Après l’arrivée du Big Data et à l’heure de l’intelligence artificielle, les entreprises prennent le pas de la transformation digitale de leur mode de fonctionnement et de leur offre de produits et services. Les données sont désormais au cœur des préoccupations des entreprises et constituent un élément essentiel de leurs stratégies de développement.

De nouveaux profils de salariés spécialisés dans le traitement et l’analyse de ces données sont dès lors très recherchés, créant une véritable « guerre des talents » sur le marché de l’emploi. Mais ces talents, issus de la génération Z, ont des aspirations de partage des connaissances et d’indépendance susceptibles de mettre en danger les actifs immatériels des entreprises, telles leurs informations confidentielles ou leur propriété intellectuelle.

Il est donc primordial pour les entreprises de bien comprendre la manière dont ces nouveaux profils travaillent et de trouver les outils adaptés pour assurer la protection de l’actif immatériel de l’entreprise, tout en restant attractives pour ces talents du digital.

Les profils recherchés

Afin d’amorcer leur transformation digitale, les entreprises ont besoin de personnes qui ont une expertise pointue en matière d’analyse de données et de développement d’outils digitaux, tels que les data analysts et data scientists. Ces profils vont permettre de donner du sens aux données collectées ou achetées par l’entreprise et d’en extraire de la valeur grâce à l’observation des comportements économiques des acteurs du marché concerné.

Les analyses et outils ainsi développés assistent l’entreprise dans la prise de décisions opérationnelles et stratégiques et constituent dès lors une valeur significative pour l’entreprise. Cette valeur sera protégeable soit par un droit de la propriété intellectuelle, soit en qualité d’information confidentielle et de secret des affaires. Cependant, ces nouveaux profils ont adopté un mode de travail particulier basé sur l’utilisation des plateformes open source qui peuvent mettre en péril les informations confidentielles de l’entreprise ou la protection d’éléments au titre de la propriété intellectuelle. Ils sont en outre animés d’un fort esprit d’indépendance rendant difficile leur fidélisation au sein de l’entreprise.

Les dangers de l’open source

Dans le cadre de leurs fonctions, les développeurs informatiques utilisent fréquemment les briques, codes, données et algorithmes présents sur des sites open source.  D’un côté, ils y puisent leurs ressources et outils de travail, et de l’autre ils y partagent leurs propres développements et améliorations, alimentent leurs profils et augmentent ainsi leur visibilité à travers ces communautés.

En utilisant des éléments disponibles sur des sites open source, le salarié économise du temps et reste très compétitif sur son marché. Cette approche est également bénéfique pour l’entreprise de par la multitude des ressources à disposition en open source. Cependant, si les éléments en open source peuvent être utilisés gratuitement, cette utilisation reste encadrée par des licences dont les termes peuvent être plus ou moins contraignants pour l’utilisateur.

La plupart de ces licences dites « libres » sont marquées par le principe même de l’œuvre libre : tout un chacun peut y contribuer mais personne ne peut se réserver de droits privatifs sur ces contributions. Ainsi, certaines licences prévoient expressément qu’en utilisant un élément disponible en open source, l’utilisateur s’engage à rendre disponible et à divulguer l’œuvre qui en résulte. C’est ce qu’on appelle l’effet contaminant de la licence libre.

On comprend bien qu’une telle approche va à contre-courant des intérêts privatifs de l’entreprise, cette dernière voyant ainsi lui échapper toute prétention au titre de la propriété du résultat des travaux de son salarié, et assistant également au partage de cette valeur avec la communauté des open source. Il est donc primordial pour l’entreprise d’ouvrir un dialogue avec le salarié sur ce mode travail afin de l’alerter sur les risques qui en résultent et de le sensibiliser sur la protection des actifs immatériels de l’entreprise.

Le défi de la fidélisation

En outre, cette génération de talents est bien moins ancrée dans la culture d’entreprise et revendique une forte indépendance qui, conjuguée à la pénurie de ce type de profils sur le marché du travail, rend difficile la fidélisation de ces talents au sein d’une entreprise désignée. Or, cette forte mobilité de salariés qui ont accès à des informations sensibles et créent de la valeur stratégique pour l’entreprise, augmente nécessairement le risque de divulgation, volontaire ou non, d’informations confidentielles ou d’éléments protégés.

la difficulté est donc de trouver les outils permettant d’assurer un équilibre entre développement et protection de l’actif immatériel et de l’entreprise d’une part, et attraction et fidélisation de ces talents d’autre part.

