La multiplication du recours à de telles clauses a alimenté de vifs débats politiques mais semblent aboutir à un consensus juridique.

INFO ? Les clauses « Molière » récemment déclarées illégales

Considérées quasi unanimement comme contraires aux principes fondateurs de l’Union européenne de non-discrimination, de libre circulation des travailleurs et/ou de libre prestation de services, ou encore au principe d’égal accès à la commande publique garanti en droit interne, les clauses « Molière » ont récemment été déclarées illégales par le gouvernement via la publication d’une instruction interministérielle du 27 avril dernier (1). La grille d’analyse qui a prévalu est, en effet, celle qui considère que cette obligation vise essentiellement à privilégier les entreprises nationales.

Les recours judiciaires en contestation de la validité de telles clauses sont probables : les débats ne semblent aujourd’hui pas clos. Mais ne sont-ils pas l’occasion de s’interroger plus généralement sur l’utilité de l’emploi de la langue française par les salariés dans le cadre de leurs relations de travail ?

INTOX ? Comment résoudre les préoccupations du « terrain » ?

Au-delà des débats rappelés ci-dessus, que faut-il penser de la compréhension par les salariés – qui ne maîtrisent pas la langue française – du respect des directives données par leurs responsables ? Et quid du respect par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat, qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé de tous ses salariés ?
Certaines dispositions du code du travail exigent d’ailleurs son utilisation. Il est par exemple prévu que « L’étranger qui souhaite entrer en France en vue d’y exercer une profession salariée et qui manifeste la volonté de s’y installer durablement atteste d’une connaissance suffisante de la langue française sanctionnée par une validation des acquis de l’expérience ou s’engage à l’acquérir après son installation en France. »
L’objectif, ou à tout le moins l’un de ceux poursuivis par ce texte, n’est-il pas justement de permettre au salarié de comprendre les règles qui lui sont applicables et ainsi assurer sa propre sécurité, notamment lorsque l’activité dans laquelle il intervient l’expose particulièrement à certains dangers ?
En quoi la situation d’un salarié, qui ne choisit pas de s’installer « durablement » en France, est-elle différente ?
Sur quelle justification fonder le fait qu’un salarié, détaché en France pour une durée jugée non suffisamment « durable » pour devoir respecter la règle précitée, bénéficie d’une protection moindre que celui qui viendrait s’y installer pour une durée plus longue et qui serait, car comprenant la langue de son employeur, mieux protégé ?  Comment déterminer avec certitude la situation « durable » ? Serait-ce le cas d’un projet d’envergure durant deux ans ? Ou faut-il uniquement prendre en compte l’installation d’une personne, sans esprit de retour dans le pays d’origine ?

Des dispositifs d’apprentissage et d’amélioration de la maîtrise de la langue française

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle disposition a été récemment insérée au sein du code du travail, en août 2016. Les maîtres d’ouvrage de chantiers de bâtiments ont désormais l’obligation d’afficher certaines informations, aujourd’hui limitativement énumérées au sein d’un décret du 5 mai 2017 (2), dans l’une des langues officielles parlées dans chacun des Etats d’appartenance des salariés détachés sur le chantier dont ils ont la charge. Il s’agit plus précisément de celles tenant à « la réglementation française du droit du travail applicable aux salariés détachés en France en matière de durée du travail, de salaire minimum, d’hébergement, de prévention des chutes de hauteur, d’équipements individuels obligatoires et d’existence d’un droit de retrait », informations qui doivent être affichées « dans le local vestiaire » et doivent être tenues « dans un bon état de lisibilité ».
Cependant, peut-on valablement considérer qu’un simple affichage dans le local vestiaire sera suffisant pour que la sécurité des salariés ne maîtrisant pas la langue française soit assurée ? En cas d’accident sur un chantier, l’employeur pourra-t-il se dédouaner de sa responsabilité au titre de l’obligation de sécurité de résultat qui lui incombe ? Il parait raisonnable d’en douter et il est donc impératif qu’une réflexion soit engagée pour que la sécurité de tous les salariés soit assurée, et ce, sans aucune discrimination entre ceux comprenant le français et ceux ne le maîtrisant pas. L’article L. 5223-1 du code du travail donne déjà un début de réponse à ces questions en prévoyant, à destination des travailleurs étrangers, des dispositifs d’apprentissages et d’amélioration de la maîtrise de la langue française, adaptés à leurs besoins quelle que soit la durée de leur séjour ; c’est sans doute cette voie qu’il conviendrait de privilégier pour aller au-delà des affirmations péremptoires tendant à soutenir que la non maîtrise de la langue ne serait pas une menace pour la sécurité des travailleurs.
(1) Instruction interministérielle relative aux délibérations et actes des collectivités territoriales imposant l’usage du français dans les conditions d’exécution des marchés du 27 avril 2017.
(2) Décret n°2017-825 du 5 mai 2017 relatif au renforcement des règles visant à lutter contre les prestations de services internationales illégales.