La Direction de l’Animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) a publié les derniers chiffres des ruptures conventionnelles. 42 300 ruptures conventionnelles (relatives à des salariés non protégés) ont été homologuées en mars 2022, soit +4,3 % sur un mois. Ainsi, les ruptures conventionnelles repartent à la hausse au terme de la crise sanitaire ayant rendu les parties au contrat plus récalcitrantes aux ruptures tant pour des conditions matérielles (notamment les difficultés à se rencontrer physiquement) que conjoncturelles (incertitudes sur l’avenir, recours à l’activité partielle). La confirmation du succès croissant de la rupture conventionnelle depuis 2009 nous conduit à revenir sur les particularités et les avantages de ce mode de rupture amiable du contrat de travail.

La rupture conventionnelle : les raisons du succès d’un mode de rupture en phase avec son temps

Depuis les années 1970, le Code du travail et la jurisprudence encadrent les situations objectives qui permettent à une partie de mettre fin prématurément au contrat à durée indéterminée (CDI), particulièrement en cas de faute du salarié (licenciement disciplinaire), de faute de l’employeur (prise d’acte ou résiliation judiciaire du salarié), ou encore d’impossibilité physique pour le salarié de poursuivre les missions de son poste (inaptitude).
En toutes hypothèses, la rupture à l’initiative de l’employeur doit nécessairement respecter une procédure contradictoire et être motivée afin d’éviter les licenciements abusifs – notamment liés à des motifs discriminatoires – et de permettre un contrôle du juge.

Au contraire, le salarié qui, pour des raisons personnelles ou professionnelles, souhaite mettre un terme à la relation de travail, n’a pas de justification à fournir et doit simplement remettre sa démission, tout en respectant un préavis (fixé par le contrat ou la convention collective) pour permettre à l’employeur de trouver son remplaçant. Cependant, cette liberté a un prix : en contrepartie, le salarié ne peut prétendre à aucune indemnité de rupture ni au versement des allocations de retour à l’emploi par Pôle Emploi. Cette logique du « tout ou rien » pour le salarié n’était pas satisfaisante et conduisait certains d’entre eux à recourir à des « stratégies » leur permettant d’être licenciés et de bénéficier des droits au chômage (abandon de poste le plus souvent).
Dans ce contexte, la rupture conventionnelle instaurée en 2008 a traduit un véritable changement d’approche du salariat, et en particulier du contrat à durée indéterminée, changement qui va de pair avec les évolutions sociétales du travail :

Le CDI, un contrat qui peut être rompu à tout moment d’un commun accord

Souvent à la demande du salarié avec l’aval de l’employeur, même lorsque la relation contractuelle se déroule sans difficulté. Cette nouvelle approche confirme une profonde évolution de la relation de travail : sortant de la logique d’opposition entre l’employeur et le salarié, la rupture conventionnelle démontre que leurs intérêts peuvent converger, même dans le cadre de la rupture du contrat.

Le salarié peut enfin quitter son emploi dans des conditions sereines en ayant la possibilité de percevoir des droits au chômage[1] et en maîtrisant sa carrière, ce qui lui permet aussi d’envisager pour la suite une mobilité professionnelle (reconversion professionnelle, entreprenariat).

L’employeur devient une partie prenante de la carrière du salarié : il est appréhendé comme un « maillon » de la chaîne sans que son rôle se réduise à l’exécution du travail puisqu’il peut désormais aussi accompagner la sortie. Il est en mesure de prendre en compte les intérêts du salarié pour contribuer à donner une nouvelle impulsion à sa vie professionnelle. Dans cette logique, de plus en plus de conventions de rupture financent des formations, des coachings, des bilans de développement des compétences, etc. In fine, la rupture conventionnelle s’inscrit dans une vision moderne du travail qui repose aujourd’hui plus sur des compétences mobilisables tout au long de la vie que sur une fonction précise dans une entreprise donnée. Ces compétences sont évolutives, mobilisables dans tous types d’entreprises et doivent pouvoir conduire à changer d’emploi facilement.

