Le marché mondial de l’IA est en train d’exploser et son empreinte environnementale ne cesse de s’accroître. Les gouvernements devraient encourager une utilisation responsable de l’IA, les entreprises regarder au-delà de la contribution potentielle des données et de l’IA à la résolution des problèmes environnementaux et s’assurer un impact positif réel en établissant un positionnement cohérent – ne serait-ce que pour réduire les coûts énergétiques.

Il est prévu que, d’ici à 2030, le marché mondial de l’intelligence artificielle (IA) affiche un TCAC (taux de croissance annuel composé) de 38 % et atteigne près de 1,6 milliard de dollars – une ascension fulgurante favorisée tant par l’abondance des big data que par les logiciels et le matériel informatique. Selon Statista, la quantité de données créées par l’économie numérisée actuelle augmente chaque année de 40 % et devrait atteindre 163 billions de gigaoctets d’ici à 2025, ce qui favorisera encore l’amélioration des algorithmes d’IA.

La chaîne de valeur des données pèse lourdement sur l’environnement

Cette chaîne de valeur implique des appareils et des capteurs pour collecter les données, des réseaux pour les communiquer, des centres de données pour les stocker. Tout cela nécessite des ressources naturelles et de l’énergie pour la construction et le transport des appareils et des produits. Ils émettent des gaz à effet de serre et du CO2 tout au long de leur cycle de vie, et la gestion des déchets en fin de vie requiert des efforts supplémentaires. Au-delà des produits eux-mêmes, il faut de l’énergie pour les faire fonctionner et pour faire tourner les algorithmes d’apprentissage automatique.

Dès 2019, la consommation électrique du Bitcoin a dépassé celle de la Suède et selon le rapport d’AlgorithmWatch sur l’IA durable, les centres de données sont responsables de 20 % de la consommation totale d’électricité dans le centre financier allemand de Francfort. Or, les réseaux neuronaux (abréviation de réseaux neuronaux artificiels) – c’est-à-dire les systèmes informatiques inspirés des réseaux neuronaux biologiques qui constituent le cerveau humain et utilisés par la plupart des algorithmes d’IA modernes – sont particulièrement gourmands en énergie.
L’intelligence artificielle tend à consommer de plus en plus d’énergie en raison de la puissance de calcul nécessaire à l’entraînement du modèle et à l’inférence de nouvelles données à partir de ces modèles. Selon OpenAI, le créateur de ChatGPT, la puissance de calcul utilisée pour entraîner un modèle moyen est multipliée par 10 chaque année. Une consommation démesurée au point que certains pensent que l’apprentissage automatique est en passe d’engloutir toute l’énergie disponible.  Source : OpenAI


Comment résoudre ces difficultés et réduire l’empreinte environnementale

De nombreuses études se sont penchées sur la manière dont les données et l’IA peuvent être utilisées pour résoudre les problèmes de durabilité, lorsqu’elles révèlent de nouvelles connaissances et contribuent à prendre des décisions plus intelligentes. Pourtant, certains avantages sont contrebalancés par des effets rebond ainsi que par des pratiques humaines, et la chaîne de valeur des données et de l’IA a un impact négatif direct non négligeable.

« L’IA transformera les pratiques commerciales et les industries, et elle a le potentiel de résoudre des problèmes sociétaux majeurs, y compris dans le domaine de la durabilité. La dégradation de l’environnement naturel et la crise climatique sont des phénomènes extrêmement complexes qui requièrent les solutions les plus avancées et les plus innovantes », affirment les chercheurs en IA Rohit Nishant, Mike Kennedy et Jacqueline Corbett.
Au niveau de l’entreprise, ils proposent cinq pistes pour concilier l’impact de l’IA sur l’environnement et son rôle central dans la résolution de la crise climatique :
– adopter une vision à plusieurs niveaux pour saisir la complexité du monde réel (et limiter les effets rebond par exemple),
– se baser sur une perspective de dynamique des systèmes, pour saisir les interactions et les boucles de rétroaction entre la technologie, les utilisateurs et les autres parties prenantes,
– suivre une approche de design thinking, afin de minimiser les conséquences involontaires potentielles et d’améliorer l’efficacité des solutions d’IA,
– comprendre les fondements psychologiques et sociologiques de la réponse humaine, pour des solutions efficaces à long terme,
– examiner la valeur économique de l’IA pour la durabilité, afin de mieux comprendre en quoi l’IA diffère des technologies de l’information conventionnelles.

« La véritable valeur de l’IA ne résidera pas dans la manière dont elle permettra à la société de réduire son intensité énergétique, son utilisation de l’eau et de la terre, mais plutôt, à un niveau plus élevé, dans la manière dont elle facilitera et encouragera la gouvernance environnementale », ajoutent-ils.
Au niveau mondial et gouvernemental, plusieurs rapports exhortent les gouvernements à s’orienter vers une IA durable. C’est le cas de Climate Change & AI: Recommendations for Government Action. De ce bref aperçu, nous pouvons déduire les implications suivantes :
– à mesure que le volume de données et l’utilisation de l’IA augmentent et se répandent dans tous les secteurs, toutes les tailles d’organisations et tous les pays, les entreprises seront de plus en plus interpellées sur les implications environnementales des données et de l’IA par le public et, très probablement, par les régulateurs.
– avec un niveau de maturité accru au sein du public, des entreprises et des gouvernements, il ne suffira plus de compter les avantages de l’utilisation de l’IA pour résoudre les problèmes environnementaux. Il sera nécessaire de trouver un équilibre avec les autres impacts négatifs de l’organisation (sur d’autres sujets que le numérique) et de prendre en compte l’impact négatif direct.
– pour parvenir à cette mesure, il faudra avoir une vision systémique des impacts environnementaux, bien au-delà de l’impact purement numérique (qu’il soit direct ou indirect), et inclure les parties prenantes extérieures à l’entreprise (clients et fournisseurs, par exemple).
– pour obtenir un effet positif, il faudra tirer parti d’une expertise qui était soit absente, soit isolée de l’expertise en ingénierie (sciences du comportement, design thinking, etc.).

Ce que cela signifie en termes de stratégie et de dynamique de la concurrence

Du point de vue de la dynamique de la concurrence :
– il est probable que quelques entreprises dépasseront les normes et les attentes, et se positionneront de manière distinctive. Ces entreprises bénéficieront d’une image de marque et d’un moyen de soutenir un positionnement haut de gamme. Toutefois, elles devront prendre des engagements fermes dans de nombreux domaines pour éviter de tomber dans le « greenwashing ». Cela impliquera également des changements importants dans leur business model.
– un nombre encore plus restreint d’entreprises accorderont la priorité à l’environnement et redéfiniront leurs activités et leurs modèles en conséquence. Par exemple, elles se demanderont si toutes les données auxquelles elles ont accès leur sont vraiment nécessaires et si elles ont besoin de modèles à forte consommation d’énergie.
– certaines entreprises, plus nombreuses, définiront des stratégies d’économies d’énergie radicales pour des raisons de coûts. Plus l’importance relative de l’énergie dans les coûts est élevée, plus l’efficacité constitue un avantage. De même, certaines entreprises tenteront de s’assurer un accès moins coûteux à l’énergie propre (comme le font déjà les grandes entreprises technologiques).

Ce débat est épineux mais nécessaire, nécessaire parce que chaque jour, on nous rappelle l’urgence des décisions à prendre, et épineux parce qu’il ne s’agit pas d’un problème purement technologique mais aussi d’une question de gouvernance.