Alors que 123.000 salariés ont abandonné leur poste au premier semestre 2022 (représentant 70% des licenciements pour faute grave ou lourde sur la période), la présomption de démission en cas d’abandon de poste a fait son entrée dans le Code du travail en fin d’année 2022. Une nouveauté qui change la donne pour les salariés et qui oblige les employeurs à adopter de nouveaux réflexes.

Comment fonctionne la nouvelle présomption de démission

La jurisprudence avait admis de longue date la possibilité de licencier pour faute grave le salarié qui désertait son poste de travail. En pratique, le salarié qui ne se présentait pas sur son lieu de travail faisait l’objet d’un licenciement pour faute grave, généralement précédé d’une mise en demeure.

Avec la réforme, le salarié qui abandonnera volontairement son poste sera présumé démissionnaire, si à la suite de la mise en demeure adressée par lettre recommandée par l’employeur, celui-ci ne justifie pas son absence et ne reprend pas son poste dans un délai qui reste à définir par décret (la durée de 15 jours semble envisagée).

Les conséquences pour les salariés 

Présumé démissionnaire, le salarié qui abandonne son poste ne pourra désormais plus bénéficier de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) dont le versement par Pôle Emploi est conditionné à une situation de chômage involontaire. C’est là l’objet principal de cette réforme : réaliser des économies pour Pôle Emploi et ne plus faire porter sur la collectivité le coût d’un abandon de poste qui résulte, sauf exceptions, d’une décision personnelle. Un paramètre qui devrait donc faire baisser le nombre d’abandons de poste.

Autre conséquence : à la différence du salarié licencié pour faute grave, la nouvelle procédure n’exempte pas le salarié d’exécuter son préavis. L’employeur pourrait donc réclamer le paiement au salarié qui ne reviendrait pas travailler.

Le texte prévoit une nouvelle procédure judiciaire accélérée permettant au salarié de contester le fondement de la présomption de démission devant le Conseil de prud’hommes qui doit alors statuer dans un délai d’un mois.

Compte tenu des conséquences financières attachées au nouveau statut de démissionnaire présumé, de nombreux salariés pourraient tenter de contester la rupture de leur contrat de travail en invoquant, par exemple, une absence liée à des manquements de leur employeur. Cette situation déplace le débat sur le terrain de l’exécution du contrat de travail, avec des griefs sur le temps de travail, la santé et la sécurité ou des situations de harcèlement ou de discrimination.

Alors que les praticiens constatent depuis quelques années un déclin du nombre de procédures prud’homales, une hausse des saisines est à anticiper comme conséquence collatérale de cette réforme.

Les nouveaux réflexes à adopter pour l’employeur

Si l’objectif initial affiché par le législateur était de restreindre l’accès à Pôle Emploi des salariés qui abandonnent leur poste, le nouveau dispositif, dont les contours restent encore imprécis, vient inéluctablement bousculer les habitudes des entreprises dans le traitement de l’abandon de poste.
Adopter de nouveaux bons réflexes leur permettra de s’approprier efficacement le dispositif, tout en en maîtrisant les risques :

Réflexe n°1 : communiquer

Les dirigeants devront avoir à cœur de communiquer sur l’existence de la nouvelle procédure via la mise à jour des procédures internes en cas d’abandon de poste afin d’éviter toute mauvaise application des textes.

Si la loi ne précise pas s’il sera possible de préférer la classique procédure de licenciement pour faute grave, la rédaction du texte à l’indicatif laisse sous-entendre que la présomption de démission est désormais le seul régime applicable. Il est donc souhaitable d’appliquer le nouveau texte dans l’attente des premières décisions de jurisprudence sur la possibilité d’opter alternativement pour la procédure de licenciement.

Outre l’information classique des équipes RH et des services juridiques, une information des salariés via les managers et les représentants du personnel peut être envisagée. Informés sur les conséquences financières de la nouvelle règle, ces derniers pourraient être dissuadés de procéder à un abandon de poste, ce qui réduirait pour l’entreprise les risques de situations litigieuses.

Réflexe n°2 : être attentif aux signes suggérant une absence non-volontaire

Les entreprises savent que l’absence injustifiée du salarié peut être la conséquence d’une absence non-volontaire. En l’absence de précisions des textes, les employeurs doivent être attentifs, dans certaines situations, à ne pas se précipiter pour présumer la démission du salarié, notamment en cas d’absence injustifiée suivant une période d’absence justifiée (arrêt maladie, congés payés, congés maternité, paternité, ou sabbatique, etc.).

Il pourrait être utile de prévoir des procédures internes qui vont plus loin que la seule mise en demeure prévue par la loi : par exemple, doubler la mise en demeure d’un envoi par e-mail (tant sur la boite e-mail professionnelle que personnelle), contacter le salarié par téléphone et SMS ou en dernier recours, joindre les contacts d’urgence, généralement transmis lors de l’embauche du salarié.

Réflexe n°3 : anticiper le risque contentieux en identifiant les arguments permettant de conforter la démission

Dans le cas où un salarié présumé démissionnaire aurait recours à la procédure de contestation accélérée, plusieurs arguments pourraient permettre à l’employeur de convaincre les tribunaux de la volonté avérée de démissionner : interroger les collègues du salarié sur des projets de déménagement, de changement de vie ou d’emploi dont le salarié aurait fait part et vérifier ses réseaux sociaux, dans les limites fixées par la loi et la jurisprudence, pour documenter une telle situation pourrait constituer un argument efficace.

Outre sa situation personnelle, une demande préalable de rupture conventionnelle qui n’aurait pas aboutie ou un désengagement progressif au travail dans les semaines qui précèdent l’absence pourraient constituer des indices probants.

Preuve des obligations toujours accrues qui pèsent sur les chefs d’entreprises, l’efficacité de la nouvelle procédure pour abandon de poste sera tributaire des précautions prises par les dirigeants qui ne doivent, en aucun cas, démissionner de leur rôle d’employeurs.