Confirmant ce changement de paradigme, la possibilité de conclure des ruptures conventionnelles a même été étendue depuis 2020 à la fonction publique, ouvrant une faille dans la corrélation tenace entre fonctionnariat et « emploi à vie » ; la législation relative à la rupture conventionnelle montre que le commun accord des parties doit faire l’objet de garde-fous solides mais que, si ces garde-fous sont respectés, un contrôle a minima est suffisant. En effet, le principal risque de la rupture conventionnelle est qu’elle se substitue au licenciement lorsque l’employeur peine à trouver une motivation valable pour rompre le contrat (ou ne veut pas subir les contraintes du licenciement), surtout quand le salarié est dans une situation de vulnérabilité particulière (harcèlement, burn out). La loi et la jurisprudence prévoient ainsi des protections au profit des salariés s’assurer de leur consentement libre et éclairé et éviter le détournement de la rupture conventionnelle.

La rupture conventionnelle : le consentement des parties replacé au cœur de la relation contractuelle

Dans la procédure de rupture conventionnelle, le déséquilibre des parties au contrat de travail n’est pas nié (heureusement !), mais le salarié retrouve sa place d’adulte en maîtrise de sa vie professionnelle. Cela conduit à une approche plus civiliste du contrat de travail en retournant à des concepts contractuels de droit commun, en particulier la notion de vice du consentement.

1 – Les garde-fous procéduraux permettant de protéger le consentement du salarié

La protection du salarié est indispensable pour s’assurer que l’employeur n’est pas à l’origine de pressions ayant contraint le salarié à quitter son emploi. Ces garde-fous sont avant tout procéduraux pour éviter autant que possible les contentieux post-rupture.

  • L’entretien

Les parties au contrat doivent nécessairement s’entretenir des conditions de la rupture conventionnelle proposée par le salarié ou par l’employeur. L’employeur doit donc inviter le salarié à un ou plusieurs entretiens, en respectant par prudence un délai de 5 jours ouvrables entre l’invitation et la rencontre. Ces entretiens répondent à plusieurs objectifs :
– l’information du salarié: l’entretien permet à l’employeur d’informer le salarié de ses droits et de la procédure applicable. Il constitue également l’occasion de fournir une information sur le différé Pôle Emploi lorsque l’indemnisation est supérieure au montant minimum fixé par la loi ;
– l’assistance du salarié: le salarié peut se faire assister s’il le souhaite. Pour éviter tout déséquilibre, l’employeur n’a le droit d’être assisté que si le salarié l’est également (il est d’usage de demander au salarié dans la lettre d’invitation à l’entretien s’il envisage d’être assisté)

  • La négociation des conditions de rupture

L’entretien permet surtout de négocier les conditions de sortie du salarié qui sont avant tout contractuelles (sous réserve du respect des minima légaux) et résulteront de la convention signée par les deux parties : date de rupture du contrat (qui peut être postérieure à la date d’homologation), montant de l’indemnité de rupture et éventuellement conditions annexes de la rupture (levée d’une clause de non-concurrence par exemple).
Beaucoup d’employeurs préfèrent organiser deux entretiens pour que le salarié dispose d’un temps pour réfléchir aux conditions proposées entre le premier et le second rendez-vous.
La convention de rupture peut être signée à l’issue du ou des entretiens et doit comporter toutes les mentions obligatoires prévues dans le Cerfa de rupture relativement aux parties et à l’indemnisation du salarié (à défaut, la convention risque d’être déclarée irrecevable et la procédure devra être recommencée depuis le départ).
L’employeur doit être en mesure de prouver qu’il a remis un exemplaire de la convention au salarié (c’est une règle de validité de la rupture) : il est donc indispensable de lui faire signer et de conserver un récépissé.

