Après le confinement, les mesures de chômage partiel et la contraction inédite de l’activité au deuxième trimestre, la situation est très complexe pour les cabinets de chasseurs de tête. Mais malgré cette crise sans précédent, certains spécialistes du recrutement, qui ont pourtant pignon sur rue, n’hésitent pas à se livrer à des pratiques contestables. Car si les acteurs du recrutement du middle management risquent de pâtir de la crise et d’une concurrence acerbe, la réalité est aujourd’hui bien différente, voire inverse, pour les spécialistes des fonctions exécutives et des mandats d’administrateurs.
Certains cabinets de chasseurs de tête réputés, qui ont acquis une spécialité dans le recrutement d’administrateurs indépendants et d’exécutifs au sein des grandes entreprises françaises, exercent une influence disproportionnée, voire dommageable, à la gestion des ressources humaines de ces entreprises. Ces grandes figures du recrutement, qui sont en général très bien connectées aux directeurs généraux mais aussi aux membres du board qu’ils ont placés, voient d’un très mauvais œil qu’une mission de recrutement d’un exécutif échoue, et soit ensuite confiée par ce grand compte à un concurrent. Une perte de clientèle qui laisse amer, et qui peut même aller très loin. Un exemple récent est celui d’un professionnel de la place parisienne, qui n’a pas hésité à menacer de représailles le directeur des ressources humaines qui a mis fin à sa mission. Puis à les mettre en œuvre, en faisant pression sur le board et sur sa hiérarchie.
Ces méthodes sont bien loin de l’éthique professionnelle que l’on attend de ces intermédiaires, surtout lorsqu’ils travaillent avec le plus haut niveau hiérarchique de l’entreprise. Elles démontrent une dérive à l’œuvre dans ce milieu, au cœur du CAC40 et du SBF120. L’activité des cabinets de chasseurs de tête est bien souvent opaque – difficile de savoir exactement le niveau de commission qu’ils prélèvent sur leurs clients – et surtout puissante. A travers leur entregent au sein du comité exécutif, mais aussi leurs connexions directes au board – à savoir les membres qu’ils ont contribué à recruter – ils gagnent ainsi une mainmise sur la gestion de ces entreprises. Et deviennent les éminences grises, pas toujours bien intentionnées, de la direction générale.
Cet abus de pouvoir est d’autant plus regrettable que le recrutement est une des prérogatives du DRH d’une entreprise, lui-même nommé par la direction générale. Et le chasseur de têtes n’a vocation qu’à être un conseil extérieur et impartial, capable de trouver des profils adéquats plus rapidement, grâce à son carnet d’adresses. Rappelons qu’après la loi Copé-Zimmermann de 2011 sur la parité des conseils d’administration, le législateur français s’apprête à imposer d’ici la fin de l’année une plus grande parité au sein des comités exécutifs, ce qui devrait donner lieu à du mouvement au sein des comités de direction des grandes entreprises. Le moment est donc bien choisi pour faire la lumière sur ces pratiques questionnables de quelques chasseurs de tête, afin que leurs agissements ne nuisent pas à l’intégralité de la profession.