L’époque est paradoxale au point de prendre l’entreprise en otage avec, d’une part des obligations de plus en plus importantes vis-à-vis de l’opinion publique, en particulier en termes de RSE et, d’autre part, une montée importante de l’individualisme chez les salariés qui la voient de moins en moins comme une finalité de vie. Le monde post-Covid donne naissance à une hybridation du travail – en l’espace de deux ans, le mot hybride est d’ailleurs devenu LE terme à la mode, mis de fait à toutes les sauces. L’arrivée massive de la génération Z accentue le phénomène, en parallèle de tensions durables sur le front des embauches.

Recruter est un défi ; intégrer et fidéliser également

Nombre de salariés importe naturellement leurs choix de vie dans l’entreprise sans préalablement se soucier des us et coutumes en vigueur.
L’individualisme de la société civile, entretenu par les réseaux sociaux, s’invite dans les relations humaines professionnelles.
Il est de plus en plus fréquent, dans nombre de secteurs d’activité, de constater l’envol des démissions au bout de 6 à 12 mois de présence ; l’échec de l’intégration est en passe de devenir la double peine des équipes de recrutement.
Parce qu’imputer exclusivement l’échec de l’intégration aux équipes de recrutements n’est pas le reflet de la réalité, peu importe l’entreprise.
« La grande démission » venue des États-Unis et qui aujourd’hui touche toute l’Europe en dit long sur ce phénomène qui privilégie l’intérêt individuel à la notion de construction collective, le temps court au temps long.
En France, les démissions ont bondi de 20% au premier trimestre 2022 vs la même période de 2021, soit 470 000 français qui ont quitté leur employeur (aux USA près de 48 millions d’américains ont quitté leur emploi).
« Ne plus donner sa chance au produit » est une norme qui s’étend désormais aux relations, qu’elles soient intimes ou professionnelles.
Pourtant l’entreprise est par essence un lieu de vie collective qui fait sens et qui s’inscrit naturellement dans la durée.
Malheureusement les aléas économiques ont fait, depuis bien longtemps, de l’humain la première variable d’ajustement des directions financières, ce qui aujourd’hui, est parfaitement intégré par les primo accédants du marché de l’emploi ; ils ont dans leur besace des décennies de crises sociales. Le postulat est clair : moi d’abord et c’est l’essentiel.
Cet individualisme, que l’on peut comprendre par ailleurs, est pourtant difficilement compatible avec les beaux discours sur l’engagement, la fidélité, voire la notion même de carrière.
En miroir, l’exemple des entreprises familiales est intéressant car, en plus d’offrir des métiers comme ailleurs, elles offrent généralement un supplément d’âme avec leur culture d’entreprise :
– Le leadership est incarné (généralement par les membres de la famille fondatrice)
– Le mode de relations est ritualisé (l’entreprise est une tribu)
– L’authenticité structure la plupart du temps le modèle de management (délégation culturelle)
– Les droits et devoirs de chacun sont connus et appliqués
– L’éthique est un principe de base
– « Le vivre ensemble » s’apparente à une grande famille
En règle générale, dans ce type d’entreprises (Hermès, Dassault, Gifi, Derichebourg, Chanel, Pernod Ricard…), le turnover est plus faible qu’ailleurs et l’attractivité est toujours précédée par la réputation humaine de l’entreprise.
Même si ce constat peut sembler réhabiliter des organisations qui, pendant longtemps, ont incarné « un management paternaliste », on se rend compte qu’elles sont de plus en plus attractives, pour ne pas dire tendance.

Le leadership du coeur doit toujours primer sur le leadership des profits

Face à l’individualisme, il faut oser ouvrir grands les bras pour accueillir toutes les différences ; le leadership du coeur primera, je l’espère, toujours sur le leadership des profits et ce même si toute entreprise peut un jour être confrontée à licencier pour survivre.
Il y a plus de dix ans, chez GIFI, nous avons opéré un travail de fond sur notre marque employeur avec comme consigne de notre président, Philippe Ginestet, « être nous-mêmes ». De ce travail est née une idée forte sur laquelle nous capitalisons toujours, « la distribution a du coeur ».
Oser parler de coeur dans un univers connu pour sa rudesse – la distribution – était incongru pour beaucoup alors que pour nous, c’était naturel puisque depuis 1981, nous sommes une grande famille qui n’a eu de cesse de mettre l’humain au coeur de son développement. Aujourd’hui, notre culture sélective – « on n’entre pas dans une famille comme dans un moulin » – est une force pour attirer mais nous impose un devoir d’authenticité, tant en interne qu’en externe. Trop souvent, les entreprises cherchent à se mettre en avant en étant plus belles qu’elles ne le sont ; c’est une grave erreur.
Si l’on veut contrer l’individualisme de notre époque, il faut donner du sens à la personne dans le collectif, à la mission dans l’oeuvre commune. Il est important de tout dimensionner dans le collectif de vie en sublimant la notion de marque maillot ; à l’instar de GIFI, si toute personne est fière de porter le maillot, c’est tout simplement parce que chacun se sent à sa place, en place, dans l’organisation. La considération de l’Humain avec un grand H est un postulat à assumer ; le récit culturel et la légende de chaque entreprise font le reste. Le plein emploi impose aujourd’hui aux directions générales de changer de logiciel en équilibrant cerveau droit et cerveau gauche, pour éviter que le capital humain ne soit qu’une belle formule dans un rapport annuel.
Mais dans son rôle sociétal, l’entreprise engagée doit aussi aider les personnes à changer de regard sur le monde du travail et leur éviter aussi le piège de l’individualisme.