Petits organismes de formation, grands défis : réussir la digitalisation sans perdre l’essentiel

Gustave Burguet et Mathieu Chevalier, cofondateurs de Teetche

Depuis plusieurs années, le secteur de la formation professionnelle s’est engagé dans une profonde mutation, en grande partie dû à la conformité Qualiopi : traçabilité des parcours, suivi des apprenants, archivage numérique, veille légale… Ces avancées ont profondément remodelé les pratiques. Pourtant, si les grandes structures disposent d’équipes dédiées pour absorber ces évolutions, les formateurs indépendants et les petits organismes, eux, doivent composer seuls avec des exigences de plus en plus complexes. La question n’est pas de savoir s’ils refusent la digitalisation, mais comment celle-ci peut s’adapter à leur réalité. Car derrière la promesse d’efficacité se cache souvent une contrainte silencieuse : celle d’un modèle pensé pour les grands et pourtant appliqué à tous.

Une mutation à plusieurs vitesses : la fracture silencieuse de la formation

Derrière le discours de modernisation, une ligne de faille se dessine. Les grands organismes de formation ont pu internaliser la conformité Qualiopi, structurer leurs process et investir dans des solutions globales. Les plus petits, eux, évoluent dans un contexte de grande complexité réglementaire et de forte dispersion technologique. Ils doivent suivre les mêmes obligations, produire les mêmes preuves de qualité et assurer la même traçabilité… mais sans service RH, sans DSI, souvent sans accompagnement.

La promesse initiale de la digitalisation « gagner du temps et simplifier les démarches » s’est parfois transformée en injonction supplémentaire. Ce qui devait libérer finit par contraindre. Les outils numériques, mal adaptés à des structures légères, deviennent des labyrinthes administratifs où chaque nouvelle exigence génère de la charge plutôt que de la valeur. À terme, on risque d’atteindre un déséquilibre structurel, avec un secteur à deux vitesses où la conformité devient un marqueur de taille et où les plus petits finissent par renoncer à certaines opportunités faute de moyens pour s’y conformer.

L’administratif prend le pas sur la pédagogie

Du côté des formateurs, ce n’est pas la résistance au changement qui domine, mais un sentiment d’étouffement grandissant. L’enthousiasme pour le métier, qui s’articule généralement autour de la transmission, de l’accompagnement et du plaisir de faire progresser, se heurte à la multiplication des tableaux de suivi, des justificatifs à produire, des plateformes à maîtriser. Entre le temps de formation et celui passé à remplir des documents, la balance s’inverse peu à peu. Le numérique, censé alléger la gestion, devient un fardeau invisible qui dévore le cœur du métier.

In fine, cette situation engendre une forme de paradoxe. Plus on cherche à prouver la qualité, plus on risque d’en éroder la substance. Car le formateur indépendant ou le petit organisme de formation n’est pas seulement un prestataire de service, c’est souvent un artisan du savoir, un professionnel de terrain qui adapte en permanence ses contenus et ses approches aux besoins réels des apprenants. Lorsque l’énergie est absorbée par la conformité, il reste moins de place pour l’innovation pédagogique, l’écoute et la personnalisation. Ce n’est pas la technologie en elle-même qui pose problème, mais l’absence de modèles d’usage adaptés à ceux qui n’ont ni les ressources ni le temps d’en devenir experts.

Pour une digitalisation à taille humaine

Face à ce constat, une autre voie est possible : celle d’une digitalisation pensée non pas comme une course à la performance technologique, mais comme un levier d’équité et de simplification. D’ailleurs, des solutions émergent déjà. Plus intuitives, accessibles et interopérables, elles permettent à des organismes à taille humaine de se concentrer sur leur cœur de métier sans renoncer à la conformité.

Mais au-delà des outils, c’est une approche culturelle qu’il faut repenser en faisant de la transformation numérique un processus accompagné, progressif et humain. Car digitaliser, ce n’est pas seulement « passer en ligne », c’est repenser la façon dont on valorise le travail invisible des formateurs, dont on conçoit les preuves de qualité et dont on mutualise les efforts.

La technologie ne doit pas isoler davantage les acteurs, mais au contraire recréer du lien, que ce soit entre pairs, entre organismes ou entre institutions et terrain. Une digitalisation à taille humaine, c’est une digitalisation qui reconnaît la diversité du secteur et l’intelligence pratique de ceux qui le font vivre au quotidien.