Droit pénal de l’environnement : l’impunité est-elle une réalité ? HASSAN
Il est devenu monnaie courante d’affirmer que les atteintes à l’environnement seraient rarement poursuivies en France. Cette affirmation est-elle seulement exacte ? Derrière ce sentiment d’impunité se cache une réalité plus nuancée, faite d’obstacles structurels, de progrès juridiques récents et d’un engagement croissant de la société civile. Que nous apprennent les textes, la pratique judiciaire et les données disponibles sur l’effectivité de la répression des infractions environnementales ?

  • Des chiffres révélateurs d’un contentieux résiduel

En France, on constate une dépénalisation de fait des atteintes à l’environnement. Selon les dernières données, ces infractions ne représentent qu’entre 0,5 et 1%[1] des affaires traitées par les parquets, un chiffre en diminution constante[2].

Ce faible volume est toutefois contrebalancé par un taux d’élucidation très élevé de 85% (contre 64% en moyenne pour l’ensemble des délits) [3].

En outre, le taux de réponse pénale, de 47%, est équivalent à la moyenne nationale[4].

Cette réponse se compose en grande majorité de mesures alternatives aux poursuites comme le rappel à la loi, la CJIP ou la transaction pénale (75%) [5].

Les procès de droit commun sont en revanche peu fréquents, puisque seulement 5,4% des affaires passent par un jugement correctionnel classique[6].

Concernant les peines enfin, elles se composent majoritairement d’amendes (71% en matière environnementale, contre 35% en moyenne pour les autres délits[7]). L’emprisonnement demeure ainsi relativement rare puisqu’il ne concerne que 14% des peines prononcées (contre 49% en moyenne pour les autres délits) [8].

Aux vues de ces chiffres, il est par conséquent évident qu’il existe un particularisme des infractions environnementales qu’il convient d’expliquer.

  • Des obstacles structurels aux poursuites des infractions environnementales

Le traitement spécifique des infractions environnementales s’explique tout d’abord par la nature de leurs auteurs. Le droit pénal environnemental porte, en effet, principalement sur des personnes morales, impossibles à emprisonner et contre lesquelles des peines d’amende sont plus efficaces. Les enjeux économiques et sociaux des dossiers favorisent également la négociation plutôt que les condamnations (et ainsi la mise en place de mesures alternatives aux poursuites).

Un second facteur tient au manque de moyens des forces de police spécialisées, une difficulté pourtant ancienne et bien connue des pouvoirs publics. Dès 2013, en effet, la Cour des comptes soulignait l’insuffisance des ressources allouées à l’ONEMA (office national de l’eau et des milieux aquatiques)[9]. Ce constat a été ensuite confirmé en 2024 à propos de son successeur, l’Office français de la biodiversité (OFB)[10].

Un obstacle supplémentaire résulte de la complexité technique du droit. Qualifié de « droit d’ingénieur », il est marqué par une réglementation dispersée entre plusieurs normes, des procédures spécifiques et des débats scientifiques délicats à comprendre.

Enfin, la formation des magistrats reste insuffisante. Ceux-ci, manquant souvent de moyens, favorisent les atteintes contre les personnes au détriment de celles portées contre l’environnement.

  • Un arsenal juridique en développement

Face à ces obstacles, le droit de l’environnement n’est cependant pas laissé à l’abandon et des réformes successives ont permis d’élaborer un véritable arsenal juridique en la matière.

Ces dernières années ont tout d’abord été marquées par un durcissement de la matière. À ce titre, la loi Climat et Résilience de 2022[11], constitue une évolution marquante, puisqu’elle a introduit de nouvelles infractions spécifiques et alourdi les sanctions applicables aux infractions déjà existantes.

Des procédures particulières ont également été instaurées afin de permettre une meilleure appréhension des atteintes à l’environnement.

C’est le cas, par exemple, du référé pénal environnemental (art. L. 216-13 du Code de l’environnement), qui permet au JLD de prendre toute mesure utile pour prévenir ou mettre un terme à certaines atteintes environnementales.

À cela s’ajoute la loi du 24 décembre 2020[12], qui est venue créer des juridictions spécialisées au sein de chaque Cour d’appel et qui a rendu possible la conclusion d’une Convention judiciaire d’intérêt publique (CJIP) pour les infractions réprimées au sein du Code de l’environnement.

Enfin, rappelons que l’article L. 173-5 du Code de l’environnement permet au juge d’ordonner aux personnes condamnées de remettre en état les lieux auxquels il a été porté atteinte.

Cependant, malgré cet encadrement juridique renforcé, plusieurs limites subsistent.

L’une des principales tient à la préférence encore marquée de l’État pour la transaction plutôt que pour la répression. La CJIP en est une illustration : elle permet à une entreprise, en contrepartie du paiement d’une amende et de garanties visant à prévenir la récidive, d’échapper à des poursuites pénales.

Cette procédure présente des avantages, notamment en favorisant la coopération des entreprises avec les autorités, mais elle contribue aussi à une certaine déjudiciarisation du droit pénal de l’environnement. Cela peut engendrer un sentiment de moindre réprobation sociale, d’autant plus que l’absence de procès rend ces affaires moins visibles pour le grand public.

En outre, la remise en état prévue par l’article L. 173-5 du Code de l’environnement reste facultative pour le juge et son application concrète demeure souvent difficile, voire impossible.

Enfin, le manque persistant de moyens humains et matériels spécialisés ralentit considérablement le traitement des procédures, ce qui décourage les victimes et affaiblit l’efficacité des poursuites.

En conclusion, bien que des avancées significatives aient été réalisées, une certaine modération dans l’application du droit pénal de l’environnement subsiste.

Cette approche évolue toutefois progressivement sous l’effet d’une mobilisation croissante des associations, désormais particulièrement actives dans ce domaine.

[1] Le traitement pénal du contentieux de l’environnement, rapport du Parquet Général près la Cour de cassation, page 11.
[2] Ibidem, pages 11 et 12.
[3] Ibidem, page 12.
[4] Ibidem, page 12.
[5] Ibidem, page 12.
[6] Ibidem, page 12.
[7] Ibidem, page 13.
[8] Ibidem, page 13.
[9] S. BARONE, L’impunité environnementale. L’État entre gestion différentielle des illégalismes et désinvestissement total, OpenEdition Journals, 2018.
[10] Cour des Comptes, Observations définitives sur l’Office français de la biodiversité, juill. 2024.
[11] LOI n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
[12] LOI n°2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.
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