L’ego est le nom donné au moi conçu comme « sujet personnel ». Qu’est-ce que le terme d’ego vient donc faire au milieu des organisations où l’individu est censé s’effacer au profit du « tout », de l’ensemble organisé qu’est l’entreprise. Analyse par une experte.

Un levier narcissique

Qui n’a jamais aimé être félicité et recevoir les honneurs ? Depuis l’enfance on nous apprend et on apprend nous même à nos propres enfants à combattre, à être meilleur que ses camarades de classe, à ne jamais abandonner, à persévérer, à être sur le tableau d’honneur et à recevoir les félicitations des professeurs.
– Tu as eu combien à ton contrôle de maths ?
– 16 !
– Ah… Et ton ami ?
– …18 !
– La prochaine fois il faudra que tu la battes, d’accord ? Il n’y a aucune raison pour qu’il ait plus que toi.
Depuis l’enfance et l’école primaire, c’est ainsi. Il y a certainement des raisons et même des bonnes, chaque pièce ayant toujours 2 faces. Il y a surtout un biais engendré dès notre plus jeune âge dans notre processus de socialisation. Nos expériences de vie, notre éducation loin de nous laisser indemnes, nous façonnent. Et cela a des conséquences sur notre façon de concevoir les individus autour de nous, dans la société comme au travail.
On nous formate, on nous forme ainsi non à la connaissance, mais à être en concurrence avec les autres. Rien d’étrange alors, à ce que l’on assiste quelques années plus tard dans nos entreprises à une période de mise en concurrence systématique les uns envers les autres. Et sur le chemin de la concurrence, de la comparaison et de la confrontation, mieux vaut être le meilleur, le leader.
Lecture associée L’ego, votre ami et votre ennemi dans votre vie professionnelle

Une déshumanisation inquiétante

Nous n’avons jamais autant entendu parler de leadership. Nous n’avons jamais tous autant voulu devenir leader. C’est amusant d’ailleurs parce qu’objectivement : tout le monde ne sera pas leader, quand bien même tout le monde prendrait des cours. Et allons jusqu’au bout des choses : Que serait une société où nous serions tous leader ?
La peur d’être le suiveur (le looser) nous oblige à nous dépasser, à aller toujours plus loin au-delà même de nos limites. Vous souvenez-vous de la période pas si lointaine où toute bonne entreprise qui se respectait proposait à ses salariés de sauter en élastique, en parachute… à la recherche et à la vérification du dépassement de soi ? Et on ne peut nier qu’il est terriblement enivrant de découvrir ses propres ressources parfois même insoupçonnées, tellement enfouies sous le poids de la routine.
Quel plaisir d’être reconnu comme le meilleur, le plus performant, le top des tops. « Bravo, Félicitations ! » cela nous rappellerait-il l’enfance ? L’entreprise dès lors devient le révélateur de nos puissances et utilise notre égo flatté à ses fins de performance. Peut-on l’en blâmer ?
Nous assistons ainsi à une exacerbation des registres narcissiques et égotiques dans le monde du travail et on s’aperçoit que bien souvent et de plus en plus dans une structure fermée, les autres – collègues, supérieur hiérarchique, employés …- deviennent ou sont devenus un obstacle, une menace, des freins, des ralentisseurs à la carrière pour soi. Les autres deviennent des ennemis dans notre progression carriériste.
Lecture associée Pendant la crise du Coronavirus : comment donner une nouvelle impulsion à votre carrière

Descendre du ring et recréer du lien professionnel

Nous assistons passivement à une période qui nous dépasse, on écrase l’autre pour devenir soi, on coupe docilement le cordon qui relie le travail à la société. Nous ne sommes plus en train de travailler dans le cadre de l’interdépendance qui fonde la cohésion de la société comme le soutenait Durkheim, l’un des pères de la sociologie moderne. Non ! Coulant l’autre pour se démarquer, nous nous éloignons du travail fait correctement dans le but de satisfaire les besoins de l’ensemble pour aller vers la satisfaction de ses propres besoins narcissiques.
La solution serait de recréer du lien professionnel et de descendre du ring pour nous serrer la main. Mais habitués à nous faire chouchouter (manipuler ?) accepterait-on aujourd’hui de troquer nos toboggans, conciergeries, places gagnées au cinéma ou au stade de foot et autres attentions de nos entreprises pour prendre le temps de rediscuter tous ensemble, entre professionnels, quels que soient le niveau hiérarchique, sans enjeu si ce n’est celui de bien faire ensemble ?
Pour approfondir le sujet  Entreprise : revenez à l’humain !