Ce matin, comme tous les matins, le héros de cette histoire, le leader qui n’écoutait pas, M.Martelier, entre deux rendez-vous appelle son bras droit. Victor expose rapidement une situation de crise. M. Martelier réagit :
« Cher ami, cette situation mérite en effet toute notre attention, mais… »  Je pèse mes mots : Victor est déterminé et un tantinet susceptible. « Encore un remake de novembre 2013. Il suffit d’avoir recours à un nouveau vote et… »
Victor explose :
«  Pensez-vous sincèrement que j’aurais besoin de votre aide si c’était si simple ? Cessez donc de me prendre pour un imbécile… ».
Il se mord les lèvres pour ne pas en dire trop puis se ravise : « On se voit à 14h ? »
« 14H. Super !»
« OK »
Victor raccroche.
Difficile ce Victor, toujours à couper les cheveux en quatre, mais c’est mon meilleur élément. J’ai rendez-vous avec ma coach, je vais lui en parler.
« Allo, oui ? Bonjour, c’est Jean-Yves Martelier. Nous avons rendez-vous et j’aimerais évoquer avec vous un échange avec Victor…». Je lui évoque « l’épisode » de ce matin
« A quel résultat souhaitez-vous arriver par rapport à cette situation ? »
J’avais bien envie de me lâcher un peu sur Victor et son sens tatillon du détail : voilà mon sifflet coupé ! Bon OK, c’est vrai, je n’ai pas la patience d’écouter tous les détails…
« Quels détails n’allez-vous pas écouter ? »

Nous finissons sur mon plan d’action et je raccroche. Je note, entre autres: « écouter, poser des questions. »
Direction café. Mon cerveau encore pris par l’échange avec ma coach, je croise mon assistante.
« Bonjour Mme Voltage, comment allez-vous ? »
« Bien, et vous-même ? »
« Bien, bien. Où en êtes-vous de l’organisation du séminaire de direction ? »
Tout le CODIR va se retrouver dans un château pour construire notre nouvelle vision. Je compte sur Mme Voltage pour tout prévoir. Elle doit assurer sinon toute l’équipe va m’en vouloir de lui avoir mangé son week-end.
Mme Voltage : «  Très bien, il me reste les invitations à envoyer mais j’ai tout prévu. »
Me souvenant qu’il fallait écouter et poser des questions, je souris :
« Avez-vous pensé à l’acheminement des bagages ? »
« Oui, bien sûr M. Martelier.»
« A quelle heure arrive M. Dupuis ? »
« 10 heures, Monsieur, comme prévu. »
« Vous avez bien demandé deux menus avec poisson ? »
Je sens le sourire gracieux de Mme Voltage s’effacer peu à peu.
« Si vous voulez, me répond-elle, nous pouvons regarder tout le projet et vous verrez que j’ai tout fait comme vous l’avez demandé. »
J’étais tenté de répondre « oui » mais l’instinct cette fois me dit de m’abstenir :
« Non, je vous remercie. Ça ira. »
L’instinct ou mon premier tour de chauffe avec Victor …
Je vois Mme Voltage s’esquiver rapidement, de peur sans doute que je lui sorte une autre question. Heureusement, c’est l’heure de déjeuner. Je profite de ma demi-heure de pause pour prendre des sushis et les manger au parc, en bas du bureau. J’irai directement prendre la voiture pour rejoindre Victor après. Aïe ! Mon banc favori est déjà pris par une femme avec son téléphone portable.
« Excusez-moi, madame, pourrais-je m’asseoir ici ? »
Elle me fait signe de la tête et me laisse un peu de place. J’ouvre rapidement ma boite de sushi en essayant de garder la sauce dans le plat. Soupir.
Elle raccroche et se tourne vers moi :
« Mauvaise journée ? »
« Oui, comment le savez-vous ? »
« Ce banc… » sourit-elle.
« Bien placé pour se changer les idées » Elle jette un œil à la vue…
Après un ou deux sushis, je commençais à profiter du moment, à me rendre compte de l’environnement, à respirer.
« Ca va mieux, on dirait » me dit-elle « Que vous arrive-t-il ? »
J’étais tenté de tout lui raconter, de parler de Victor, de Mme Voltage, de tout le reste de cette journée qui a mal commencé mais je me suis tu. Je me sentais bien. Détendu.
« C’est que je dois apprendre à écouter »
« Ah ? dit-elle amusée … Et comment allez-vous apprendre à écouter ? »