Depuis plusieurs semaines, il est courant de voir passer sur les fils d’actualité Linkedin, dans les newsletters Marketing, dans les discours de professionnels, des tentatives de prospection ou d’accroche relativement anxiogènes, en lien avec le Digital Markets Act. Clément Poupeau, Directeur Commercial et Marketing de Guest Suite, revient sur le sujet.

Le message de ces entreprises, en substance, est le suivant :
– Google est attaqué sévèrement par l’Union Européenne.
– Google va devoir radicalement changer son approche.
– Les fiches Google vont disparaître, d’ailleurs « regardez ! Ils font des
tests ! ».
– Du coup, si les fiches Google disparaissent, vos avis vont disparaître et n’ont plus aucune utilité.
Et voilà comment l’ensemble des Directeurs et Directrices Marketing, Digital, Communication et autres professionnels du Marketing local prennent peur et se mettent à repenser leur stratégie de communication locale. Pour esquiver la fiction, reprenons à zéro, et regardons les éléments factuels.

1 – Quelques éléments de contexte sur le Digital Markets Act

Le site vie-publique.fr, site officiel du gouvernement, pose les éléments de manière très claire : « La législation sur les marchés numériques (DMA) vise à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants d’internet et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen. Le modèle économique de ces acteurs, en particulier des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), repose sur la combinaison de masses de données sur leurs utilisateurs et d’algorithmes puissants et opaques. Grâce aux forts effets de réseau et à leurs écosystèmes enfermant les internautes-consommateurs, ces grands acteurs ont acquis une position de quasi-monopole sur le marché européen, laissant peu de place à la concurrence. À eux seuls, les GAFAM représentent un chiffre d’affaires comparable aux recettes fiscales de la France. »

C’est bien là le premier point. Le DMA n’est pas une “loi anti-Google” ; c’est une combinaison de réglementations et d’obligations portée par l’Union Européenne, et qui vise à réguler l’activité de plusieurs très grandes entreprises, notamment les GAFAM.

En synthèse : tout ceux qui ont une situation qui s’apparente à du monopole dans leur secteur, et qui satisfont à d’autres critères, parmi lesquels :
– Ils fournissent un ou plusieurs services de plateforme essentiels dans au moins trois pays européens ;
– Ils ont un chiffre d’affaires ou une valorisation boursière très élevé : 7,5 milliards d’euros au moins de chiffre d’affaires annuel en Europe dans les trois dernières années ou 75 milliards d’euros ou plus de capitalisation boursière durant la dernière année ;
– Ils enregistrent un grand nombre d’utilisateurs dans l’UE : plus de 45 millions d’Européens par mois et 10 000 professionnels par an pendant les trois dernières années.

2 – Mais de quoi parle le DMA exactement ?

Référons-nous à la même source : vie-publique.fr nous précise que les entreprises ciblées (qui seront appelées gatekeepers) seront obligées sur les sujets suivants :
– rendre aussi facile le désabonnement que l’abonnement à un service de plateforme essentiel ;
– permettre de désinstaller facilement sur son téléphone, son ordinateur ou sa tablette des applications préinstallées ;
– rendre interopérables les fonctionnalités de base de leurs services de messagerie instantanée (Whatsapp, Facebook Messenger…) avec leurs concurrents plus modestes ;
– autoriser les vendeurs à promouvoir leurs offres et à conclure des contrats avec leurs clients en dehors des plateformes ;
– donner aux vendeurs l’accès à leurs données de performance marketing ou publicitaire sur leur plateforme ;
– informer la Commission européenne des acquisitions et fusions qu’ils réalisent.
Par ailleurs, les “gatekeepers” ne pourront plus :
– imposer les logiciels les plus importants (navigateur web, moteurs de recherche, assistants virtuels) par défaut à l’installation de leur système d’exploitation. Un écran multi-choix devra être proposé pour pouvoir opter pour un service concurrent ;
– favoriser leurs services et produits par rapport à ceux des vendeurs qui utilisent leur plateforme (auto-préférence) ou exploiter les données des vendeurs pour les concurrencer ;
– réutiliser les données personnelles d’un utilisateur à des fins de publicité ciblée, sans son consentement explicite ;
– imposer aux développeurs d’application certains services annexes (système de paiement par exemple).

Les intentions de l’UE sont donc excessivement claires : tuer le monopole des géants, et favoriser l’émergence de start-ups et PME européennes, bloquées aujourd’hui dans leur croissance sur des sujets largement trustés par les GAFAM. Quelques exemples de situations de “monopole” que souhaite contrer le DMA :
– Apple Pay : le monstre californien du smartphone ne permet pas à ce stade aux applications de paiement et aux développeurs externes d’accéder à la puce Near Field Communication (NFC) programmée sur ses smartphones, ne permettant donc que l’exploitation de son propre système de paiement, ApplePay.
– Fin du monopole pour les Stores (App Store et Pay Store) : les géants du smartphone devront désormais, a priori, permettre le sideloading, autrement dit, par exemple, la capacité pour les utilisateurs d’installer des applications sur leur iPhone autres que celles issues de l’App Store. Autre exemple : il est possible que les consommateurs puissent utiliser Google Assistant plutôt que Siri, ou encore Microsoft Edge plutôt que Safari.
– Les outils de comparaison de prix et de réservation promus par
Google : d’ailleurs, Google a déjà été lourdement sanctionné en 2017 pour avoir favorisé son propre service de comparaison de prix devant ceux de ses rivaux.
– Principal changement : l’interopérabilité des solutions de messagerie. On devrait donc pouvoir répondre depuis iMessage à un message envoyé par WhatsApp, et vice-versa (là aussi, les détails doivent être apportés par les plateformes dans les mois à venir).

