La crise Covid ne nous quittant plus, et le business étant impacté en conséquence, il ne fait plus aucun doute que la « transformation digitale » soit désormais au centre du débat de toutes les industries et de tous les secteurs. En effet, une des grandes promesses pour les entreprises est de pouvoir s’ouvrir à un « océan bleu », c’est à dire à de nouvelles opportunités de business ! La transformation digitale signifie en d’autres termes de réinventer l’écosystème interne et externe de l’entreprise.

Certains d’entre vous connaissent sûrement la différence entre « océan bleu » et « océan rouge » ? C’est en 2011 que Renée Mauborgne et Chan Kim(1) avaient popularisé ce concept. « L’océan bleu », un espace au sein duquel la concurrence est (quasi-)inexistante, où les entreprises ont tout intérêt à capturer des marchés encore (presque) vierges et où la croissance potentielle est significative, permettant ainsi à l’entreprise de se développer. Par opposition aux marchés saturés par une concurrence sanglante correspondant à des « océans rouges », car il faut se battre « au sang » pour des parts de marché, ce qui rend la progression quasi inexistante.

Alors me direz-vous, pour continuer à vivre, il devient nécessaire à toutes entreprises de trouver cet océan bleu ? En réalité, il ne s’agit pas vraiment de trouver l’océan bleu « commun », il s’agit plutôt d’en créer un. Si tout le monde se dirige au même endroit et au même moment, le risque est grand de recréer assez rapidement un océan de couleur rouge, ce qui arrivera tôt ou tard ; à vrai dire un « océan bleu » ne dure jamais longtemps ! Pour les entreprises, il s’agit ainsi de repousser les limites de leur secteur d’activité et d’offrir aux consommateurs quelque chose d’unique et d’une valeur conséquente. La « transformation digitale » va de pair avec la stratégie de l’ « océan bleu », dans la mesure où elle modifie la chaîne de valeurs des entreprises et permet de créer des business modèles encore plus innovants.
Alors qu’en est-il de cette transformation digitale ? Tout le monde essaie de surfer sur la vague, mais y a-t-il réellement transformation ?

De quelle transformation parle-t-on ?

 On lit et on entend beaucoup que la crise du Covid a accéléré les transformations, que tout le monde bascule vers le digital…mais est-on bien sûr que les entreprises ont changé ? Je n’en suis pas certain ! L’édition 2021 du baromètre ACSEL croissance & Digital révèle que les TPE, PME et ETI ont été convaincues par les opportunités du digital : 41% d’entre elles reconnaissent que le digital contribue à leur chiffre d’affaires mais seulement 20% à hauteur de plus de 15% de leur CA (2).

Dans un de mes articles précédents, Daniel D.P me faisait remarquer à juste titre qu’en français d’ailleurs il ne s’agit pas de « transformation digitale » mais de transformation numérique. Les anglais font bien une réelle différence entre « digitization », « digitalisation » and « Digital Transformation ». Les anglicismes nous mènent la vie dure à nous autres dans l’informatique.
Mettons-nous d’accord : la « transformation digitale / numérique » n’a rien à voir avec le numérique. Bizarre ? Pas tant que cela. Lorsqu’il est question de ce sujet nous en parlons la plupart du temps comme d’un projet purement technique. Le raccourci est donc une fausse idée trop largement répandue. “Le numérique renvoie plutôt à la technologie, celle qui est manipulée par les ingénieurs, tandis que le digital touche aux pratiques des utilisateurs.”(3), donc par définition, la transformation digitale / numérique concerne un changement holistique concernant les personnes et ne peut pas concerner uniquement la technologie.

Combien d’entre vous utilisent la technologie numérique pour transformer ses processus sans transformer pour autant l’entreprise ? Si vous êtes dans ce cas, il ne s’agit pas de transformation digitale / numérique et qui plus est, cela vous laisse toujours errer dans l’ « océan rouge ».  La véritable transformation digitale / numérique consiste alors à ce que votre entreprise doit faire différemment, plutôt que de mieux faire ce que vous avez toujours réalisé.

Pourquoi la transformation numérique n’est pas au rendez-vous dans toutes les entreprises ?

On vient de le voir, la première raison porte certainement sur l’incompréhension des termes et de ce que cela implique. En outre si la vision en devient contraignante, il y a peu de chance d’y consacrer du temps et des ressources nécessaires. Le manque de compétences au sein des entreprises pour traiter de ce sujet est complémentaire, quand bien même ces dernières peuvent avoir recourt à des sociétés de conseil. Toutefois, il est plutôt recommandé de ne pas oublier de développer à minima des compétences internes : il s’agit de rendre les personnes motrices de leur transformation.

Quand bien même vous auriez les compétences en interne, le manque d’expérimentation(s) semble également être un frein. Je ne parle pas de projets R&D, mais d’expérimentations dans la façon d’aborder des solutions, comme le recours à l’agilité par exemple. Pour simplifier le discours, face à la nécessité de changement en continu, il s’agit de travailler plus rapidement en fournissant davantage de valeur à l’utilisateur du produit et apporter plus de bénéfices à l’entreprise en intégrant les évolutions technologiques. L’utilisation de méthodes agiles requiert aussi un accompagnement car cela implique également des changements de mentalité à tous les niveaux de l’organisation de l’entreprise : direction, gestionnaires, équipes de projet, et l’ensemble des employés…

Ce qui nous amène à la peur du risque, de l’échec… Qui n’a pas été confronté à devoir démontrer le retour sur investissement sinon « pas de transformation » ! Pourtant il est nécessaire d’insuffler dans la culture d’entreprise que le risque et l’échec dans certains projets sont acceptables tant qu’ils apportent des apprentissages et font avancer l’organisation, surtout dans les environnements d’entreprise en France où l’échec d’un projet a toutes les chances de ruiner votre carrière. Alors qu’échouer, comprendre le pourquoi et réessayer, est bien mieux que de ne pas agir pour réaliser plus tard qu’il ne vous reste aucune option.

Enfin, la complexité liée à la transformation digitale / numérique (compréhension évolution des demandes, volatilité des marchés…) peut également être un autre frein. La richesse naît également des échanges avec l’autre : le collaboratif ne se limite pas à l’écosystème interne de chaque entreprise. Par exemple, la co-innovation peut vous aider à surmonter cette complexité. Ou bien utiliser une Digital Services Factory / un FabLab pour booster l’innovation avec les clients, des partenaires pour réduire le délai de mise sur le marché d’une solution par exemple. Il s’agira dans ce cas de développer une partie de son écosystème externe.

Il est certain que pour des entreprises ayant déjà une certaine expérience avec une organisation bien rodée, de tels changements sont impactants. Mais comme disait Thomas Jefferson, Président des États Unis : « Il n’est pas important d’être le meilleur dans ce que vous faites, il vaut mieux faire ce que les autres ne font pas ». Trouver une stratégie « Océan Bleu » peut se faire de différentes manières, il n’y a pas de solution unique. Vous devez comprendre vos objectifs (quel est votre océan visé) et ce que vous voulez réaliser en tant qu’entreprise grâce aux efforts de transformation digitale… plutôt numérique. Le chemin est encore long mais pas inimaginable !

1.Renée Mauborgne et Chan Kim : professeurs de stratégie à l’Insead
2.https://www.acsel.eu/resultats_barometre-croissance-2021/
3.Anthony Mathé, docteur en sciences de la communication et du langage