Ce que les écoles de commerce ne vous apprendront jamais sur l’entrepreneuriat
“On ne devient pas entrepreneur en validant des partiels, mais en encaissant des coups.”
L’intitulé de cette tribune est volontairement biaisé
Écrire « ce que les écoles de commerce ne vous apprennent pas sur l’entrepreneuriat » suppose, en creux, qu’elles en seraient le point d’entrée naturel. C’est une croyance largement répandue dans les milieux urbains et diplômés, et pourtant, profondément déconnectée de la réalité entrepreneuriale du pays.
En France, entreprendre ne signifie pas nécessairement passer par les bancs d’une grande école. Il suffit de regarder les chiffres : nous comptons plus de 3,8 millions de TPE, près de 150 000 PME, et un peu moins de 12 000 startups. La majorité de celles et ceux qui entreprennent ne sont pas issus de HEC ou d’ESCP. Ce sont des commerçants, des artisans, des indépendants. Ils s’appellent Guillaume, Sabrina, Farid. Ils dirigent des boulangeries, des salons de coiffure, des entreprises de transport ou des garages. Ils développent leur activité souvent dans l’ombre, sans levée de fonds, sans passage médiatique, et sans pitch deck.
Et pourtant, ils embauchent, créent de la valeur, tiennent bon mois après mois. Eux aussi sont entrepreneurs. Peut-être même plus que beaucoup de diplômés qui, après un master en stratégie, passent directement de stage en cabinet à la case startup studio, sans jamais avoir assumé un seul risque personnel.
L’école de commerce forme à gérer une entreprise, pas à la créer
Il ne s’agit pas ici de décrier les écoles. J’y ai moi-même croisé d’excellents profils. Mais il faut être lucide sur ce à quoi elles préparent : elles forment à piloter une structure existante, pas à affronter le chaos de la création.
Elles enseignent les méthodes de gestion, la planification stratégique, le pilotage budgétaire, le marketing analytique. Autrement dit, elles outillent pour administrer, optimiser, consolider.
Or, l’entrepreneuriat commence rarement par un tableau de bord ou un budget prévisionnel.
Il commence par une idée floue, parfois bancale. Il commence par un test, un coup de téléphone, une première vente. Il commence surtout par des nuits blanches, des décisions prises dans l’urgence, des refus en cascade et des imprévus qui n’entrent dans aucun modèle Excel.
Quand vous créez une entreprise, il n’y a pas de process. Pas de manuel. Pas de validation. Il y a des doutes, des tentatives, des erreurs, et une nécessité vitale de s’adapter. Loin des “frameworks”, l’entrepreneur avance dans le brouillard, souvent seul, avec pour seule boussole sa capacité à tenir bon.
« Je n’ai pas encore trouvé l’idée » : le mirage de l’entrepreneuriat élitiste
Dans les cercles diplômés, une phrase revient souvent : « J’aimerais bien entreprendre, mais je n’ai pas encore trouvé la bonne idée. »
Cette posture révèle un autre malentendu fondamental : croire que l’entrepreneuriat commence par une trouvaille de génie, une invention révolutionnaire, une révolution technologique.
En réalité, la plupart des entrepreneurs ne créent pas la prochaine licorne. Ils prennent un besoin existant, souvent très basique, et s’appliquent à le traiter mieux que les autres. Ce qui fait la différence, c’est l’exécution.
À ce titre, l’école encourage, parfois malgré elle, une approche trop théorique : chercher la meilleure solution, viser la perfection, éviter l’erreur. Or, dans la vie réelle, l’entrepreneur prend des décisions imparfaites, les corrige, les affine. Il n’optimise pas une équation. Il agit, ajuste, recommence.
Ce que l’école n’enseigne pas : encaisser
Aucun cours de stratégie ne vous prépare à devoir gérer un salarié qui démissionne sans prévenir, un fournisseur stratégique qui ne livre plus, ou un client majeur qui vous met en demeure. Aucun module d’analyse financière ne vous enseigne comment réagir lorsque la trésorerie est à sec à 10 jours de la paie. Aucun manuel de management ne vous forme à faire face à l’URSSAF, au burn-out, à la solitude du dirigeant, ou aux injonctions contradictoires de votre entourage.
Et pourtant, c’est là que se joue la vie d’une entreprise : dans sa capacité à tenir. Tenir quand les repères tombent. Tenir quand la pression monte. Tenir quand les planifications deviennent obsolètes. Tenir, surtout, quand on ne sait pas si l’on passera le mois.
C’est ce que j’appelle la compétence invisible de l’entrepreneur : la capacité à encaisser. Non pas comme un stoïque, mais comme un sportif de haut niveau.
Ce que les manuels ne disent pas, mais que les entrepreneurs vivent
Je pourrais citer des dizaines d’exemples : des entrepreneurs qui, sans avoir jamais levé un centime, génèrent plusieurs millions de chiffre d’affaires. Des indépendants qui ont construit des entreprises de renom, un client après l’autre, sans jamais passer par un incubateur. Des patrons de TPE qui gèrent plus de complexité que certains membres de comités exécutifs.
Leur point commun ? Ils n’ont pas appris à entreprendre. Ils ont appris en entreprenant.
Et c’est là, peut-être, la vérité la plus simple et la plus difficile à faire entendre : l’entrepreneuriat n’est pas un savoir théorique. C’est une pratique. Une discipline. Une manière de vivre, de décider, de tomber et de se relever.
L’entrepreneuriat commence là où s’arrêtent les modèles
Nous ne sommes pas ici pour dénigrer l’école, mais pour porter une autre vision de l’entrepreneuriat : plus inclusive, plus réaliste, plus ancrée dans le quotidien de millions d’hommes et de femmes qui, chaque jour, créent, résolvent, emploient, sans autre bagage que leur courage et leur capacité d’adaptation.
Alors oui, les écoles forment des esprits brillants, capables de structurer des organisations complexes. Mais elles n’enseignent pas ce que des milliers d’entrepreneurs apprennent chaque jour dans le silence : le courage de se lancer sans garantie, la rigueur de construire sans recette, et la force de continuer quand tout semble vaciller.
Parce qu’on ne bâtit pas une entreprise avec des “slides”. On la bâtit avec des tripes.
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