Sur fond de crise sanitaire et d’évolutions sociétales, un nouveau rapport au travail a récemment émergé chez les salariés et, avec lui, de nouvelles aspirations auxquelles les organisations se doivent aujourd’hui de répondre.  

La crise sanitaire est venue transformer encore le paysage professionnel, tant en termes de structure du marché de l’emploi, que d’organisation du travail et de digitalisation des processus. Mais au-delà de ces évolutions, elle a catalysé un phénomène existant, qui restait néanmoins peu représentatif : le changement de rapport au travail, porté par les nouvelles aspirations des salariés.

Une nouvelle donne sociale et de nouvelles aspirations

A la lecture de la récente note de Romain Bendavid pour la Fondation Jean Jaurès, il apparaît que le changement de posture des salariés n’est plus un épiphénomène mais bien un nouveau marqueur du monde du travail, que les entreprises devront intégrer. Le travail n’occuperait plus aujourd’hui une place structurante dans la vie des Français. Si la place importante du travail reste soulignée par 86% des d’entre eux, ils ne sont plus que 24% à lui attribuer un rôle « très important », contre 60% il y a 30 ans.

Mais ce n’est pas tout. Si l’on regarde les éléments qui, dans le même temps, ont évolué, la lecture révèle des changements structurels importants. En 1990, la famille tenait une place « très importante » pour 81% des répondants, contre 71% aujourd’hui (-10 points). La place des amis et relations gagne à l’inverse en importance, passant de 40 à 46%, tout comme celle des loisirs, que 41% considèrent comme très importants contre 31% par le passé. En parallèle, on note le net recul de la place de la religion (-8 pts) dans la vie des Français.

Que traduisent ces éléments ? En premier lieu, un changement de posture et de mentalité. Dans une société riche d’opportunités, le rejet – a minima partiel – d’éléments historiquement admis comme structurants devient possible. Cette notion de « possibilité » est importante. Les besoins physiologiques ou encore les besoins de sécurité auxquels la famille, le travail ou la religion dans une certaine mesure, venaient apporter des réponses, y sont majoritairement pourvus. Restent alors les besoins d’appartenance, d’estime de soi et d’accomplissement à satisfaire. Si leur réalisation passe également par le travail ou la famille, c’est désormais plus spontanément à travers les relations amicales et les loisirs que les Français vont aller chercher bien-être et épanouissement personnels, s’affranchissant progressivement du rôle statutaire du travail.

Nouveau rapport au travail, adaptation des entreprises : quelles limites ?

Pour tenter de répondre à ces nouvelles aspirations, les entreprises investissent les différents champs de la marque employeur. Il s’agit de fédérer en recréant des collectifs mis à mal par les confinements successifs, de développer un sentiment plus fort d’appartenance grâce à des politiques RSE engagées et participatives, de permettre un certain accomplissement de soi en donnant aux collaborateurs les clés pour libérer leur potentiel. A travers le développement des soft skills, la mise en commun de compétences, et en offrant la possibilité de participer à des projets structurants pour l’entreprise et de contribuer concrètement à son essor, les organisations cherchent à répondre aux nouveaux enjeux posés par les salariés.

Le prisme a changé. Alors que les collaborateurs ont peut-être atteint les limites de leur adaptabilité aux injonctions de l’Entreprise (transformation numérique, globalisation, délocalisation, …), l’attente est désormais que celle-ci offre en retour les conditions de leur épanouissement. Cette attente est légitime, mais doit rester réaliste. L’entreprise reste en effet un collectif aux réalités multiples. Les évolutions viendront ainsi majoritairement en réponse à des aspirations cohérentes, exprimées par un groupe et compatibles avec son fonctionnement.

Pour continuer de faire progresser le travail, gardons une vision large des enjeux du marché

Certaines généralités laissent entendre que l’attente des professionnels serait aujourd’hui de travailler en toute liberté, et que proposer cette liberté serait la condition sine qua non pour tout employeur souhaitant attirer des talents. Or, si cette réalité existe au sein de structures très agiles, elle devient beaucoup plus lointaine pour nombre de professionnels amenés à rendre des comptes à des clients ou fournisseurs. Et cette réalité est-elle seulement souhaitée par tous ?

La majorité des métiers que la crise sanitaire a souligné comme essentiels ne permettent d’ailleurs pas une liberté totale de fonctionnement. Les métiers du soin, des services à la personne, de la production, des transports ou de la distribution sont par exemple contraints par les interactions qui leur sont inhérentes. N’apportent-ils pas pour autant, autrement que par la liberté d’exercice, d’autres moyens de se réaliser ? Reste, c’est un fait, la question de leurs conditions d’exercice et de leur valorisation.

Par ailleurs, la crise a mis en lumière la nécessité pour la France de renationaliser son industrie. Il y aura, face à cela, des créations d’emplois. Mais ces emplois ne pourront pas nécessairement être exercés d’où on le souhaite, comme on le souhaite. Ayons aussi cela à l’esprit : car l’enjeu est dans la réponse humaine que sauront apporter les entreprises, en adéquation avec les évolutions économiques, sociétales et environnementales.

Une plus grande souplesse dans l’organisation du travail, une plus grande autonomie dans la gestion des tâches, une valorisation plus importante des salariés et de leurs compétences dans l’entreprise : voilà ce que sont les réels leviers d’engagement aujourd’hui, sur lesquels les organisations doivent concentrer leurs efforts.