Un client heureux, cela passe par un salarié heureux : ce n’est pas une simple déclaration de principe, qui s’inscrirait dans la mode actuelle des philosophies du bonheur, mais une forme d’organisation de l’entreprise, qui l’engage de la base au sommet.

La Symétrie des attentions, besoin vital de l’être humain

Lorsque, à l’Académie du Service, nous avons élaboré le concept de Symétrie des attentions, nous partions d’une réflexion de simple bon sens : des salariés mal considérés par leur entreprise ne peuvent pas accorder aux clients toute l’attention qu’ils méritent. L’entreprise est dès lors perdante sur toute la ligne : productivité en berne, clients mécontents. À une époque où la concurrence entre les entreprises se joue au moins autant sur les services que sur les produits, cette situation devient un facteur de risque essentiel. D’où la conviction que nous nous sommes forgés : un client heureux, cela passe par un salarié heureux. Ce n’est pas une simple déclaration de principe, qui s’inscrirait dans la mode actuelle des philosophies du bonheur. C’est une forme d’organisation de l’entreprise, qui l’engage de la base au sommet.
Mais la Symétrie des attentions plonge également au plus profond de la nature humaine. C’est ce que nous a rappelé le philosophe Luc Ferry, qui clôturait notre colloque « Cultures Services », le 25 septembre dernier. L’être humain est traversé par deux attitudes fondatrices : le narcissisme et l’altruisme. Pour Luc Ferry, le narcissisme est un mythe destructeur, « le plus détestable de la mythologie grecque », puisque qu’il revient à ne valoriser que la beauté extérieure. Narcisse se consume dans l’amour qu’il se porte à lui-même, un amour impossible, qui le conduira à en mourir. Le narcissisme est pourtant une valeur montante dans la société d’aujourd’hui, où chacun est invité à se mettre en scène sur les réseaux sociaux. La profusion de livres et de conférences sur la recherche d’un bonheur individuel montre que cet appel est puissant. Il ne prédispose pas à l’attention aux autres. Il est probablement le fruit de la disparition des grandes causes ou des grandes utopies collectives, disparition qui conduit les hommes à se replier sur leur propre destin.
Mais ce courant est contrebalancé par notre tendance naturelle à l’altruisme, qu’Adam Smith, entre autres, a si bien théorisé au XVIIIe siècle. Que le moteur de cet altruisme soit le devoir, la foi, l’intérêt ou l’amour, importe peu. Il conduit les hommes à s’intéresser au sort des autres. C’est aussi un appel puissant, comme le prouve le développement des activités humanitaires ou les nouvelles théories économiques sur le partage et le bien commun.

Réconcillier narcissisme et altruisme

La question, fort bien posée par Luc Ferry, est de réconcilier narcissisme et altruisme. Cette démarche est au cœur de la Symétrie des attentions : penser à soi et à son bonheur, mais en même temps, accorder aux autres l’attention dont ils ont besoin. C’est ce qu’Emmanuel Kant nommait « la pensée élargie », c’est-à-dire la faculté de l’homme à se mettre à la place des autres, à penser pour l’autre. Pour Luc Ferry, cette faculté est en réalité ce qui distingue essentiellement l’homme de l’animal et non, comme on l’écrit souvent, l’intelligence, la sensibilité ou le langage. Cette « morale de l’autre », l’homme est la seule créature vivante de l’univers à la développer. C’est ainsi que l’on peut voir des hommes se soucier du sort des baleines, par exemple, mais que l’inverse ne se produira jamais.
La Symétrie des attentions, c’est précisément se mettre à la place de l’autre, penser l’autre comme aussi important que soi. C’est traiter le salarié comme s’il était un client, c’est se mettre à la place du client lorsque l’on est salarié. C’est une façon d’élargir son horizon, de se montrer profondément humain. Des aspirations dont la nécessité est plus évidente que jamais dans cette période de doutes, d’incertitudes et de repli sur soi que nous impose la Covid-19.