    • L’indemnisation du salarié

La loi prévoit que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être au moins égale à l’indemnité légale de licenciement. Un avenant de 2009 à l’ANI du 11 janvier 2008[2] est venu ajouter que l’indemnité de rupture conventionnelle devait être au moins égale à l’indemnité conventionnelle de licenciement. Tous les employeurs entrant dans le champ de l’ANI de 2008 doivent donc procéder à une comparaison entre le montant de l’indemnité légale et de l’indemnité conventionnelle et considérer que la plus avantageuse d’entre elles constitue l’indemnité minimale de rupture conventionnelle. Au-delà de ce minimum, il appartient en principe aux cocontractants de fixer ensemble le montant de cette indemnité spécifique de rupture conventionnelle. Cela permet d’adapter les conditions de la rupture conventionnelle à la situation individuelle de la rupture de la relation de travail. Il appartient donc aux employeurs de déterminer leur politique de recours à la procédure de rupture conventionnelle et en particulier de sa dimension indemnitaire, en lien avec l’ensemble des autres dimensions RH.

  • Le délai de rétractation

La procédure de rupture conventionnelle s’inspire du droit de la consommation avec l’instauration d’un délai de réflexion pour les parties qui permet de consolider leur consentement. Ce délai est fixé à 15 jours calendaires à compter de la signature par les parties de la convention de rupture. Ce délai est d’ordre public et donc incompressible.
Les ruptures conventionnelles anti datées aux fins de réduire ou supprimer ce délai le sont aux risques et périls exclusifs de l’employeur : si le salarié en rapporte la preuve, celle-ci sera annulée et produira alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.  

  • L’homologation de la DREETS

Au terme du délai de rétractation, l’employeur adresse une demande d’homologation à la DRIEETS/DREETS du ressort de l’établissement dans lequel le salarié est employé. La DREETS dispose d’un délai de 15 jours ouvrables à compter du lendemain de la réception de la demande pour se prononcer, sachant que le défaut de réponse équivaut à une homologation implicite.
Depuis le 1er avril 2022, cette demande doit nécessairement être transmise par voie dématérialisée via le site TéléRC. Le contrôle a priori de la rupture conventionnelle est donc administratif et non judiciaire. Cette modalité permet d’assouplir la procédure et s’inscrit dans un mouvement global de déjudiciarisation des procédures en cas d’accord des parties (dans le même état d’esprit, le divorce par consentement mutuel a lui aussi été déjudiciarisé quelques années plus tard[3]).

En revanche, pour éviter d’allonger la procédure, le contrôle de la DREETS ne sera pas approfondi et l’inspecteur se contentera de vérifier le respect des exigences légales reportées dans le Cerfa de rupture, sans interroger les parties prenantes sur leurs motivations. Ce contrôle est renforcé pour les salariés protégés puisque l’employeur doit adresser une demande d’autorisation à l’inspecteur du travail qui s’assurera que la rupture ne repose pas sur un motif discriminatoire et, surtout, est dépourvue de tout lien avec le ou les mandats détenus par le salarié.  

2 – Le contrôle judiciaire et le vice du consentement

L’homologation de l’inspection du travail ne prive par le salarié de contester la validité de sa rupture devant le juge prud’homal, dans un délai de douze mois suivant la rupture de son contrat. Cette contestation permet de remettre en cause la validité de la rupture lorsque des irrégularités de procédure affectent le fond (ex : non-respect du délai de rétractation) ou lorsque le salarié n’a pas librement consenti à cette rupture. En effet, la question juridique la plus délicate reste celle de la liberté du consentement du salarié, surtout lorsque la relation de travail était conflictuelle. Comme toute autre convention, la rupture conventionnelle doit avoir été négociée librement, le consentement du salarié devant être exempt de dol (manœuvres frauduleuses de l’employeur destinées à tromper), violence ou erreur (C. civ., art.  1130).

