Nous sommes en train de confondre deux IA. L’une accélère le travail. L’autre préserve notre place dans le travail.

L’intelligence artificielle automatise, rationalise et permet de produire plus vite dans les entreprises. L’IA rédige, résume, propose et organise. Chaque jour un peu mieux. Elle est devenue un allié quotidien pour une grande partie des professionnels. Pourtant, à mesure que ces usages se généralisent, on est obligé de se poser la question de savoir ce qu’il restera de nos compétences, lorsque la machine pourra faire, à la demande, ce que nous avions mis des années à construire…

La confrontation des IA

Pour comprendre l’enjeu, il faut reconnaître une distinction fondamentale encore peu présente dans le débat public : il n’existe pas une IA, mais deux IA aux logiques radicalement différentes.

L’IA dite productive, qui optimise le travail : elle accélère les tâches, réduit la charge cognitive et fluidifie ce qui prend du temps. Elle est utile et elle le restera. Mais elle n’a pas été conçue pour renforcer la compétence humaine. Elle améliore la production sans assurer la consolidation du geste.

À l’inverse, l’IA pédagogique, qui n’a pas pour vocation de remplacer l’effort, mais de le structurer. Elle s’appuie sur des décennies de sciences cognitives : la zone proximale de développement de Vygotski pour aider et ajuster au bon niveau, la charge cognitive de Sweller pour éviter la saturation ou la pratique délibérée d’Ericsson pour organiser l’entraînement. Là où l’IA productive vise la réponse la plus rapide, l’IA pédagogique vise l’exercice qui permettra à la personne d’apprendre et de progresser. 

Cette distinction n’est pas académique, elle est opérationnelle. Dans un monde où les transformations s’accélèrent, les entreprises ont besoin de collaborateurs capables d’ajuster une posture, de tenir un échange difficile, de décider sous contraintes, d’interpréter une situation avec un client ou de maîtriser un outil critique. Ces compétences, les plus humaines et les plus stratégiques, ne se construisent pas en lisant une réponse générée par une machine. Elles se construisent en s’entraînant : en testant, en reformulant, en se trompant, en recommençant… Encore, et encore.

Une transformation des usages en faveur du développement des compétences

Cela fait des années que les entreprises savent ce qu’il faudrait faire pour développer les compétences… sans avoir les moyens de le faire. Les agendas sont trop pleins, les outils trop rigides et les dispositifs de formation trop lourds. Le travail est resté un lieu de production, rarement un lieu d’apprentissage. Ce verrou est en train de sauter.
Grâce aux IA pédagogiques, il devient possible de rapprocher l’apprentissage du réel : transformer un geste métier en micro-séquences d’entraînement, simuler des situations sensibles, proposer un feedback immédiat, ajuster la difficulté en temps réel, entraîner une compétence à voix haute avec un agent pédagogique disponible 24 h sur 24, répéter jusqu’à la maîtrise, et surtout, au moment précis où la personne en a besoin.

Ce changement est transformationnel. À chaque entraînement, un collaborateur ne renforce pas seulement une compétence : il renforce sa place, sa confiance et sa capacité à agir dans l’incertitude. L’IA pédagogique ne remplace pas la personne ; elle l’empêche d’être remplacée. Elle protège contre l’illusion de savoir, ce risque cognitif qui consiste à confondre une réponse bien formulée avec une compréhension réelle.

Cette distinction renvoie aussi à une question éthique centrale. L’IA productive repose sur une économie de l’usage et de l’attention : plus elle répond, plus l’utilisateur revient. Son modèle est celui de l’assistance continue. L’IA pédagogique, elle, repose sur une économie de l’émancipation : plus elle entraîne, moins l’utilisateur en dépend.

Dans ce contexte, l’IA Act ouvre un cadre, mais il ne dit pas encore comment l’IA doit accompagner nos compétences. Cette responsabilité revient aux acteurs de la formation, aux équipes L&D, aux designers pédagogiques et aux entreprises qui conçoivent les solutions. Une IA pédagogique n’est jamais neutre : elle incarne une vision de l’apprentissage et de la place que l’humain doit conserver dans le travail.

L’avenir ne se jouera pas entre humains et machines. Il se jouera entre les humains qui auront été assistés et ceux qui auront été entraînés.

L’IA productive accélère le travail.
L’IA pédagogique préserve l’humain dans le travail.

Nous aurons besoin des deux. Mais nous avons, dès aujourd’hui, la responsabilité de ne pas les confondre.