Les attentes des entreprises en matière de compétences de leurs collaborateurs évoluent pour s’orienter vers des capacités comportementales en matière de pensée critique, d’innovation, créativité, originalité, initiative, …
Si certaines personnes sont illustratives de ces attitudes et arrivent à penser de manière divergente, originale, d’autres préfèrent se fier à l’opinion générale et adopter des points de vue assez neutres. Quand ces deux types de profils doivent travailler ensemble, des crispations sont susceptibles de limiter l’intelligence collective habituellement apportée par la diversité.
Dès lors, pas simple pour le manager de créer les conditions de la coopération et d’amener chacun à donner le meilleur de lui-même au sein du collectif… Sa première démarche sera de comprendre les comportements…

Grégarité ou divergence ?

Il arrive donc que le manager se trouve face à des personnalités à l’aise avec des prises de position divergentes, tandis que d’autres auraient tendance à penser ou agir comme tout le monde.
Et bien que la diversité d’une équipe soit considérée comme un des éléments de sa performance, si les personnes en présence sont trop opposées dans leurs fonctionnements, il y a risque de tensions, voire de blocages. Comme le disait Pierre Dac, ” C’est ce qui divise les hommes qui multiplie leurs différends ” !
Alors, que recouvrent ces comportements teintés de grégarité ou de divergence en entreprise ?
– Faisons un détour par le règne animal d’où provient le mot grégarité pour comprendre à quels besoins cette attitude correspond : chez les animaux, l’instinct grégaire répond à des objectifs utilitaristes et pousse les animaux à se rassembler pour être plus forts ensemble (buffles), dérouter l’agresseur (sardines qui se rassemblent en bancs), répartir le travail (abeilles), se tenir chaud (pingouins)… Et ce mode de fonctionnement repose sur la cohésion et la bonne communication des espèces concernées, ainsi qu’un conformisme comportemental.
On comprend donc pourquoi certains humains vont avoir tendance à adopter des comportements grégaires : le besoin d’appartenance à un groupe pour se sentir plus fort, plus à l’aise, amène à une forme de neutralité, de « suivisme » et de difficulté à sortir de sa zone de confort. Ainsi qu’un respect de ce qui est vu comme la norme et la sécurité, et dont il ne faut pas s’éloigner.
Et en effaçant toute aspérité de leur attitude, ces personnes tentées par le conformisme privent, à leur insu, le collectif de la richesse générée par la confrontation d’idées différentes. En allant plus loin, on peut même envisager la tentation du confort à ne reproduire que des actions déjà éprouvées, à éviter toute prise de risque ou toute confrontation à un avis autre. John Ruskin (écrivain et critique d’art), de manière caustique a caricaturé cela en ces termes : “Il pense par contagion et attrape une opinion comme un rhume.” !
– A l’inverse, certains collaborateurs ont un mode de fonctionnement divergent. Indépendants d’esprit, ils peuvent éprouver des réticences à suivre les consignes, aiment les défis et la complexité, ont tendance à ne se mettre à travailler que quand ils ont compris le sens de la mission qui leur est donnée, et peuvent longuement débattre de sujets juste pour le plaisir de la joute verbale. Leur façon de penser les amène à émettre des idées originales et foisonnantes, à faire des liens que l’on ne suit pas toujours, à aller très vite. Intuitifs, ils ont des fulgurances qu’ils ont eux-mêmes du mal à expliquer. Ayant la plupart du temps conscience de sa différence, et la trouvant parfois encombrante, ce type collaborateur nourrit aussi à sa façon un certain nombre de besoins : épanouissement intellectuel, lutte contre l’ennui, utilité et sens, autonomie et responsabilité …
Il peut donc paraître complexe de faire fonctionner ensemble ces électrons libres et les personnes plus conformistes… Ce d’autant qu’Henri Tajfel, spécialiste de la psychologie sociale, explique que quand on raisonne en termes de groupe, on majore tous les points communs au groupe et on accentue les différences avec les personnes qui ne font pas partie de son propre groupe. On en déduit qu’il est important que ne se créent pas de clans. Et on peut également en déduire qu’au lieu de faire des différences des sources de clivages, il convient de les valoriser comme une ressource. Comme souvent, la solution est dans le problème.

