Diriger une entreprise fait-il de nous des entrepreneurs ?
La confusion entre entrepreneuriat et direction d’entreprise est alimentée par la recrudescence des créations, notamment de micro-entreprises. Beaucoup veulent devenir « patrons », pensant accéder à une nouvelle position sociale ou retrouver une liberté qu’ils estiment leur avoir été retirée. Cette aspiration est largement nourrie par un discours médiatique et politique qui valorise l’entrepreneuriat sans en mesurer pleinement les conséquences réelles. Cette illusion masque la complexité et le risque que représente véritablement l’acte d’entreprendre.
Un écosystème favorable mais trompeur
L’essor spectaculaire de l’auto-entrepreneuriat illustre cette dynamique : souvent choisi pour assurer un complément de revenu ou pour contourner les difficultés du marché de l’emploi, ce statut se répand sans pour autant garantir la réussite économique.
Le modèle « idéal » de la start-up, façonné par les médias (comme l’émission « Qui veut être mon associé ? ») et renforcé depuis 2017 par les politiques publiques donne l’impression que la réussite économique et sociale est à la portée de tous.
Les banques commerciales, les banques d’investissements soutenues par l’État, et les acteurs privés financent un écosystème de créations puis de développements par levées de fonds.
Les formations en entrepreneuriat se multiplient, les incubateurs accélèrent le passage à l’acte et les subventions des collectivités territoriales soutiennent la création d’entreprise.
Entreprendre est devenu un concept du quotidien, un terme commun qui s’use par sa surutilisation. Mais l’action d’entreprendre ne suffit pas à devenir entrepreneur.
La réalité derrière les croyances
Les chiffres sont parlants : en 2019, seulement 61 % des auto-entrepreneurs déclaraient un chiffre d’affaires positif. Selon l’Insee, 25 % d’entre eux gagnent moins de 70 euros par mois avec un revenu médian qui s’établit autour de 250€. En moyenne, une auto-entreprise ferme un an après sa création.
Fiscalement, une auto-entreprise est considérée comme une TPE. Parfois, elles sont même intégrées dans les TPME. Or une TPE de 5 salariés n’a rien à voir avec une auto-entreprise.
Concernant les start-ups, 63 % des créateurs étaient cadres et 73 % viennent d’une famille favorisée, souvent avec un père chef d’entreprise.
Malgré les apparences, 75% des startups technologiques échouent en cinq ans, 60% d’entre elles en raison de leur mauvaise gestion financière. En 2024, parmi les 13 000 start-ups ayant levé des fonds, seulement 20% dépassent un million d’euros de chiffre d’affaires, tandis que 50% des créateurs sont fortement dilués, perdant le contrôle de leur société.
Vers une vision plus opérationnelle
Les discours politiques et médiatiques valorisent le « self made man » et qualifient souvent d’« entrepreneurs » des dirigeants d’entreprise sans prendre en compte la réalité derrière l’entrepreneuriat : le risque financier et social.
Tous les entrepreneurs entreprennent, certes, mais tous ceux qui entreprennent ne sont pas des entrepreneurs.
L’entrepreneuriat est une démarche profonde et complexe, bien loin des stéréotypes démagogiques qui voudraient le rendre accessible à tous et éloignés de ceux qui s’approprient ce terme sans prendre de réels risques personnels, souvent aidés par des pairs depuis plusieurs générations.
Pourtant, ce sont souvent les TPE et les PME, plus discrètes, qui incarnent au quotidien cette réalité : des femmes et des hommes qui construisent leur activité dans la durée, affrontent seuls les aléas du marché, et engagent leur responsabilité personnelle.
Aujourd’hui, ces structures manquent d’attention. Alors que les aides publiques, les dispositifs fiscaux et les financements se concentrent majoritairement sur les grands groupes ou les start-ups, une part essentielle du tissu économique reste sous-dotée.
Une redirection des aides et accompagnements fiscaux vers les TPE et PME en recherche de croissance organique serait un tremplin essentiel pour beaucoup d’entre elles. Non pas pour flatter un modèle idéalisé de l’entrepreneur, mais pour soutenir ceux qui, au quotidien, en incarnent la responsabilité concrète.
Florian Dubart, membre du conseil d’administration de Face Grand Lyon, multi entrepreneur : Revolucy, Complisoft…&
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- https://ceet.cnam.fr/publications/connaissance-de-l-emploi/creation-de-startup-et-rapport-au-salariat-qui-sont-les-nouveaux-entrepreneurs–1426276.kjsp?RH=1507126380703
- https://www.alternatives-economiques.fr/auto-entrepreneurs-gagnent-toujours/00087551
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/3323638#tableau-Figure4
- https://www.bcg.com/press/13june2023-women-are-under-represented-in-the-european-startup-ecosystem
- https://credipro.com/actualites/levees-de-fonds-startups-secroulent/
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