Promulguée en décembre 2013, la loi relative à “la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière” a eu pour première conséquence notable un rapprochement entre l’administration fiscale et le parquet. Cette “mutualisation” des outils et des compétences aux seules fins de traque de la fraude fiscale engendre depuis cette date un taux de poursuites des dirigeants rarement atteint. Au risque de jeter un peu plus l’opprobre sur une profession qui n’a jamais été autant décriée.  

A l’ère de la double peine

Qu’il ne fait pas bon d’être dirigeant par les temps qui courent. Critiqués par leurs salariés, conspués par les syndicats, vilipendés par une frange significative de l’opinion publique, les patrons se retrouvent en outre suspectés de tous les maux fiscaux par des magistrats toujours plus inflexibles. Pire, les agissements délictuels d’une minorité de dirigeants n’en finissent plus d’éclabousser l’ensemble de la corporation par médias interposés, l’assimilant par là même aux plus hautes sphères de la voyoucratie hexagonale. La multiplication des plans sociaux, nouvelles places de grève des patrons voyous, ne fait hélas rien pour briser cette image d’Epinal.
Dès lors, la question de savoir comment expliquer une telle dégradation – aux yeux du tout – de l’image du dirigeant paraît quelque peu légitime. La réponse prend, en partie, sa source au travers de la loi du 9 mars 2004, dite “Perben II”, qui a généralisé la responsabilité pénale des personnes morales. A noter que la responsabilité de la personne morale fut mise en place pour limiter l’implication du dirigeant. Force est de constater, 16 ans après la promulgation de la loi, qu’il n’en est hélas rien… Dès lors, la responsabilité pénale et fiscale du dirigeant va être très souvent recherchée en de nombreuses situations, comme par exemple le non dépôt des comptes sociaux de la société, l’absence de déclaration d’impôts ou l’utilisation frauduleuse de la TVA collectée à des fins de renflouement d’une trésorerie exsangue. Aux yeux de l’administration fiscale et du législateur, ces “exactions” sont à apprécier au titre de “manœuvres frauduleuses”. Celles-ci peuvent, en outre, être associées à des “inobservations graves et répétées” dès lors que des faits de récidive (à au moins deux reprises) sont avérés. Même s’il est vrai que la charge de la preuve reste du ressort de l’administration fiscale, l’incombant à prouver l’implication personnelle du dirigeant dans la mauvaise gestion de son entreprise, il est fréquent de remarquer que la bonne foi de ce dernier se heurte la plupart du temps à la surdité des magistrats. Et que la double peine qui lui est infligée, tant sur le plan fiscal que sur le volet pénal, le voue définitivement aux gémonies.
Jugez plutôt : outre le volet fiscal auquel le contrevenant s’expose (incluant l’acquittement de l’impôt non payé, complété des pénalités de retard (de 10, 40 ou 80%) et d’une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 euros, le volet pénal prévoit pour sa part une peine d’emprisonnement possible (jusqu’à 7 ans) pour fraude fiscale aggravée, assortie d’une peine d’inéligibilité ainsi qu’une perte des droits civiques dans les cas les plus extrêmes.
Que dire enfin de l’article 1745 du CGI si ce n’est qu’il vient alourdir un peu plus encore le poids du glaive répressif en prévoyant la solidarité au paiement de l’impôt et des pénalités pour les personnes condamnées en correctionnelle pour fraude fiscale. Non, effectivement, il ne fait pas bon être dirigeant par les temps qui courent.

FRAUDE qui veut…

Publiée au Journal Officiel du 24 septembre 2018, la loi relative à “la lutte contre la fraude” renforce les sanctions contre les fraudeurs qui intentent volontairement aux principes fondamentaux d’égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt. Derrière les mots se cache une réalité plus implacable : l’optimisation de la détection et de la sanction de la fraude. Jusqu’alors, l’opportunité des poursuites en matière de fraude fiscale était dévolue à Bercy, qui choisissait à discrétion de poursuivre ou pas un contrevenant. Désormais, l’administration fiscale a l’obligation de transmettre au parquet tout redressement fiscal supérieur à 100 000 euros et soumis à certaines pénalités.
Le droit fiscal se pénalisé encore davantage et a obligé l’avocat à adopter sa stratégie de défense en matière de contentieux dès lors qu’une réitération de l’infraction par son client est constatée et que planent sur le dossier des risques de poursuites pénales. Car, en matière de responsabilité pénale, les “règles du jeu” diffèrent sensiblement de celles établies sur le plan fiscal. Si, comme indiqué précédemment, fiscalement il appartient à l’administration, donc à Bercy, de prouver qu’il y a eu un manquement, en droit pénal il existe une présomption de responsabilité. C’est alors au dirigeant de démontrer son innocence pour les faits reprochés. Ainsi commence un long chemin de croix…

…Mais se sauve qui peut…

Autant le dire clairement : en dehors d’une délégation de responsabilité établie en bonne et due forme, nul espoir pour un dirigeant de prouver sa bonne foi devant ses juges. A ce stade, il paraît important de rappeler que pour qu’un dirigeant puisse voir sa responsabilité engagée, il faut non seulement qu’il soit le dirigeant de droit (qu’il ait donc le pouvoir au regard de la loi d’engager sa société), mais qu’il le soit au moment où les actes frauduleux auraient été commis.
La délégation de pouvoir est donc une pièce majeure dans la stratégie de défense de l’avocat du dirigeant mis en cause. Encore faut-il qu’elle obéisse à quelques règles de bon sens.
La 1ère est de matérialiser cette délégation de pouvoir par un contrat écrit détaillé, même si aucune loi ne l’impose. C’est l’axe par lequel le dirigeant (le responsable légal) va déléguer une partie de ses pouvoirs à un de ses collaborateurs. La délégation de pouvoir doit être des plus précises.
La 2nde règle essentielle est de s’assurer au préalable que la personne qui va recevoir la délégation de responsabilité ait :
1 – les compétences requises pour l’assumer,
2 – l’autorité nécessaire pour pouvoir prendre les décisions qui doivent l’être dans le cadre de la délégation de pouvoir,
3 – les moyens (financiers, techniques…) de pouvoir mener à bien cette délégation.
Si ces 3 critères ne sont pas réunis, la délégation ne pourra pas être opposée par le dirigeant incriminé pour dégager sa responsabilité.

La seconde possibilité, quoique des plus théoriques, d’échapper à la responsabilité fiscale et pénale est de pouvoir prouver le cas de force majeure (maladie, accident,…). De mémoire d’avocat, ce cas de figure n’est quasiment jamais retenu par les magistrats.
Voilà pourquoi, la nécessité pour tout dirigeant, vertueux ou non, de s’enquérir des conseils avisés d’un avocat rompu aux vicissitudes du droit pénal et fiscal paraît être la meilleure option à prendre.