Organiser la fertilisation croisée

D’après Antoine de Saint Exupéry, « Unifier, c’est nouer même les diversités particulières, non les effacer pour un ordre vain. »
Si l’enjeu du manager n’est pas précisément d’unifier, il a néanmoins la responsabilité et l’intérêt que son équipe fasse corps, et que chaque individu se sente écouté, respecté et utile pour se sentir bien et contribuer efficacement à la performance collective.
Le manager va donc devoir mobiliser le meilleur de chacun des tempéraments, et mettre en lumière les compétences dont il a besoin suivant les circonstances et les fonctions.
Si l’on se réfère aux compétences citées par le Word Economic Forum dans son rapport d’octobre 2020 (1), en termes de soft skills (compétences comportementales), la balance penche plutôt du côté de ceux qui osent adopter des points de vue atypiques, qui expriment des idées nouvelles ou différentes, que de ceux qui se raccrochent à des réalisations déjà éprouvées et se réfugient dans des positions du type « mais on a toujours fait comme ça ».
Pour autant, ceux qui seraient plus à l’aise avec la prospective, la pensée critique et l’originalité peuvent se mettre totalement en retrait et ne plus contribuer s’ils ne se sentent pas écoutés, s’ils ne voient pas le sens d’un projet ou sont affectés à des missions routinières.
Bref, tout le monde a besoin d’un encadrement managérial propice à l’expression de ses potentialités ! Alors, afin de mettre en place les conditions favorables à l’engagement de tous et à la stimulation de l’intelligence collective, le premier axe de développement consiste pour le manager à encourager certaines attitudes en rappelant sa vision managériale, ses attentes : prise d’initiatives, expression des avis divergents, créativité, propositions d’évolutions, … Car, même si certaines personnes sont moins à l’aise que d’autres en la matière, tout le monde a en soi le potentiel d’avoir un avis personnel, de voir les choses sous un autre angle ou de suggérer des changements. Il s’agit donc de réveiller ces potentiels !
Néanmoins, toutes les soft skills des personnalités dites atypiques ne seront pas systématiquement ou cumulativement adaptées à leurs besoins professionnels, cela dépend du métier exercé : si la créativité est incontournable en marketing, elle ne l’est pas vraiment en comptabilité, qui requière davantage de rigueur et de respect des règles. Le discours du manager doit donc être adapté aux missions exercées. Mais quel que soit le métier, savoir penser « out of the box », pouvoir faire des liens, être à l’aise avec la nouveauté et pouvoir exprimer un point de vue challengeant constitue toujours une vraie richesse individuelle ainsi que pour le collectif, et c’est important que le manager le rappelle.
Deuxième axe de développement à mettre en place par le manager : faire prendre conscience à l’équipe de sa façon de fonctionner. Sans stigmatiser les individus, mais en indiquant combien certaines attitudes sont sources de performance. Pour cela, il pourra éventuellement avoir recours à des tests descriptifs du fonctionnement de l’équipe ou à un coaching collectif.
C’est un bon moyen de mettre au jour quelles sont les attitudes à adopter en fonction de telle ou telle circonstance, besoin ou projet. Une invitation à l’ouverture, à une souplesse comportementale et à la valorisation des atouts de chacun. Mais aussi une incitation à faire évoluer sa manière d’être si elle n’est pas pertinente.
Enfin, le troisième axe consiste à encourager l’expression de la singularité et des talents de chaque individu : en partant du principe que l’intérêt de toute personne est de se sentir contributive et que tout le monde dispose de qualités professionnelles, le manager peut s’appuyer sur tout un ensemble d’autres compétences dont disposent les collaborateurs qui auraient tendance à la grégarité. Par exemple, la rigueur, l’analyse, le sens de l’observation, l’empathie…
Car en mobilisant et en valorisant ces qualités, le manager va ouvrir aux collaborateurs concernés des perspectives sur eux-mêmes et leur donner suffisamment confiance pour dépasser leurs éventuels blocages ou croyances. C’est ce que l’on appelle l’effet Pygmalion (2) : le fait de porter un regard appréciatif sur une personne la conditionne pour adopter un comportement attendu.
Ainsi, quand on valorise quelqu’un pour la pertinence de ses analyses, il est plus facile de l’inviter ensuite à prendre l’initiative des benchmarks de son choix (encouragement à la prise d’initiative). Quand on met en valeur l’empathie d’un individu, il est également plus aisé de l’inciter à exprimer des points de vue divergents en lui disant par exemple : « Avec tes qualités relationnelles, tu peux confronter tes collègues sans craindre de les vexer, tu as tout ce qu’il faut pour être convaincant(e) ».

La divergence pour converger vers le meilleur ?

Au final, pour organiser la coopération et dynamiser l’intelligence de son collectif, le manager va stimuler ceux qui pourraient être tentés par la grégarité, alimenter ceux qui ont besoin de complexité, valoriser les compétences, et surtout, mettre en place les conditions permettant à chacun de développer ses talents spécifiques.
Car tout talent est intéressant pour l’entreprise. Et avoir l’opportunité de les développer comme des éléments de sa singularité est un bon moyen de se sentir utile et reconnu pour ce que l’on est. Et donc d’avoir envie de donner le meilleur.
En poussant le raisonnement plus loin, en accompagnant chacun à développer cette singularité positive, constructive, le manager va amener tous ses collaborateurs à s’autoriser des façons d’être divergentes les unes des autres mais respectueuses des différences et nourrissantes pour le collectif.
Et deux grands hommes peuvent guider le manager dans sa démarche :
Jean Cocteau : ” L’harmonie, c’est la conciliation des contraires, et pas l’écrasement des différences. ”
Et Albert Jacquard : ” Il faut prendre conscience de l’apport d’autrui, d’autant plus riche que la différence avec soi-même est plus grande. “
https://fr.weforum.org/agenda/2020/10/voici-les-dix-principales-competences-professionnelles-de-demain-et-le-temps-quil-faut-pour-les-acquerir/
Voir les études de psychologues tels que R. Rosenthal ou David Trouilloud et Philippe Sarrazin