Cela signifie qu’une rupture conventionnelle entachée d’un vice du consentement, soit sur le principe de la rupture soit sur les conditions de celle-ci encourt une annulation judiciaire.

La jurisprudence est exigeante sur la question : le contexte ou l’existence d’un litige[4], voire de faits de de harcèlement[5], ne suffit pas en soi à invalider une rupture conventionnelle ; il appartient au salarié de démontrer que ce contexte est constitutif d’un vice du consentement au sens du droit commun.
Ainsi, le salarié doit prouver qu’il a subi des pressions ou menaces l’ayant contraint à conclure une rupture conventionnelle. Cela peut notamment résulter de procédures disciplinaires à répétition[6] ou encore de menaces d’atteinte à sa réputation professionnelle. L’état de vulnérabilité du salarié au moment de la signature de la convention est également pris en compte, même si son inaptitude physique ne fait pas en soi obstacle à la conclusion d’une rupture conventionnelle[7].

Pour contester efficacement une rupture conventionnelle, il faut donc pour le salarié rapporter la preuve non seulement des agissements de l’employeur, mais aussi des conséquences de ces agissements (en particulier sur sa santé psychique) et de leur impact sur son consentement dans le cadre de la rupture conventionnelle[8].

La rupture conventionnelle s’affirme donc aujourd’hui plus que jamais comme un mode de rupture du contrat de travail à la fois flexible et sécurisé pour les deux parties :

  • Pour l’employeur : la rupture conventionnelle s’inscrit dans une procédure très précisément encadrée par la loi et relativement brève. Les possibilités de contestation a posteriori par le salarié sont limitées lorsque les délais et règles de procédure ont été scrupuleusement respectés ; 
  • Pour le salarié : il bénéficie d’un socle minimal de garanties pendant toute la procédure de rupture conventionnelle (délai de réflexion, indemnisation minimale, homologation). Cela ne le prive pas de son droit à contester la rupture devant le juge s’il a subi une contrainte ou manœuvre de l’employeur l’ayant déterminé à accepter cette rupture.

Tribune co-rédigée par Sébastien Monetto, Avocat Associé, et Camille Charousset, Avocate, chez Cornillier Avocats
[1] Les ruptures conventionnelles représentent près de 8% des inscriptions à Pôle Emploi
[2] Avenant n°4 signé le 18 mai 2009, étendu par arrêté en date du 26 novembre 2009
[3] Loi de modernisation de la justice du XXI e siècle du 18 novembre 2016
[4] Cass. Soc., 23 mai 2013, n°11-13865
[5] Cass. Soc. 23 janvier 2019, n° 17-21550

[6] Cour de Cassation, chambre sociale, arrêt du 16 septembre 2015 : RG n°14-13830
[7] Cour de cassation, chambre sociale, 9 mai 2019, n° 17-28.767

[8] Cour de cassation, chambre sociale, arrêt du 29 janvier 2020 : RG n° 18-24296




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Camille Charousset, Avocat chez Cornillier Avocats
« Spécialisée en droit du travail et en gestion des ressources humaines, Camille conçoit l’avocat comme un véritable partenaire de l’entreprise, qu’elle conseille et accompagne au quotidien dans ses relations sociales individuelles et collectives, ainsi qu’en situation de crise (alertes CSE, signalements de harcèlement) comme dans les contentieux sociaux. Attachée à un accompagnement de proximité, elle cherche à comprendre les réalités de l’entreprise et ses besoins pour proposer des solutions pragmatiques et sur-mesure. Camille assure aussi auprès des clients une veille juridique personnalisée afin de les avertir des actualités et évolutions législatives ou conventionnelles les concernant. Egalement impliquée dans les aspects sociaux des opérations de restructuration (fusions, cessions, etc.), elle réalise des audits approfondis en vue de proposer des plans d’actions adaptés permettant de garantir une harmonisation sociale après l’opération »