3 – Les conclusions hâtives (et intéressées !) des acteurs de la visibilité locale

Comme vous pouvez le constater à la lecture de ces premières précisions du DMA, à aucun moment l’UE ne cible des produits ou des services spécifiques en lien avec les avis Google, et même les fiches Google. La seule évocation qui s’en rapproche repose sur la notion de “moteur de recherche” et sur l’impossibilité de fournir Google comme homepage pour les consommateurs, ainsi que la fourniture de services dans une logique d’auto-préférence. Pourtant, certains acteurs tirent des conclusions hâtives. Voici l’extrait d’un article de blog d’une agence de communication et webmarketing : « Google va devoir créer un site dédié, avec une page pour chaque établissement. Chacune de ces pages devra être optimisée en référencement naturel afin de pouvoir se positionner dans la liste des résultats, comme n’importe quel site web. On estime que la visibilité de Google My Business va être impactée, de 90 à 95%. Point important qu’aucun propriétaire de fiche Google My Business n’ignore : les avis. Il est demandé un affichage à minima d’une note globale issue d’un partenaire de confiance. Sachant que Google My Business n’aura plus aucun avantage concurrentiel, est-ce raisonnable de s’appuyer encore sur leur système de gestion d’avis, qui oblige les auteurs à posséder un compte Google et sans aucune vérification… »

Ici, l’agence suppose que dans la brique “favoriser leurs services et produits par rapport à ceux des vendeurs qui utilisent leur plateforme (auto-préférence) ou exploiter les données des vendeurs pour les concurrencer”, l’UE cible expressément les fiches Google comme étant un outil et un service valorisé et favorisé par Google pour booster… Google.

Aujourd’hui, les professionnels ne paient pas Google pour afficher des avis clients, ou pour maîtriser les informations contenues sur leur fiches, qui sont gérables via le Google Business Profile. L’approche de revenu direct de Google sur ce sujet est donc à démontrer.
Par ailleurs, Google propose déjà, et depuis plusieurs années, de consulter les avis sur d’autres plateformes que la sienne, notamment via la rubrique “Avis des internautes” qui renvoie régulièrement vers Pages Jaunes, le site internet du professionnel, ou d’autres plateformes d’avis sectorielles mineures, mais spécialisées sur le secteur d’activité ciblé.

Cet argument est donc une supposition particulièrement bancale à ce stade, et conclure que la visibilité de GMB va être impactée de 95%, et que Google va devoir créer un annuaire, est un pari comme un autre, et non une information issue des équipes Google.

Cette analyse (qui est la plus courante) réussit le double exploit de tirer des conclusions sur un sujet non clarifié à ce stade ni par l’UE, ni par Google, et en même temps d’imaginer les décisions qui vont être prises par Google pour contrer ces réglementations.
Par ailleurs, Google a depuis longtemps intégré les résultats de recherche sur des sites concurrents dans certains secteurs d’activité. Le plus courant d’entre eux, bien sûr, est le secteur du Tourisme.

Évidemment, l’objectif est clair : détourner les budgets initialement alloués par les prospects de ces acteurs au marketing local, à Google, à l’e-réputation et aux avis clients, pour les emmener vers des refontes de site web, de la publicité payante (Ads) ou encore de la diffusion vers des plateformes mineures.

En synthèse, voici les éléments à retenir :
– Le DMA n’est pas une loi anti-Google. C’est un ensemble de réglementations qui visent de nombreuses entreprises, dont l’ensemble des GAFAM. Toutes les dispositions évoquées ne ciblent donc pas que Google, mais aussi Amazon, Facebook, Airbnb, Microsoft et d’autres rockstars de la Tech
– Les sanctions sont connues : 10% du CA mondial des entreprises ciblées.
Ni l’UE, ni Google, n’ont officiellement communiqué sur les détails prévus par le DMA : d’ailleurs, même les délais sont flous. A ce stade, rien n’est réellement envisagé et concret avant 2025 ou 2026. On ne peut pas vraiment parler d’urgence.
Bien évidemment, Google n’a pas répondu. Et on a hâte de voir leur réponse, quelle qu’elle soit : se plier aux règles, et inventer une nouvelle manière de traiter les requêtes locales, ou bien lutter contre ces règles (discutables) et gagner du temps, en repoussant l’échéance.
– Quelle que soient les décisions de l’UE, leur impact est motivé par une vision économique du marché. Mais les usagers eux, ne se trompent pas. Les consommateurs, depuis plus de 10 ans et de manière croissante, privilégient et plébiscitent Google pour leurs recherches, la comparaison, et même la réservation. Les professionnels peuvent s’en inquiéter, mais les usagers sont conquis. Alors quelles que soient les décisions, il y aura fort à faire pour que les usagers modifient leur comportement.

Qu’il faille rester extrêmement agiles et savoir s’adapter aux nouveaux usages à venir est une certitude ; qu’il faille effacer radicalement Google de sa stratégie de marketing local, sans aucune information sur le futur de leur approche et leurs solutions, est une hérésie.