L’instabilité politique : une opportunité pour repenser sa manière d’entreprendre

Le dimanche 9 juin 2024, Emmanuel Macron, soucieux de réaffirmer sa légitimité après le camouflet reçu aux Européennes, annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette décision, aux allures de séisme politique, plongea le pays dans une situation inédite sous la 5ème République : aucune majorité claire ne sortit des urnes. Depuis lors, comme sous la 4ème République, les gouvernements se succèdent, laissant le pays dans une instabilité chronique, largement préjudiciable pour notre économie, notamment en termes d’investissement. Mais ce contexte délétère ne doit pas se transformer en poison lent. Il doit au contraire pousser les entrepreneurs à inventer de nouvelles stratégies.

 Du flou naît l’attentisme

Dans l’histoire, l’instabilité politique a toujours eu les mêmes répercussions sur les acteurs économiques : l’attentisme. La situation actuelle ne déroge pas à la règle. 76 % des PME et TPE veulent geler ou annuler des projets d’investissement (baromètre Rexecod-Bpifrance Le Lab, septembre 2025). Elles n’étaient que 60 % avant l’annonce du vote de confiance, marquant la chute du gouvernement Bayrou. Pire, 60 % d’entre elles anticipent même un impact négatif fort de la situation politique sur leur activité. Du côté des ETI, la frilosité est identique : seules 12 % affirment maintenir tous leurs projets d’investissements et de créations d’emplois dans les trois mois à venir (baromètre Banque Palatine-Meti). 

Des conséquences néfastes pour l’économie

L’instabilité politique, en provoquant la crainte des entreprises, grève la croissance de notre pays. Selon l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), elle aurait coûté environ 0,5 % de PIB au pays, soit 15 milliards d’euros. Au-delà de la croissance, l’incertitude pèse aussi sur la charge de la dette. Après l’annonce de la démission de Sébastien Lecornu début octobre, l’OAT 10 ans (le taux auquel la France emprunte à 10 ans) a pris 7 points de base pour frôler les 3,60%.

Les financements au point mort

Cette frilosité ambiante se répercute aussi sur l’écosystème start-up et scale-up, qui atteint son plus bas niveau depuis 2020. Au premier semestre 2025, les jeunes pousses françaises ont levé 2,78 milliards d’euros, en baisse de 35 % par rapport à la même période en 2024. Une baisse en valeur qui s’accompagne aussi d’une chute en volume : 314 opérations ont été répertoriées (-24 %) par rapport à l’année précédente.

Alors qu’il avait toujours été épargné, même lors de la crise du financement, l’amorçage[1] connaît lui aussi des difficultés, avec une baisse de 17 % en valeur et de 28 % en volume.
Ce recul brutal des financements a eu des conséquences immédiates sur l’écosystème. Selon une étude de Scalex Invest, 64 défaillances de start-up ont été enregistrées en 2024, contre 43 en 2023. Premières concernées par ce phénomène, de nombreuses entreprises post série A dans l’incapacité de se refinancer se sont retrouvées à court de liquidités. À l’inverse, les start-ups lancées à partir de 2020 affichent des taux de défaillance plus faibles, signe qu’un nouveau paradigme centré sur la rentabilité à long terme commence à se dessiner.

Chercher la robustesse dans un monde volatile

Dans un contexte où les crises se succèdent – covid, guerre en Ukraine, inflation, instabilité politique – la meilleure manière de se prémunir face aux aléas est de rechercher constamment la résilience. Transposé au monde de l’entreprise, ce terme désigne la capacité à absorber les chocs, à s’adapter et à se réinventer face aux crises et perturbations de toutes natures (économiques, sanitaires, politiques, technologiques, …). Être résilient pour une entreprise, c’est donc : anticiper et gérer l’imprévu sans se désorganiser totalement ; transformer les crises en opportunités d’apprentissage ; innover et pivoter rapidement lorsque le contexte change ; s’appuyer sur ses ressources humaines pour se relever collectivement.

Pour y parvenir, il est possible de développer une approche “end to end” ou de “bout en bout”. Celle-ci suppose de superviser toute sa chaîne de valeur, de la conception du produit à sa livraison, voire jusqu’au service après-vente et à fluidifier les interactions entre les différentes étapes (R&D, production, distribution, marketing, support client, …).

Le deuxième enjeu est de diversifier au maximum son activité en adressant de nombreuses verticales, pour éviter de dépendre d’un seul et même secteur. Dans la même optique, il est important de repenser son positionnement. Par exemple, plutôt que de vendre un produit ou une machine, qui génèrent du chiffre d’affaires uniquement au moment de leur vente, il est préférable d’adopter une approche servicielle, via de l’abonnement par exemple, pour générer des revenus récurrents. C’est notamment l’un des virages opérés par Michelin, qui ne vend plus des pneus destinés aux avions, mais un nombre d’atterrissages.

L’humain au coeur de la stabilité

Enfin, la meilleure façon de se prémunir des aléas conjoncturels reste de cultiver la stabilité au sein même de son entreprise. Dans un contexte où les cycles économiques se raccourcissent, le rôle du middle management devient plus que jamais primordial, tant il constitue un relai opérationnel capable d’assurer la continuité entre la direction et les équipes terrain, d’incarner la culture d’entreprise au quotidien et de piloter la performance dans la durée. Cette strate managériale est essentielle pour absorber les fluctuations d’activité sans casser la dynamique interne.
Cette approche doit s’accompagner de rituels de gestion consolidés : points d’équipe hebdomadaires, comités transverses, bilans trimestriels partagés. Ces rendez-vous structurent la vie de l’entreprise, facilitent la priorisation et créent des réflexes de collaboration qui tiennent même en période de tension.

Enfin, il est utile d’investir dans des outils de reporting intégrés pour objectiver les prises de décisions : suivi en temps réel des indicateurs commerciaux, tableaux de bord de production, mesure de la satisfaction client. Cette instrumentation permet à chaque manager d’agir sur des données fiables, d’anticiper les dérives et de piloter la performance de manière durable.

Construire la stabilité, c’est donc un travail systémique : combiner une organisation claire, un management responsabilisé et des outils partagés pour traverser les cycles sans perdre le cap.

Sortir d’une logique court-termiste

Alors que la croissance effrénée à court-terme a longtemps été érigée en modèle, en particulier dans la tech, une vision de long-terme, certes moins bankable, permet d’affronter les chocs avec beaucoup plus de sérénité. Beaucoup de projets, notamment  dans le hardware, nécessitent des fonds extérieurs. Il est donc important de diversifier au maximum ses sources de financement, en s’appuyant sur le crowdfunding, à l’instar de structures comme blast.club. 

L’instabilité politique actuelle, tout comme les crises auxquelles nous serons inévitablement confrontés dans le futur, ne doivent pas paralyser l’esprit d’initiative. Elles doivent au contraire faire naître de nouvelles manières d’entreprendre. Être entrepreneur aujourd’hui, c’est naviguer dans un monde en crise.
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Clément Houllier est cofondateur de Auum.

[1] Les levées de fonds comprises entre 1 et 10 millions d’euros