L’accélération des mutations dans leur environnement immédiat révèle souvent des dysfonctionnements dans les entreprises. Dysfonctionnements, en réalité, purement internes. L’expérience montre pourtant que c’est en embarquant l’ensemble des collaborateurs dans l’identification des enjeux et dans les décisions stratégiques, puis en recentrant l’organisation sur une proposition de valeur lisible et en ligne avec sa raison d’être que les entreprises tirent profit des mutations au lieu de les subir. Explications.

Les dirigeants ne manquent pas de motifs d’inquiétude, ces temps-ci. Même si le retour de la croissance gonfle les carnets de commande comme rarement par le passé, la crise a accéléré des transformations déjà à l’œuvre de longue date : versatilité du client, retour de la rareté, mutation des modes de consommation, hyper concurrence, irruption d’acteurs disruptifs, etc. Résultat : les paradigmes sur lesquels étaient fondés leurs modèles économiques disparaissent un à un au profit d’un environnement durablement instable, complexe et incertain. Et comme cette « nouvelle normalité » réduit en retour le champ de vision des dirigeants, elle les oblige à naviguer à vue dans une posture essentiellement défensive.

Identifier collectivement les sources de création et de destruction de valeur

Comment diriger dans un tel environnement ? La réponse est d’abord stratégique. Toute modification des rapports de force sur leur marché doit amener les entreprises à ajuster leur proposition de valeur et à réallouer leur portefeuille de ressources. Mais cette seule réponse est insuffisante. Car faute de capacité à se projeter dans l’avenir, les entreprises doivent être en mesure de se transformer en permanence. Nécessité qui bute sur la verticalité des organisations et donc sur leur manque de plasticité. Stratégique, la réponse est donc aussi et peut-être surtout organisationnelle, voire culturelle ou même psychologique.

Comment diriger, alors ? La priorité est d’impliquer l’ensemble des équipes dans l’analyse des enjeux auxquels fait face l’entreprise. L’objectif de cette mobilisation est de parvenir à un consensus sur les véritables sources de création de valeur et donc aussi, corrélativement, sur les sources de destruction de valeur. Chacun est alors en mesure de saisir les enjeux dans leur complexité, préalable à une prise de décision éclairée et consensuelle. Appréhendés collectivement, ces choix contribueront ensuite à redéfinir une proposition de valeur claire, lisible, et surtout en ligne avec la raison d’être de l’entreprise.

Généralisation du principe de subsidiarité au sein des entreprises

Le challenge est de taille pour les dirigeants. Il va à rebours des modèles d’organisation statutaires, verticaux et infantilisants encore souvent à l’œuvre au sein des entreprises. Il implique une responsabilisation des équipes à tous les niveaux des organisations et une décentralisation des modes de décision. Doit dès lors primer le principe de subsidiarité, selon lequel une autorité centrale n’effectue que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l’échelon inférieur.

De ce point de vue, les nombreuses ruptures à l’œuvre dans l’environnement immédiat des entreprises peuvent être perçues comme des opportunités. Elles constituent autant de points de bascule qui doivent conduire les dirigeants à réexaminer l’ensemble de leur structure organisationnelle, de leurs modes de management, de leur gouvernance et de leurs rapports de pouvoir implicites. Et ils ont tout à y gagner. Plus qu’un moyen de survivre, cette capacité à s’adapter à un monde sans cesse changeant en se remettant en question collectivement pourrait en effet devenir à l’avenir leur principal avantage concurrentiel.

Comment faire ?

D’une part, la culture de la subsidiarité et donc de l’initiative, prospère plus aisément avec la mise en place de processus de décision clairs et formalisés. Ces processus n’ont pas vocation à être figés. Mais leurs modifications dans le temps devront elles-mêmes respecter le processus de décision.

D’autre part, un accompagnement d’apprentissage doit être mis en œuvre, qui passe notamment par le déploiement de la subsidiarité : gérer les émotions des salariés et les accompagner dans leurs premiers pas.

La première réaction des salariés est souvent de ne rien changer à leur posture par crainte de devoir assumer une initiative malheureuse devant leurs collègues. Dans un pays où le vocabulaire courant ne cesse de confondre responsabilité et culpabilité, il est difficile de grandir en responsabilité. Le dirigeant doit donc donner non seulement une permission mais aussi une protection.
Même lorsque le désir de développement personnel dans l’entreprise prend le dessus sur les appréhensions, les salariés ont besoin d’un accompagnement concret pour expérimenter la pratique du processus qui leur permettra de décider sans leur hiérarchie. Cet accompagnement peut être apporté par le management ou par des coachs. Mais celui-ci doit strictement se limiter au processus de décision sans jamais se mêler du contenu de la décision envisagée, sinon le message perçu par les salariés serait que rien n’a changé ; et les vieilles pratiques resteraient en place.

L’expérience montre que le changement de culture est assez rapide, c’est à dire environ une année, si le management prend soin des points susmentionnés. Certes, certains salariés conserveront leurs habitudes antérieures mais la minorité active et enthousiaste entraînera rapidement la plupart des personnes dans cette dynamique, pour le meilleur de l’entreprise mais aussi de chacun d’entre eux.