Les politiques globales internes à l’entreprise comme mécanisme de protection

Il est essentiel pour une entreprise qui souhaite embaucher ce type de salarié de mettre en place une politique interne établissant les règles de protection et d’utilisation des informations confidentielles et de la propriété intellectuelle de l’entreprise. 

Au-delà de ces règles de confidentialité et de protection, il apparaît désormais fondamental d’établir en outre les conditions d’utilisation des sites d’open source. Il ne s’agit pas d’interdire le recours à ces sites mais bien de poser les conditions d’un tel recours.

Une telle politique devra ainsi identifier les plateformes d’open source dont les éléments peuvent être utilisés, afin d’écarter, notamment, l’utilisation d’éléments dont la licence d’utilisation contient un effet contaminant. Cette politique pourra également fixer les conditions entourant la contribution par les salariés à des projets communautaires libres. Là encore, il ne s’agit pas d’interdire strictement la contribution à ces plateformes communautaires mais de mettre en place un processus de validation interne des éléments que le salarié souhaite publier.
Des mesures doivent également être prises au niveau individuel, afin d’être adaptées au profil de chaque talent.

La mise en place d’outils de protection dans le cadre de la relation individuelle de travail avec le salarié

Dès avant la signature d’un contrat de travail, une attention particulière devra être portée au parcours de ce futur salarié afin d’identifier si ce dernier est lié par des clauses restrictives concernant la propriété intellectuelle et les informations confidentielles du précédent employeur ou par une clause de non-concurrence.
Sur ce point, le contrat de travail se devra également d’être clair concernant l’utilisation d’éléments appartenant à des tiers. Le candidat doit ainsi expressément s’interdire d’utiliser de tels éléments (notamment ceux appartenant à son ancien employeur), et doit garantir l’entreprise de ce chef. Dans le cas où l’utilisation de la propriété intellectuelle d’un tiers s’avérerait nécessaire, une obligation d’information préalable de l’employeur est requise, afin qu’il valide cette utilisation ou en pose les conditions (tel que l’obtention de l’accord du tiers concerné).

Le contrat de travail doit également rappeler les principes de confidentialité des informations de l’entreprise, et fixer les règles de titularité des œuvres créées par le salarié. Sur ce dernier point, la rédaction du contrat devra être adaptée aux différents régimes qui régissent la titularité des droits sur les créations de salarié, selon la nature de la création. A titre d’exemple, s’agissant des logiciels développés par le salarié selon les instructions de l’employeur, il sera utile de rappeler qu’en application de la loi[1], les droits sur ces logiciels appartiennent à l’employeur et non au salarié. S’agissant des autres éléments susceptibles d’être protégés par un droit d’auteur, le contrat de travail pourra prévoir une cession des droits sur ces éléments à l’employeur, au fur et à mesure de leur création. Il est par ailleurs recommandé de mettre en place la signature d’actes de cession de droits réguliers entre le salarié et l’employeur, lesquels identifieront les éléments créés par le salarié au cours de la période précédente. Si le salarié bénéficie d’une rémunération complémentaire, il pourra être utilement indiqué que cette dernière est perçue en contrepartie de la cession des droits de propriété intellectuelle du salarié à l’entreprise.

Enfin, à l’issue du contrat de travail, pour quelque raison que ce soit, il sera recommandé de faire signer au salarié un document par lequel il reconnait la confidentialité des informations auxquelles il a pu avoir accès au cours de son travail et s’interdit de les utiliser dans son prochain emploi ou de les divulguer.
Ainsi, la transformation digitale de l’entreprise nécessite une vigilance accrue afin d’assurer la protection de ses actifs immatériels tout en attirant et fidélisant les talents du marché. L’entreprise devra alors trouver un subtil équilibre entre ses propres intérêts et ceux de ces salariés clés.
Seule une parfaite transparence des règles applicables et des attentes de chacun permettra de limiter le risque de litiges basés sur une violation d’informations confidentielles ou une atteinte aux droits de propriété intellectuelle de l’entreprise.

Frédérique Potin, Avocat à la Cour, Of Counsel Clémence de Marassé-Enouf, Stagiaire Propriété Intellectuelle Simmons & Simmons LLP

[1] Code de la propriété intellectuelle, art. L. 113-9.