Les 2 objectifs possibles de l’innovation

Dans l’esprit de chacun, pour avoir mené ma petite enquête, en tant que leader innovant ou acteurs de l’innovation il s’agit de faire autrement, de faire différemment, d’agir de façon atypique, peu commune voire inconnue, faire du jamais vu, bien loin d’ailleurs du sens étymologique et latin du verbe innover : Innovare  signifiant revenir à…. Toutes ces réponses recueillies nous laissent ainsi dans la méthode. La méthode, le processus, la procédure pour innover. Oui, mais dans quel (s) but (s) ? C’est là que le bât blesse ou plutôt c’est là que le bât tue son côté innovant. En effet, les objectifs sont sensiblement les mêmes : innover pour réussir, innover pour gagner plus, innover pour développer son chiffre d’affaires, innover pour performer, mais il n’y a rien d’innovant à cela. Je viens même de voir en me promenant dans les rues une grande affiche jaune et inratable où est inscrit en lettre noires et capitales : « Innover pour s’enrichir » De fait, il y a 2 discours concomitants. D’un côté ceux pour qui l’innovation est un levier supplémentaire en vue d’une meilleure rentabilité, et de l’autre côté ceux pour qui l’innovation est l’espoir d’un peu plus d’humanité dans les organisations.
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La rentabilité cachée par les discours de bienfaisance

Bien que très vivement critiquée de nos jours, la logique taylorienne reste le modèle d’organisation du travail sous-jacent dans nos entreprises, y compris pour les activités dites « intellectuelles». Rappelons simplement que l’apport novateur de Taylor pour son époque (fin XIXème, début du XXème) était l’éclatement des métiers en tâches élémentaires et en gamme opératoire avec des délais à chaque fois alloués. Depuis un certain temps on a un regard assez négatif sur cet aspect-là, en connaissant les effets et les méfaits sur les personnes elles-mêmes et l’organisation globale du travail. Mais les contemporains de Taylor, loin de décrier cette logique novatrice, l’encensaient : c’était la «  One best way », la meilleure façon de produire et d’être efficace. Le taylorisme était perçu comme un mouvement rationnel et scientifique, qui en plus avait le bon goût de prendre racine dans une volonté de faire le bien pour la nation (américaine). Taylor dans ses écrits même, a beaucoup insisté sur son envie de sortir les entreprises du conflit stérile opposant pour le citer «  le despotisme arbitraire patronal » et «  la flânerie systématique » des ouvriers. Mais tout cela dans quel but ? En tant que bienfaiteur de l’humanité, ayant choisi la prospérité de la Nation, il s’agissait de fait de dégager des gains de productivité maximum. Et effectivement à chaque fois que le consultant Taylor passait dans une entreprise il y a avait une augmentation de la productivité pouvant aller de 100 à 300 %, et les ouvriers étaient mieux payes de 30% en moyenne. Nos innovateurs contemporains ne chercheraient -ils pas en fin de compte ( mis à part le mieux-payé bien sûr) la même chose aujourd’hui ? Améliorer la rentabilité, quel qu’en soit le prix et quelle qu’en soit la méthode ? Je ne pose pas la question de la légitimité dans cet article. Mais après tout : est-ce si innovant que cela ?
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Une véritable innovation serait….

L’innovation ne serait-elle pas dans le changement d’objectif ? Nous avons déjà au fil du temps découvert, expérimenté et adopté divers modes d’organisation du travail, tous plus innovants les uns que les autres. Tous semblant être innovants d’ailleurs au moment de leur première expression… mais tous ayant pour objectif final la performance et la rentabilité. La rentabilité recherchée et l’organisation du travail en découlant ne devraient-elles être seulement les conséquences d’une innovation et non l’innovation elle-même ? L’innovation à mon sens se situerait dans la recherche non de la rentabilité mais de l’efficience, prenant en compte la ressource «  humaine » présente au sein des organisations. La rentabilité ne peut prendre en compte véritablement les personnes qui travaillent, car elle est le rapport entre les revenus obtenus et capitaux investis… La notion d’efficacité ne correspondrait pas non plus à une innovation car il s’agit de faire correspondre les résultats obtenus avec les objectifs fixés… aucune trace de « l’humain » encore une fois. Seule la recherche d’efficience, fruit du rapport entre les résultats obtenus et les ressources utilisées, laisse une place à l’homme et à la femme des organisations. Alors que l’efficacité et la rentabilité mesurent des résultats, l’efficience mesure les moyens mis en œuvre. C’est faire les choses de la meilleure façon qui soit. L’avancée ainsi ne se situe pas forcément dans l’innovation technologique et digitale, ni même organisationnelle, mais peut être dans une sorte « d’innovation intellectuelle », de changement de paradigme. A ce propos, je vous suggère de lire si vous en avez le temps et le loisir : «  La crise de l’intelligence » ou Essai sur l’impuissance des élites à se réformer de Michel Crozier, un classique et une première pierre pour approfondir les difficultés et essayer de comprendre la «  crise profonde » de cette intelligence technocratique à la française.
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