Inflation des procédures imposées par les certifications qualité, les chartes éthiques et les codes de déontologie, encombrement des boîtes e-mail par des fichiers de reporting à compléter dans l’urgence, groupes de travail interservices prétendument mobilisés en « mode projet », circuits de validation ubuesques : depuis maintenant plusieurs décennies, les organisations des entreprises n’ont cessé de se complexifier, ce qui a fini par peser sur les performances et l’engagement des salariés. Pour sortir des logiques contreproductives, la simplification du travail s’impose.

La crise des structures matricielles

Depuis les chocs pétroliers des années 1970, nos entreprises ont du successivement faire face à l’apparition de concurrents dans les pays émergents, intégrer les nouvelles technologies de l’information, s’adapter à de multiples réformes de la législation sociale et de l’aménagement du temps de travail, survivre à des crises financières puis à une crise sanitaire. Un environnement économique incertain et anxiogène a progressivement rendu les équipes de direction si attentistes et si précautionneuses que les temps de traitement des demandes et de suivi des projets n’ont cessé de s’allonger. Si la communication interne fait l’apologie de l’agilité et de la prise d’initiative, le poids de la hiérarchie et les paramétrages des systèmes d’information imposent une disciplinarisation qui semble inexorablement tarir toutes les sources de dynamisme et de créativité. Cette situation conduit Julia de Funès et Nicolas Bouzou à dénoncer l’absurdité de beaucoup de méthodes de management. Dans leur bestseller La comédie (in)humaine, ils observent qu’en devant se contenter « de satisfaire à des directives, des process, des indicateurs chiffrés, les salariés deviennent comme des robots bas de gamme ».

Yves Morieux partage en grande partie ce constat et pointe l’obsolescence des structures matricielles mises en place à partir des années 1980. S’il reconnaît que « la matrice favorise la coopération », le directeur de l’Institute for Organization du Boston Consulting Group n’en déplore pas moins que « la plupart des entreprises ne savent pas faire fonctionner ce type d’organisation » parce que « trop souvent, la matrice vient s’ajouter à une structure hiérarchique », ce qui fait qu’in fine, « on ajoute de la complication à de la complexité ». En outre, les structures matricielles provoquent de plus en plus de situations de surcharge de travail sans intérêt, en particulier pour les managers. Il est ainsi estimé que la moitié des réunions ne servent à rien et que, pour valider une décision, il faut passer, en moyenne, par sept étapes, toutes très chronophages. Cette évolution fait constater à Yves Morieux que « les managers passent seulement 30 % de leur temps à ajouter de la valeur ».

Vive(ment) la simplicité !

L’accumulation des facteurs de complication et d’inertie ne serait pas particulièrement préoccupante si nos entreprises n’étaient pas confrontées à un environnement qui exige de constants efforts d’innovation. Face à ces exigences, Julia de Funès et Nicolas Bouzou appellent les dirigeants à « changer leurs croyances fondamentales et leurs idéologies souterraines ». La philosophe et l’économiste invitent prioritairement à alléger les procédures de contrôle, à « lutter contre les corporatismes intérieurs », à « cultiver l’intuition », à « encourager l’empathie, la discussion, la collaboration » pour éviter que les entreprises « se perdent en objectifs multiples et insignifiants » alors qu’il importe surtout de remobiliser « au service d’un projet que tout le monde doit servir ». Leurs suggestions sont intelligemment complétées par les analyses de Philippe Silberzahn, pour qui la multiplication des règles et des process aboutit à une bureaucratisation qui ralentit tout et augmente des coûts cachés comme la lassitude, la démotivation et même, parfois, l’insatisfaction des clients. Pour sortir de « l’impasse dans laquelle s’enferre souvent le management moderne », ce professeur de l’École de Management de Lyon recommande de réduire les effectifs des sièges sociaux et de faire confiance aux équipes de terrain en leur laissant davantage d’autonomie.

Dans une étude réalisée récemment auprès de 4 000 personnes en Allemagne, en Espagne, en France et en Grande-Bretagne, les experts du Boston Consulting Group expliquent que des qualités comme l’attention, l’empathie, l’écoute et l’esprit d’équipe deviennent de plus en plus nécessaires aux décideurs. Si les dirigeants doivent continuer à être visionnaires et charismatiques, il est aussi attendu d’eux qu’ils communiquent de façon plus transparente et plus honnête, qu’ils consultent davantage leurs collaborateurs avant de prendre des décisions, qu’ils sachent mobiliser sans utiliser des moyens de pression, qu’ils permettent à chacun(e) de développer sa créativité en favorisant les moments d’échange de bonnes pratiques et en contournant les limites imposées par les règles et les process. La consultante Marie Humblot-Ferrero insiste sur le fait que « les leaders ont intérêt à instaurer une culture de la responsabilité et de l’autonomie pour favoriser le développement des équipes ».

La capacité à gérer l’incertitude et à réduire la complexité est vouée à devenir un avantage concurrentiel de plus en plus important. Au-delà des enjeux technologiques, marketing, commerciaux, sociaux et juridiques, les dirigeants les plus performants seront, sans aucun doute, ceux qui sauront à la fois mettre chaque salarié au cœur du projet de l’entreprise et le projet de l’entreprise au cœur de chaque salarié. Et cela passera inévitablement par la promotion du bon sens et par de multiples efforts de simplification.