Les tensions géopolitiques, la succession des crises climatiques, économiques, financières et sociales rendent la conjoncture toujours plus anxiogène. Pour faire face, les dirigeants et leurs équipes sont appelés à ne pas céder au pessimisme mais à donner du sens en se mettant au service du bien commun.

Productivisme, financiarisation, individualisme : les excès des paradigmes néolibéraux

Depuis le dix-neuvième siècle, l’industrialisation reste considérée comme le modèle du développement économique. C’est justement ce modèle qu’ont suivi, ces dernières décennies, des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil, où la croissance démographique a poussé à recourir à des pratiques d’agriculture intensive. Malheureusement, l’extension des activités industrielles et agricoles finit par causer d’importants dommages à l’environnement. La fragilisation de la couche d’ozone, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’épuisement des ressources fossiles, la montée du niveau des océans, la modification des courants marins, la déforestation et la disparition de nombreuses espèces animales placent l’humanité devant un redoutable défi écologique. Les ouragans qui ravagent une partie des États-Unis, les nuages de pollution qui surplombent les mégapoles asiatiques comme les canicules estivales qui assèchent les fleuves européens révèlent une partie des conséquences de tout le mal qui est fait à la planète.

Le dérèglement climatique remet en question les logiques microéconomiques

Le dérèglement climatique provoque une remise en question des logiques microéconomiques. Depuis le début des années 1980, banques d’affaires, fonds de pension, hedge funds ont considérablement développé leurs activités. Dans son livre La république des actionnaires, l’économiste Pierre-Yves Gomez observe que ces institutions se sont impliquées jusqu’à imposer « la souveraineté de l’actionnaire sur l’entreprise » en exigeant toujours « plus de transparence des informations, plus de contrôle des dirigeants, plus de possibilités d’intervention ». Avec le concours de consultants et d’analystes, elles ont joué un rôle déterminant dans l’internationalisation des flux de capitaux, mais elles sont maintenant accusées d’avoir pesé sur la gouvernance des grands groupes pour faire appliquer des stratégies donnant trop d’importance aux objectifs financiers aux dépens des enjeux humains et environnementaux. Longtemps dépendantes d’un patronat familial ou technocratique, les entreprises sont devenues les cibles de pratiques spéculatives, ce qui entraîne généralement une mise sous pression de l’encadrement et une rigidification des méthodes de management.

Des mentalités et des comportements plus individualistes

A la remise en question des logiques microéconomiques s’ajoutent des constats socioculturels. L’urbanisation, l’avènement de la société de consommation, l’accroissement du temps consacré aux loisirs et aux vacances puis le développement des technologies de l’information et de la communication ont rendu les mentalités et les comportements plus individualistes. Pour Jean-Pierre Le Goff, le culte de la réussite, le souci de l’image de soi et la recherche de l’épanouissement personnel ont fini par ringardiser les normes imposées par les institutions et les traditions. Dans son livre Malaise dans la démocratie, le sociologue observe ainsi « une inéluctable émancipation de l’individu » revendiquant un « droit au bonheur » et une « exigence d’autonomie » contre toutes les formes de contrainte et d’interdit. Cette évolution socioculturelle s’avère problématique pour les entreprises puisque, quelles que soient leurs catégories socioprofessionnelles, les salariés gèrent désormais leurs carrières bien plus en fonction de leurs intérêts que des attentes des employeurs.

Les entreprises peuvent davantage œuvrer pour le bien commun

A travers de nouvelles orientations stratégiques et de nouvelles pratiques managériales, les entreprises peuvent davantage œuvrer pour le bien commun

Depuis une vingtaine d’années, des experts suggèrent aux dirigeants de se faire plus citoyens en cessant d’opposer les objectifs financiers et les enjeux sociétaux, en essayant de faire converger les intérêts privés et l’intérêt général. Dans son livre Les enfants du vide, Raphaël Glucksmann appelle même à « entamer une révolution mentale, sociale, économique et politique » en vue de « restaurer le primat du pouvoir commun sur les puissances particulières ».

Les ambitions citoyennes doivent s’exprimer en priorité dans des actions de développement durable. Auteur d’une dizaine d’ouvrages sur les questions environnementales, Jean-Marc Jancovici affirme que la préservation de l’environnement n’est guère « une affaire d’élus, de hauts fonctionnaires ou d’ingénieurs » mais qu’elle dépend des « choix de société que nous faisons ». Dans cet esprit et bien avant d’avoir à faire des efforts de sobriété énergétique, des entrepreneurs se sont engagés pour développer l’économie circulaire et le recyclage, pour améliorer l’isolation thermique des bâtiments, pour réduire les contraintes de déplacement en recourant à la visioconférence, pour modifier les moyens de transport des marchandises, pour renouveler les parcs de véhicules de service et de fonction, dans lesquels les moteurs hybrides et électriques sont de plus en plus nombreux. Ces engagements sont désormais salués et encouragés par la communauté financière car, comme le signale Pierre-Yves Gomez, les actionnaires adaptent leurs préoccupations aux enjeux du monde contemporain quitte à moins entretenir une « mécanique spéculative ». Cela s’est d’ailleurs traduit par une évolution juridique très significative puisque, depuis la promulgation d’une loi du 15 mai 2001, les entreprises cotées doivent présenter des rapports annuels sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités.

L’humanisation du management

A l’intérêt pour le développement durable doit s’ajouter une humanisation du management. Cela correspond à des évolutions récentes des attentes. Dans son Manifeste pour le bonheur, le professeur italien Stefano Bartolini a exploité des études menées dans plusieurs pays occidentaux pour caractériser « un changement radical du climat culturel ». Il démontre qu’un nombre croissant de salariés commencent à « arrêter de penser sans cesse à la réussite, à l’argent, au travail, à la performance » afin de rechercher un équilibre épanouissant entre la vie professionnelle et la vie privée en vivant avec « moins de pression, moins de stress et plus de temps pour se détendre ». En conséquence, pour éviter les démissions ou le désengagement de leurs collaborateurs, les managers doivent changer. C’est ce que Philippe Royer explique dans son livre S’engager pour le bien commun. Ce chef d’entreprise confirme que les salariés abandonnent progressivement « le modèle d’un engagement professionnel très centré sur la réussite » en vue de cultiver une « envie d’entreprendre » et de donner du sens à leurs carrières. Pour répondre au besoin de sens, il prône un « leadership authentique » et conseille « de présenter une vision juste et ambitieuse » de la stratégie. Le besoin de sens exige aussi d’accorder du temps et de la considération à l’occasion des entretiens d’évaluation et des entretiens professionnels comme à travers la mise en œuvre du plan annuel de développement des compétences et les processus de gestion des carrières, la finalité étant évidemment de mettre chacun dans les meilleures conditions pour exprimer ses talents.