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Les Dessous de l’entrepreneuriat 1 : le besoin vital
de sens et le métier d’entrepreneur
 

Dans votre livre, vous partagez notamment le fait que l’on vous conseille de créer votre société avant l’été afin que dès le mois de septembre, tout soit prêt pour vos clients. Et vous expliquez en quoi vous pensez que c’était une erreur.
Oui ! Absolument. J’ai depuis échangé grâce à « L se réalisent » avec de nombreux entrepreneures. Toutes et tous m’ont dit, à l’inverse des conseillers, « cherche d’abord tes clients, trouve-les, décroche des devis signés et seulement à partir de là, ouvre ton compte bancaire professionnel et crée ta société ». On m’avait expliqué qu’il était rassurant pour des clients que la société existe en amont. Les entrepreneurs m’ont eux transmis le fait qu’aucun d’entre eux n’ouvraient de société tant que les sous n’étaient pas au rendez-vous. 
Parce que ce qu’il se passe quand vous ouvrez votre société, c’est de voir l’argent sortir. En la créant début juillet, je me suis retrouvée sans personne à démarcher car tout le monde bouclait son année et préparait ses vacances. Ce qui était non seulement regrettable mais aussi bien stressant étant donné que le décompte des frais bancaires avait lui bel et bien commencé.

C’est ce que vous exprimez de façon très simple mais percutante avec vos titres de 
chapitres sur le décompte mensuel des sorties d’argent.
Oui, c’est une réalité factuelle très simple mais bien concrète dans la vraie vie. Vous créez le compte professionnel de votre société et vous perdez de l’argent. Et si en amont vous n’avez pas prévu de quoi faire des rentrées dès l’ouverture de votre compte pro car vous étiez préoccupé par le choix de vos statuts, trouver la bonne banque, le bon avocat, le bon comptable… c’est dommage. C’est l’obtention de contrats et devis signés qui doivent être le signal d’ouverture  de votre entreprise, et non l’inverse comme on le pense trop souvent quand on n’a aucune expérience dans ce domaine.

Qu’est-ce-qui interfère entre la théorie et la pratique ?
Déjà, le langage. Un entrepreneur doit pouvoir comprendre tout ce qui concerne la tenue d’une entreprise, mais comment ne pas s’arracher les cheveux face au jargon institutionnel et administratif auquel on ne comprend rien. Il manque un mode de communication adapté à tout à chacun. On le sait, un même mot a un sens différent selon l’univers professionnel au sein duquel il est rattaché. Quand il s’agit de créer son propre emploi, il est regrettable qu’il n’y ai pas la mise en place d’une vulgarisation (réelle) du langage utilisé. Ensuite, la démission humaine. Et je pèse mes mots. Quand, face à ce langage qui ne vous parle pas, vous tentez d’entrer en contact avec des conseillers, des personnes qui pourraient vous décrypter les informations, vous faites face à deux situations : ou bien la personne en contact avec le public n’a elle-même pas la connaissance suffisante pour aider, ou bien la démarche mise en place est de vous renvoyer aussitôt sur les sites internet des organismes et entreprises concernées. Or ce n’est pas parce que vous relisez des dizaines de fois le même paragraphe que vous finissez par le comprendre. C’est un non sens total, c’est là encore d’une violence sans nom pour la personne qui se retrouve seule avec un ensemble de questions complexes.

Il existe justement des formations à l’entrepreneuriat
De manière générale ces formations sont très bonnes et nécessaires pour l’avant-création d’entreprises. Pour l’après, je suis aujourd’hui convaincue que l’on ne peut être réellement conseillé que par des personnes ayant déjà entrepris. Des professionnels qui ont la vision d’ensemble de ce qu’une entreprise, un projet et une femme/un homme nécessitent. Et de comment tout cet ensemble fonctionne… dans la vraie vie, pas en mode théorique.

