoppement qui expliquent la fuite des talents que connaissent aujourd’hui bon nombre de sociétés qui attirent souvent autant qu’elles déçoivent parce que dans l’incapacité de faire évoluer leurs collaborateurs et de les considérer dans une autre logique que celle d’un court terme qui se prolonge. Faute d’outils d’évaluation adaptés et d’une volonté suivie d’effets, on en est réduit à chercher ailleurs les causes d’un turnover croissant et le moyen de recruter à moindre coût des talents dont rien ne garantit la pérennité. Le matching affinitaire est en cela un excellent moyen de faire d’une pierre deux coups : il permet de corréler les besoins de l’entreprise aux besoins des collaborateurs (et non pas aux desiderata qu’on leur suppose car évoluer, se développer est un besoin). Ces derniers peuvent ainsi se réapproprier leur devenir professionnel et renouveler leur confiance dans une organisation qui les valorise et les fait grandir.

On va souvent chercher à l’extérieur des profils qui sont déjà dans l’entreprise

Des profils qui sont là, sous nos yeux, qui ont les compétences, l’attachement à la marque et qui n’attendent que cela : de la reconnaissance et l’opportunité, à leur tour, d’en faire preuve. Combien de postes prétendument ouverts à l’interne et dont on apprend qu’ils sont pourvus avant même d’en avoir entendu parler ?
C’est à la fois vexant et frustrant pour ceux et celles qui ont la conviction qu’ils pourraient faire plus pour leur entreprise, qu’ils pourraient contribuer autrement à son succès, qui connaissent celle-ci, son écosystème, sa culture, mais que l’on néglige. S’étonnera-t-on vraiment, après cela, qu’ils aient des envies d’ailleurs ? Il faut partir du principe que les meilleurs talents (entendez : ceux qui réunissent savoir-faire, savoir-être et attachement) sont souvent déjà dans l’entreprise : peut-être ne sont-ils tout simplement pas à la bonne place.

Pour la trouver, certains demandent à un algorithme à base d’I.A. de les aider à lire l’avenir de leurs collaborateurs ; ils proposent alors des parcours formatés : votre école, vos expériences passées vous dirigent vers tel ou tel métier.  Cela fonctionne sans doute sur Netflix (qui d’ailleurs dispose de bien plus de données sur vous que votre RH) ; appliqué à la gestion des talents et à la complexité d’un individu c’est plus douteux.

Ce qui est souhaitable et désormais possible c’est d’aider les talents à trouver leur place en les incitant à devenir acteurs de leur mobilité, en leur permettant de mieux se connaitre tant sur le plan de leurs compétences techniques que de leurs affinités avec les différents métiers de l’entreprise. La nature humaine est ainsi faite : plus nous investissons de nous-même dans un projet, dans une relation et plus nous y sommes attachés. Engager les collaborateurs dans leur projet professionnel, c’est obtenir leur engagement ; leur en donner les moyens, c’est de surcroit obtenir leur reconnaissance. Au final il s’agit de faire valoir des ressources, c’est-à-dire une richesse, humaines avant tout.