Aujourd’hui, le dogme de l’innovation est devenu le mantra de toutes les entreprises. Les fameux NATU ont chacun pris un élément du mix marketing – les « 4P » – pour changer le monde :
Netflix a révolutionné l’économie des vidéo club par la distribution (mise en Place) via l’envoi de DVD par la poste,
AirBnB a offert un Prix plus abordable qu’une chambre d’hôtel pour un séjour courte durée,
Tesla a proposé un Produit qui s’apparente plus à un produit Apple que General Motors,
Uber a permis à des chauffeurs de trouver des clients par une nouvelle approche de la Promotion de leur service.

Dans le secteur bancaire, on a vu ces quatre composantes être également sources d’innovation via la distribution (self-service), le Prix (freemium), le Produit (compte de paiement) et la Promotion (parrainage et prime d’accueil). Même les sociétés non technologiques sont confrontées à ce mouvement : les restaurants se réinventent en dark kitchens tandis que les cabinets d’avocat doivent intégrer l’intelligence artificielle. En fait, les chemins à prendre pour innover diffèrent selon qu’il s’agit d’une entreprise qui dispose déjà d’un modèle d’affaires bien établi ou pas.

Plusieurs formes d’innovation

Pour les jeunes sociétés, il est pertinent de se positionner là où il n’y a pas encore trop d’acteurs car il est difficile d’émerger quand on fait comme les autres … et qu’il y a beaucoup d’autres. Elles sont nombreuses ces startups qui ont découvert qu’il est coûteux d’investir et dans le produit, et dans sa promotion. L’argent facile des levées de fonds a laissé croire que c’était possible mais la dure réalité s’impose. Beaucoup se sont repositionnées en fournisseurs pour des groupes plus gros, à l’image de ce qui se fait depuis longtemps dans la recherche pharmaceutique. Il y a un avantage aux acteurs établis car ils bénéficient d’une réputation, c’est-à-dire d’une notoriété mais aussi d’une image de marque. La notoriété attire l’attention, l’image de marque – et la confiance attachée – permet de transformer cette attention en engagement.

Il faut donc savoir se différencier. Une société comme l’australien Canva, évaluée à 26 Md$ moins de 10 ans après son lancement, a révolutionné la création pour communiquer sur les réseaux sociaux en ne s’adressant pas aux experts et professionnels, mais aux amateurs, ceux qui n’avaient pas d’expérience sur les outils complexes du marché. Un parti-pris contraire à celui du leader Photoshop et de ses concurrents.

Pour les sociétés établies, 2 options : l’incrémental et le disruptif

L’incrémental implique une démarche d’amélioration continue qui n’est pas toujours dans la culture d’une entreprise. Quand quelque chose marche, il peut être pertinent de ne pas y toucher. A l’inverse, les comportements de clients évoluent, l’environnement se modernise et les concurrents bougent. L’immobilisme est souvent à terme synonyme de recul. Parmi ceux qui réussissent justement ce challenge de l’innovation incrémentale, on cite souvent les acteurs de la technologie qui ont l’habitude du versioning (on en est à Androïd v13), mais des sociétés comme L’Oréal ou Thales réussissent très bien à rester à la pointe de leurs secteurs respectifs. Dans l’une comme dans l’autre, il y a une culture de la R&D pour faire vivre et renouveler sans cesse leurs gammes de produits.

L’innovation disruptive est plus difficile à entreprendre pour un grand groupe car elle peut venir perturber les équilibres qui font sa force. Historiquement, les leaders avaient tendance à ne pas prendre d’initiative susceptible d’ouvrir le marché à leurs concurrents moins puissants. La technologie a modifié ce paradigme car elle peut permettre à un challenger d’innover à moindre coût ou de multiplier les axes de différenciation.  

Moyens et culture d’entreprise

Nombre de structures d’innovation de grands groupes parviennent à faire de jolies choses, mais l’industrialisation en utilisant la puissance de l’entreprise établie est autrement plus compliquée.
Le startup studio Kamet s’est autonomisé par rapport à Axa à cause du manque de synergies.
Xerox n’a pas su exploiter ses brevets sur l’interface graphique pilotée par une souris. Dans le cas de Kodak avec la photo numérique, de Toy’s Us avec le e-commerce ou encore de Blockbuster avec le rachat avorté de Netflix, c’est la défense du modèle d’affaires qui a été un frein à saisir une innovation disruptive : l’innovation venait perturber le modèle économique dominant ainsi que l’organisation mise en place pour assurer efficacement le modèle d’affaires de l’entreprise.

Innover dans un grand groupe demeure possible

Pour preuve, Amazon doit davantage son succès financier à son activité AWS lancée postérieurement qu’à son e-commerce quand Free a montré qu’il pouvait être un acteur de premier plan de la téléphonie mobile et pas seulement de la box internet à domicile. Dans chacun de ces exemples, la culture d’entreprise est clé car elle permet non seulement à un produit d’exister, mais aussi de réaliser son passage à l’échelle.
Au-delà de la culture d’entreprise, les moyens affectés à la R&D sont également déterminants. Dans le secteur bancaire, il est courant d’évaluer la bonne gestion à l’aune de la maîtrise des charges et le rapport entre le coût de l’IT et le total des charges est à ce titre important : il doit rester bas.
Dans une fintech, ce ratio est lu dans l’autre sens, le poids de l’informatique devant être le plus important possible car garant de l’innovation future et de charges de fonctionnement limitées. Mais réduire le débat au poids des charges informatiques serait un contre-sens. Il faut également pouvoir mesurer le ROI de l’investissement informatique. On peut toujours réduire la charge informatique, mais la difficulté est de savoir laquelle entre les coûts d’infrastructure qui assurent le bon fonctionnement au quotidien, les dépenses de sécurité dans un environnement de plus en plus risqué ou les développements logiciels qui permettent de préparer l’avenir. C’est toute la difficulté du pilotage IT dans une grande entreprise que de gérer cette dissonance entre « bonne gestion aujourd’hui » et « bonne gestion pour demain ». C’est aussi pourquoi l’IT est dorénavant appelée à être gérée en proximité avec le produit. Faire des parcours client pertinents ou piloter une roadmap produit relève-t-il de l’équipe développement ou de celle en charge de la technologie ? Peu d’évidence désormais.

Le modèle organisationnel centré sur le produit se développe dans les entreprises innovantes

C’est pourquoi les modèles organisationnels centrés sur le produit tendent à se développer dans les entreprises innovantes. Tout d’abord, cela permet de réduire les frictions au sein de l’organisation en alignant les objectifs de l’entreprise. Ensuite, cela favorise une meilleure expérience client en fournissant des résultats business plus rapides. Enfin, cela autorise une plus grande flexibilité pour répondre aux besoins en évolution constante / rapide des clients et du marché.

Ainsi, si innover est une obligation à moyen terme pour toute entreprise, sa culture d’entreprise et ses choix organisationnels ont besoin d’être en adéquation avec son ambition. Pour un dirigeant, cela l’amène à s’interroger sur sa stratégie d’innovation : comment identifier une tendance de marché ? Comment concevoir une innovation adaptée ? Comment s’assurer que l’entreprise saura l’industrialiser. Malgré la volonté d’innover, c’est souvent là que certains faiblissent.
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