Quels éléments vous ont particulièrement manqué, car vous n’étiez pas particulièrement  préparée à ces derniers ?
Vente et gestion du temps. On m’a donné des notions juridiques, fiscales, administratives… totalement nécessaires mais sans avoir jamais abordé la notion de ventes d’une part, c’est regrettable car ce n’est pas parce que l’on maîtrise parfaitement son produit, son concept, ou son savoir faire que l’on sera bon pour le vendre. Or la vente est le nerf de la guerre pour développer l’activité commerciale de son entreprise et donc, son chiffre d’affaires. Après, vous pouvez aussi démarrer en vous associant à une personne qui sera elle responsable de la commercialisation du produit. De mon côté j’ai très vite cherché ce type de profil, sans succès. ! Et d’autre part, la problématique quant à la gestion du temps, laquelle est vitale dans le rétro-planning de lancement de l’entreprise.

Et pourquoi la notion de gestion du temps était-elle aussi primordiale selon vous ?
J’ai découvert dans les semaines et mois qui ont suivi ma création d’entreprise une réalité à cinq temps. Réalité que j’aurais eu besoin d’avoir en tête tellement les répercussions sur le  développement ou non, de l’entreprise sont flagrantes.

A quoi correspondent ces cinq temporalités ?
– Il y a d’abord la plus immédiate, celle qui me pousse quand je monte ma boîte, celle de me créer mon propre emploi. Elle me semble à ce moment là on urgence prioritaire, parvenir à faire rentrer de l’argent pour me payer.
– La seconde temporalité,  celle de mon projet. Spontanément je démarre ma création d’entreprise en l’associant à ma temporalité personnelle. Dans mon esprit mon projet et moi nous sommes un ensemble qui va de pair. Erreur ! Mon projet est comme un bébé. Il voit le jour, il a besoin de temps, dans un rythme qui lui appartient, pour se développer, trouver ses marques, grandir, évoluer.
– La troisième temporalité, elle de mes prestataires,  on sort d’une équipe en entreprise où, quand on dirige un projet, tout le monde est concentré dessus, l’informatique, les ventes, le juridique… ici, tout devient non pas équipe mais prestataires. Il faut les payer dune part, et d’autre part, prendre en compte qu’ils sont prestataires pour d’autres également, et que vous n’êtes pas forcément prioritaires dans vos demandes. Et que s’ils vous répondent « Entendu, dès que j’ai fini mes missions actuelles d’ici 2 à 3 semaines je m’y mets », cela peut vous mettre un bon coup de massue dans votre rétro-planning ainsi que dans votre moral. 
– La quatrième temporalité, celle des clients, vous avez consacré du temps pour les identifier, pour parvenir à entrer en contact avec eux et banco, ça a payé, vous avez décroché un gros rendez-vous, consacré du temps à le préparé, à rédiger votre dossier et enfin, à vous y rendre. Vous êtes en train de le vivre et vous vous en réjouissez. Cela en valait la peine, tout se passe très bien. Tellement bien que pour le conclure, votre interlocuteur synthétise d’un « Parfait, c’est extrêmement prometteur ! Nous nous en reparlons en interne lors de la prochaine réunion du xx et reviendrons vers vous très rapidement, d’ici 5 à 6/8 mois ». (Si ce n’est pas un projet qui leur semble intéressant pour l’année suivante). La chute est rude. D’ici 4 à 6/8 mois ni votre société ni vous ne serez plus là si tous vos clients ont ce rythme. Mais eux n’en ont pas conscience, ils vivent dans le rythme de l’entreprise et non pas dans le rythme de l’entrepreneur. Vérifier en amont le besoin réel de vos clients est impératif, mais comprendre leur « fonctionnement et rythme d’achat » est l’une des choses les plus essentielles à identifier et surtout, à tester pour de vrai avant de créer concrètement votre société.
– Quant à la cinquième temporalité, c’est tout simplement celle de votre société. Création d’entreprise signifie premier exercice fiscal à 12 ou 18 mois, un CA à développer… et une bonne pression qui monte au fur et à mesure que le temps s’écoule. 

Cendrine Genty raconte le changement de sa vie professionnelle, les coulisses de son immersion dans l’entrepreneuriat, sa découverte d’un nouveau monde avec des acteurs aux dents longues et  de fabuleuses  rencontres, à l’épreuve des échecs et des réussites, avec la prise de conscience du dépassement de soi pour surmonter les vicissitudes du métier, relever les défis et réussir.  « Le jour où j’ai choisi ma nouvelle vie, en quête de sens, en quête de soi. » paru le 19 octobre dernier (Editions Le Passeur).

Cendrine Genty crédit photo Cendrine Genty