C’était en plein mois de Décembre, à la fin des années 60, dans un petit village, collé aux Pyrénées ariégeoises, près de Saint Girons. Il neigeait depuis 3 jours, sans discontinuer, des flocons lourds comme des morceaux de coton qui descendaient lentement d’un ciel bas. Une vieille dame était assise devant le feu de bois, en train de préparer le confit de canard, plat traditionnel de ces régions en cette période de l’année. Un petit garçon d’une dizaine d’années, le nez collé à la fenêtre, regardait le spectacle de la neige enveloppant son monde. Il s’inquiétait de la continuité du phénomène, et imaginait que les jours de neige, succédant aux jours de neige, provoquent alors l’isolement du village. Les voitures ne circulaient déjà plus. L’heure était déjà au confinement. Il se retourna vers son arrière-grand-mère, et inquiet, lui demanda : « Marraine Anna, que va-t-on faire ? ».
Anna prit son temps pour répondre, regarda le petit garçon d’un air bienveillant, et lui dit d’une voix douce cette simple phrase : « Olivier, ne t’en fais pas. On va attendre ». Anna Anère ne savait pas qu’elle venait de m’apprendre, ce jour là, une leçon de vie des affaires. Anna m’a appris ce jour là : le temps long.

A la réflexion, et plus de 50 ans plus tard, la leçon est majeure

Malgré l’habit de confiné que nous avons revêtu depuis plus de 2 mois, c’est un lieu commun que de dire que nous vivons, en ce début de XXI ème siècle, dans le règne de l’instantanéité. Y compris dans l’industrie des services technologiques innovants, la priorité, pour des raisons financières, bien sûr, mais aussi en matière de management, de résultat, la règle est de produire rapidement, quitte à ne concrétiser que la surface des choses. L’époque nous l’impose.

Le domaine des services IoT industriels B2B, n’échappe pas à la règle

L’intérêt est de rendre intelligents la majorité des actifs industriels pour en 1er lieu, réduire les couts associés : réduction des pertes, augmenter leur taux de rotation, … Industrie très récente, elle semble vouée, dans ses premières années, à ne concrétiser de la valeur qu’autour de la fonction de localisation (GPS par exemple), voire au mieux de suivi de température, bref, majoritairement des données brutes produites par des capteurs embarqués élémentaires. En résumé, géolocaliser des millions d’objets semble être le Yin et le Yang de l’IoT industriel. Cette voie crée une valeur somme toute très limitée, mais elle a un avantage : quel que soit l’objet, le service est le même.
Donc apparemment l’industriel s’y retrouve…la standardisation du service semblant être la clé de la réussite. Mais cette voie impose un diktat, classique en matière industrielle : celui des couts. Plus la valeur est faible, plus la recherche du moindre cout est clé. Les corollaires de cette approche sont connus : délocalisation de la production en Asie, ROI compliqué, et surtout pas d’évolution possible vers la création de valeurs futures plus complexes et plus spécifiques au métier concerné. C’est ce qui est en train de se produire en matière de services IoT industriel, avec pour conséquence un retard massif dans le déploiement de centaines de milliers d’unités.

L’industriel et son Dr financier ne s’y retrouvent finalement pas.

Mais il y a une autre voie, plus complexe, plus sophistiquée, et in fine, plus adaptée à nos économies de l’Europe de l’Ouest. L’Internet Industriel des Objets, dans sa capacité à reconnaitre des phases très fines de vie de l’objet, permet de créer des données spécifiques, changeant vertueusement le métier concerné.
Pour ce faire, il faut tout d’abord comprendre l’activité de votre client, devenir un spécialiste de son monde, détecter avec lui la valeur cachée derrière la connaissance des phases fines de vie de l’objet industriel mobile concerné. Puis il faut sophistiquer les capteurs, le software embarqué, la plateforme à chaque verticale-métier. C’est ainsi qu’un touret (grosse bobine de bois utilisé dans l’industrie du câble et de la fibre optique) est aujourd’hui capable de donner en fin de journée la longueur de câble dévidée pendant les dernières 24h, ou une benne, déclencher automatiquement une alerte de remplissage, ou un support de manutention calculer son heure d’arrivée au point de livraison, …

L’internet Industriel des Objets va ainsi au-delà de la valeur créée par une simple géolocalisation !

Peu importe alors que la mutualisation des coûts, ne puisse se réaliser que par verticale métier, et par centaines de milliers, plutôt que par millions. La valeur créée est telle qu’on peut relocaliser la production en Europe. Peu importe que la phase de compréhension du métier soit nécessairement ardue, nécessitant des qualités d’écoute et de compréhension des contraintes métier du client. Changer un métier ne se réalise pas dans l’instant, surtout dans le milieu industriel. Mais lorsque les fondations sont solides, alors la valeur devient pérenne. Et tous les espoirs sont permis : ROI élevé, monétisation facilitée de la donnée créée, métier amélioré créant une différenciation technologique durable,….

Nous redécouvrons ainsi que l’atteinte d’un nouveau niveau de valeur, plus ambitieux, plus exigeant va de pair avec le temps long. Il faut prendre son temps pour devenir le spécialiste d’un métier qui n’est pas le sien. C’est le challenge de l’IoT industriel aujourd’hui : comprendre finement le métier des autres, et prendre son temps. Comme me le disait Anna : « Ne t’en fais pas Olivier. On va attendre ».