En mars dernier, 30 dirigeants d’entreprise ont signé un appel à « sauver les maths ». Un cri d’alarme d’autant plus légitime que les dernières épreuves du CAPES ont mis en exergue une baisse du niveau dans les disciplines scientifiques, ainsi qu’une crise des vocations. De fait, il manquerait chaque année en France plusieurs milliers d’ingénieurs. Les métiers du numérique, présentés comme un formidable gisement de croissance, sont particulièrement touchés par cette pénurie de talents. Développeurs, data scientists, spécialistes de la cybersécurité sont autant de profils que les entreprises s’arrachent, et ont du mal à fidéliser. Les employeurs, pour beaucoup, n’ont pas réussi à apporter les bonnes réponses aux exigences de cette population très volatile. Dorénavant, il ne suffit plus de miser sur une politique salariale attractive : c’est toute la politique RH et l’expérience employé qu’il faut repenser en profondeur.

Un nouvel engagement entre employeurs et employés

Pendant longtemps, les jeunes diplômés de grandes écoles ont accepté les contraintes qui semblaient associées aux postes d’encadrement : des premières années peu gratifiantes, des horaires à rallonge, avec en ligne de mire un poste managérial dans un futur plus ou moins proche. Aujourd’hui, les employeurs ne sont plus en mesure d’imposer leurs conditions. Pierre Lamblin, Directeur Données et Etudes pour l’APEC, en faisait le constat : « Les jeunes cadres sont dans un rapport donnant-donnant : ils veulent bien donner à l’entreprise, mais seulement à hauteur de ce qu’ils obtiennent. »[1]

On observe ainsi un double phénomène inédit. D’un côté, de plus en plus de jeunes recrues se montrent réticentes à l’idée de rejoindre des entreprises réputées humainement dures, même si la rémunération est élevée. C’est le cas, notamment, des « rebelles d’HEC »[2]. A l’inverse, beaucoup d’autres, en particulier dans le secteur des nouvelles technologies, n’hésitent pas à appliquer la loi de l’offre et de la demande et à revendiquer de très hauts salaires. Et comment les en blâmer ? Ils sont aujourd’hui en situation de force sur le marché de l’emploi !
Selon une étude menée par Tekkit.io, deux tiers des profils tech sont sollicités plusieurs fois par mois, et 16% n’ont jamais eu besoin de postuler à une offre. Malheureusement, beaucoup d’entreprises ne peuvent pas s’aligner sur leurs prétentions salariales. Pour autant, la désertification des talents issus de la tech n’est peut-être pas une fatalité.

Redéfinir ses valeurs et sa culture

Pour renforcer leurs équipes, les employeurs doivent instaurer une politique d’ouverture ambitieuse. Ils disposent pour cela de plusieurs leviers d’actions, sur plusieurs horizons temporels.

Dans l’immédiat, ils peuvent tirer parti du « nomadisme digital » et élargir leur vivier de recrutement : il est aujourd’hui plus facile d’attirer des collaborateurs qui vivent en région, ou encore à l’étranger. Mais pour le long terme, il est nécessaire de s’attaquer dès aujourd’hui à la racine du problème. L’ouverture, en ce sens, consiste à s’inscrire dans des écosystèmes de valeur partagée, et de collaborer avec des partenaires privés et publics pour développer des solutions à la pénurie de talents. C’est la démarche qu’a adoptée un géant comme BNP Paribas avec son programme « Women & Girls in Tech », dont l’ambition est de sensibiliser précocement les jeunes femmes aux métiers de l’IT.

Au travers de ces actions, les entreprises investissent dans leur avenir en intervenant elles-mêmes sur la formation de potentielles recrues. Mais au-delà, elles répondent à une aspiration qui n’a jamais été aussi vive dans la population qu’elles cherchent à fidéliser : la quête de sens. Alors que beaucoup de talents désirent avant tout être acteurs des grandes transitions écologiques et sociales, il n’est sans doute pas fondamental de les appâter en contribuant à la flambée des salaires. En revanche, il est absolument indispensable de faire converger les missions proposées, les valeurs de l’entreprise et celles du salarié.

Une nouvelle expérience employé

En conséquence, c’est le concept même « d’expérience employé » qui va devoir évoluer. Désormais, il ne s’agit plus tant d’investir dans de beaux locaux que d’adopter une posture d’écoute envers des collaborateurs plus exigeants. Là encore les entreprises peuvent s’appuyer à profit sur le numérique : sondages à grande échelle, machine learning et analyse sémantique seront leurs meilleurs alliés pour comprendre les aspirations de leurs employés et offrir des réponses personnalisées.

D’ores et déjà, on constate qu’une des principales attentes concerne la flexibilité des modes de travail. Les employeurs qui refusent le travail à distance ou des horaires souples – et ils sont encore nombreux – sont à présent hors-jeu ! Conscientes de cette nouvelle donne, des entreprises comme Boursorama donnent à leurs salariés une liberté quasi totale – imposant toutefois un minimum de deux jours par mois sur site. Certaines vont même jusqu’à mettre en place des forfaits « télétravail à l’étranger » afin de satisfaire les désirs de mobilité. Le corollaire de ce nomadisme, c’est bien entendu de faciliter le travail asynchrone, et d’admettre définitivement que les objectifs priment sur les horaires.

In fine, la course à l’innovation dans laquelle les entreprises se sont lancées est avant tout managériale et culturelle. La pénurie de talents qui les menace les appelle à une plus grande exigence vis-à-vis d’elles-mêmes. A l’avenir, les employeurs seront en effet évalués sur leur capacité à promouvoir des valeurs en adéquation avec celles de leurs collaborateurs, à respecter leurs engagements, et à se positionner en partenaires dignes de confiance.

[1] https://www.nouvelobs.com/le-travail-en-2049/20220317.OBS55783/travailler-en-2049-que-veulent-les-jeunes.html#:~:text=Ils%20seraient%20aussi%20id%C3%A9alistes%20que,travail%20et%20%C3%A0%20l’entreprise.
[2] https://www.nouvelobs.com/economie/20220522.OBS58768/les-rebelles-de-hec-100-000-euros-pour-travailler-chez-rothschild-jamais-de-la-vie.html