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Dans un contexte international troublé, nous apprenons à vivre avec l’incertitude, une caractéristique de plus en plus prépondérante de notre environnement en constante et perpétuelle évolution. Jusqu’en 2020, le concept VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity) nous aidait à appréhender le cadre de travail dans lequel nous évoluions. Avec la pandémie, la situation a drastiquement changé. Elle nous a obligés à recourir à de nouveaux outils et concepts pour nous aider à décrire et surtout comprendre cette nouvelle réalité. Ainsi est né le BANI, acronyme s’appuyant sur quatre caractéristiques fondamentales : Brittle (fragile), Anxious, Non-linear, et Incomprehensible. Il va donc au-delà de la notion de VUCA, puisqu’il définit une réalité de désordre et de confusion ne reposant plus sur les concepts d’instabilité et d’incertitude.
Ce changement de contexte sociétal a également entraîné une transformation de la situation professionnelle des collaborateurs. Au cours des derniers mois, ils ont vu la frontière entre sphère professionnelle et sphère personnelle devenir encore plus poreuse. Nombreux sont ceux qui ont dû jongler entre vie personnelle bouleversée et surcharge de travail, le tout sur fond d’hybridation du travail – un nouveau type d’organisation sans doute parti pour durer.

Une démission qui fait des vagues

Ces bouleversements ont engendré un phénomène mondial connu sous le nom de « Big Quit », une situation à laquelle la grande majorité des entreprises a dû faire face ces deux dernières années. A titre d’exemple, en France, entre fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a atteint un record avec le chiffre de près de 520 000 par trimestre.
Si les données observées plus récemment semblent plus favorables et indiquer que ce phénomène perd en intensité, cela signifie-t-il pour autant que les collaborateurs sont de nouveau fortement engagés dans leur travail au sein de l’entreprise ?

Malheureusement, non. Le ralentissement des démissions n’est pas lié à une amélioration de la motivation ou de l’engagement de ces derniers. Il est plutôt la conséquence de l’instabilité économique et géopolitique mondiale. Elle a conduit les collaborateurs à rechercher la sécurité économique ou le “confort” dans leur emploi actuel. En ces temps troublés, leur malaise est certainement toujours très profond, bien que plus sourd.

Engagés mais désengagés

Cette baisse d’intensité dans l’engagement et la motivation de certains collaborateurs a déclenché un autre phénomène : le “Quiet Quitting” ou la démission silencieuse. Ce concept fait référence à la prise de distance relative que certains collaborateurs adoptent vis-à-vis de leur travail, sans pour autant démissionner.
Ce changement de mentalité les conduit à assumer uniquement les tâches inhérentes à l’emploi, à respecter strictement les horaires de travail indépendamment des circonstances ou des besoins spécifiques, et à réduire l’effort au “minimum syndical”.

Au niveau individuel, la démission silencieuse peut être subtile, à peine audible par le management. Plus insidieuse, elle est plus difficile à identifier que le “burnout”. Par ailleurs, il n’est pas impossible que la démission silencieuse soit pour le collaborateur une attitude conservatoire pour échapper à l’imminence d’un burnout.
La “grande démission” est un tournant qui témoigne du besoin d’un changement radical dans le rapport au travail. Elle devrait inciter les entreprises à réfléchir sur le sens qu’elles donnent à ce dernier. La “démission silencieuse” quant à elle ne vise pas le changement. Elle prolonge, voire éternise, une situation peu propice à l’épanouissement, tant du collaborateur que de l’entreprise.
Face à ces différentes vagues et formes de démission, comment doivent réagir les entreprises ? Que doivent-elles faire pour retrouver l’engagement d’avant dans le monde d’après ?

L’entreprise gagnée par l’émotion

Face à ces nouveaux phénomènes porteurs d’inertie, une seule façon d’avancer s’impose, adopter des stratégies axées sur l’expérience collaborateur qui selon l’Association pour le développement de l’expérience client (DEC) se définit comme “L’expérience des personnes et leur relation professionnelle avec une organisation, y compris tous les moments qui se produisent avant, pendant et après la relation professionnelle”.

Dans cette définition, il est important de souligner le mot “expérience” car, par définition, celle-ci est subjective et influencée par la perception de l’individu. En d’autres termes, tout autant que la réalité de l’entreprise, ce qui importe, c’est la perception qu’en a le collaborateur. L’entreprise doit donc non seulement mettre en place un certain nombre d’actions concourant au bien-être des collaborateurs, mais surtout s’assurer qu’elles sont perçues comme telles par ces derniers.

L’objectif n’est autre que de favoriser l’engagement ou le réengagement des collaborateurs par le biais de meilleures expériences. Cette prise de conscience est le meilleur antidote dont disposent les entreprises pour lutter contre la “démission silencieuse” et d’autres tendances délétères qui ne devraient pas tarder à émerger. Dans une parfaite symétrie de l’attention, des collaborateurs engagés conduisent à des clients satisfaits, donc fidèles. Ainsi, la bonne qualité de leur expérience est désormais un élément clé de la performance pour toute organisation.
L’expérience collaborateur est donc essentiellement une émotion. Alors que celle-ci était autrefois considérée par les entreprises comme un facteur irrationnel, inassimilable par les processus industriels, elle apparaît aujourd’hui comme l’un des éléments parmi les plus solides pour fabriquer un environnement propice, une image attractive, et une croissance durable. Symbole d’une période peu avare en paradoxes, dans l’établissement d’une nouvelle frontière, la dimension humaine ne cesse de progresser malgré un environnement toujours plus technologique.