Cela fait plusieurs mois que l’on en entend parler : depuis la pandémie de Covid-19, les Etats-Unis connaissent une vague de démissions sans précédent, largement relayée par les réseaux sociaux sous le terme “The Great Resignation” ou “The Big Quit”. En français : La Grande Démission. Cela ressemble au titre d’un vaudeville, mais ne nous y trompons pas : pour les managers, responsables RH et dirigeants d’entreprises, ce phénomène est plus que préoccupant.

La Grande Démission est aussi là en France… et c’est inquiétant

On pourrait croire ce bouleversement circonscrit aux États-Unis, dont le marché du travail est plus flexible que le nôtre. Ce serait une grossière erreur.
Les chiffres sont là : en France, au 3ᵉ trimestre 2021, on a comptabilisé plus de 620 0000 démissions et ruptures conventionnelles. Un chiffre qui a bondi d’environ 20% par rapport à son niveau de 2019. (source : la DARES – Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques).
Quel impact pour les entreprises ? Après tout, on pourrait se dire que le turnover est un phénomène sain, et que pour un salarié qui s’en va, 10 autres attendent à la porte.
Sauf que nous ne sommes plus dans les années 90.  Le taux d’emploi est à un niveau très élevé, du jamais vu depuis les années 1970. Le rapport de force a donc changé.

Les entreprises se battent désormais pour attirer les talents… et pour les conserver. Les difficultés de recrutement étaient déjà préoccupantes avant la pandémie, notamment dans certains secteurs tendus. Le phénomène de Grande Démission ne fait que les accroître. Dans les PME notamment, les plus touchées par l’augmentation des démissions, le manque de personnel est un problème critique, qui peut conduire une entreprise à mettre la clé sous la porte.

Pandémie, quête de sens, recherche d’équilibre… pourquoi ce phénomène ?

Pour les entreprises, il est urgent d’agir. Mais pour cela, encore faut-il déjà comprendre les sources de cette hémorragie.
Pourquoi donc cette multiplication des démissions ?
Il est certain que la pandémie de Covid-19 a joué un rôle important.

Les périodes de confinement ont conduit de nombreux travailleurs à se recentrer sur leur vie privée, leur famille. En réalisant parfois à quel point le travail prenait une place folle dans leur vie, sans pour autant leur apporter l’épanouissement recherché.
Certains salariés ont apprécié le télétravail, au point de ne plus vouloir y renoncer.

D’autres ont pris conscience d’une certaine vacuité de leur vie professionnelle, en voyant s’enchaîner les réunions Zoom ou Teams au long des journées, et en réalisant un jour : “La vie est ailleurs”.
Ainsi, deux éléments reviennent souvent dans les facteurs qui motivent les salariés au départ : la recherche d’un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, et la fameuse “quête de sens”, qui mène à se demander un jour : “Mais à qui sert mon travail ?”. Selon une étude IFOP de 2021 sur les aspirations des cadres, ce sont d’ailleurs les motivations citées en premier.
Mais on aurait tort de s’arrêter là dans notre analyse.
Derrière cette vague de démission, se cache aussi une aspiration à une vie professionnelle plus apaisée : moins de stress, un management moins descendant, plus d’autonomie et de liberté dans ses choix. Les salariés en ont assez du management autoritaire et de la culture du présentéisme, des réunions le vendredi à 19h et du “flicage” continu. L’autonomie est d’ailleurs la 3ème aspiration des cadres selon l’enquête IFOP, devant la sécurité de l’emploi.
C’est d’ailleurs pour cela que les cadres et jeunes diplômés se tournent de plus en plus vers le travail indépendant et l’entrepreneuriat.
Liberté d’organiser son temps, absence de hiérarchie, possibilité de choisir ses clients et ses missions : le freelancing répond à toutes les principales frustrations à l’origine du phénomène de Grande Démission. Avec de nouveaux statuts hybrides comme le portage salarial, plus sécurisant que la création d’entreprise, il n’a jamais été aussi facile de se lancer. Ainsi, 33% des cadres interrogés par l’IFOP envisagent de se lancer en freelance à l’avenir.

Augmenter les salaires ne suffira pas ! Il faut traiter le mal à la racine

Pour les entreprises qui se demandent comment faire face au phénomène de Grande Démission, il faut prendre du recul et chercher la cause racine du mal-être des salariés.

Augmenter les salaires, travailler sur sa marque employeur, c’est très bien, mais ça ne suffit pas. Cela ne fait qu’accentuer une vision consumériste du marché de l’emploi : un marché au sein duquel les entreprises rivalisent d’arguments marketing pour être choisies par les candidats. Puis jetées, si ceux-ci sont déçus du “service”.

Pour aller plus loin, revenons sur les raisons pour lesquelles les salariés quittent leur
travail : difficulté à conjuguer vie personnelle et vie professionnelle, épuisement, recherche de sens, d’autonomie.
Pour attirer et surtout retenir les collaborateurs, il faut écouter réellement leurs besoins. C’est en redonnant un sens collectif à l’entreprise, et en faisant évoluer le management que l’on pourra concrètement changer les choses.
Pourquoi forcer un salarié à rester au bureau jusqu’à 19h30 si ses résultats sont atteints ? Pourquoi empêcher un salarié de télétravailler si cela ne l’empêche pas de faire son travail ? Pourquoi imposer des plannings contraignants, au lieu de laisser les salariés proposer des solutions pour l’organisation et la répartition du travail ?

Donner plus d’autonomie aux salariés en les responsabilisant sur leurs objectifs, c’est un bon moyen de redonner du sens au travail, tout en leur permettant de mieux organiser leur vie personnelle, en luttant contre le présentéisme et la culture des horaires à rallonge.

Mais il faudra aussi que les entreprises s’adaptent à cette nouvelle donne, en acceptant que les règles du jeu ont changé. Ainsi, le boom du travail indépendant est aussi une opportunité pour réorganiser l’entreprise face à l’hémorragie.
Pourquoi ne pas remplacer un salarié peu motivé par un indépendant en temps partagé ? Pourquoi ne pas proposer à un cadre en quête d’autonomie de conserver son poste, mais en freelance ?
des cadres serait intéressée par une formule consistant à « conserver son emploi actuel à mi-temps et être freelance l’autre moitié du temps », selon l’étude IFOP. Face à la pénurie de talents, les entreprises qui vont tirer leur épingle du jeu seront celles qui sauront réinventer le rapport au travail et les modes de collaboration entre employeur et employé. Mix freelance-salariat, intrapreneuriat, temps partagé… Des entreprises explorent déjà ces dispositifs. Et ça ne fait que commencer.